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EACOP: quel est ce projet pétrolier de Totalénergies qui cristallise toutes les tensions?

200.000 barils de pétrole par jour acheminés par un oléoduc de 1500 kilomètres: ONG et associations dénoncent un risque d'écocide et les conséquences sur les populations sans oublier de massives émissions de CO2.

La stratégie de Totalénergies suscite bien des critiques de la part des associations et des ONG pour l'environnement, qui l'ont fait entendre vendredi en tentant de bloquer l'accès à l'assemblée générale du groupe, à Paris. Ils ciblent notamment le projet controversé, à 10 milliards de dollars, de l'oléoduc chauffé EACOP en Afrique de l'Est, devenu un symbole médiatisé de la lutte anti-pétrole dans le monde.

De quoi parle-t-on?

Eacop est un acronyme pour "Oléoduc de pétrole brut d'Afrique de l'Est", un projet d'oléoduc géant sillonnant l’Ouganda et la Tanzanie sur près de 1500 km pour transporter du pétrole brut foré en Ouganda jusqu'au bord de l'océan Indien au Port de Tanga.

L'oléoduc EACOP, piloté par TotalEnergies, sillonerait l'Ouganda et la Tanzanie sur 1500 kilomètres.
L'oléoduc EACOP, piloté par TotalEnergies, sillonerait l'Ouganda et la Tanzanie sur 1500 kilomètres. © TotalEnergies

Sa mise en service est prévue pour 2025 et il s'agirait alors du plus long oléoduc chauffé au monde.

Pourquoi ce projet est-il autant contesté?

Dans une tribune au Monde, un collectif de 188 scientifiques et experts a dénoncé la "bombe carbone" que représente ce projet.

Alors que l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) et le Giec soulignent qu'aucun nouveau projet pétrolier et gazier ne doit être lancé si l’on veut respecter l’objectif de 1,5 degré de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, ce projet apparaît en contradiction avec cet objectif des Accords de Paris.

Eacop émettra, "sur les vingt-cinq années annoncées, plus de 379 millions de tonnes équivalent CO2", peut-on lire dans cette tribune.

Le projet vise à extraire 200.000 barils de pétrole par jour. Selon les ONG citées par Reporterre, "en prenant en compte les émissions de gaz à effet de serre indirectes, résultant de l’utilisation du pétrole produit, on aboutit à 34,3 millions de tonnes de CO2 par an. Soit davantage que les émissions combinées de l’Ouganda et de la Tanzanie".

Au-delà de cette "bombe carbone", l'oléoduc franchirait 16 aires naturelles protégées où vivent de nombreux animaux sauvages (lions, antilopes, singes). Les associations de défense de l'environnement évoquent ainsi un risque "d'écocide" sur une zone de 2000 km2, selon un rapport.

Le collectif estime que le projet met en péril "des zones à la biodiversité sensible" et "contribue à des violations avérées des droits humains en Ouganda et en Tanzanie".

Selon Martin Kopp, chargé de mobilisation à Greenfaith cité par l'AFP, le pipeline "qui représenterait deux fois la longueur de la Seine" est" une aberration d'un point de vue éthique, parce que Total s'attaque à la justice climatique, aux droits humains qui sont bafoués et à la diversité du vivant". Surtout, il traversera 35 cours d’eau, ainsi que le bassin du lac Victoria, deuxième plus grand lac d’eau douce au monde.

Enfin, le projet nécessite le déplacement de populations: 723 familles devront quitter leur foyer et 18.000 personnes seront impactées au total.

Comment se défend Totalénergies?

Concernant l'existence même du projet, Patrick Pouyanné, PDG du géant français, récuse dans une interview à La Croix les critiques, en expliquant que son groupe répond à la demande croissante des pays en développement.

"Non, Totalénergies ne peut pas tout seul faire diminuer la demande de pétrole", martèle-t-il, appelant à se concentrer plutôt sur "la fin du charbon".

Le pétrolier affirme avoir par ailleurs avoir développé un projet parmi les moins émetteurs de CO2 de son histoire: 13 kg de CO2 par baril, un chiffre largement sous-évalué selon les associations.

Concernant la faune et la flore, TotalEnergies affirme que l'"oléoduc ne traverse aucune aire protégée ni aucune zone Ramsar (zones humides reconnues d’importance internationale, NDLR)". L'industriel affirme même que son projet a un impact positif sur la biodiversité puisqu'elle promet de rendre le site dans un meilleur état qu’avant les travaux.

TotalEnergies promet par ailleurs de financer la réintégration d’animaux sauvages en Ouganda, comme le rhinocéros noir. La préservation des cours d'eau et des lacs est également une priorité selon la firme.

"Une attention particulière a été accordée aux cours d’eau, et le forage horizontal sera utilisé pour les cas les plus sensibles", assure le groupe.

Pour autant, une fuite près de ces zones pourrait provoquer une marée noire alors que 40 millions d'habitants sont dépendants directement ou indirectement de ces cours et lacs.

Totalénergies promet enfin de dédommager financièrement les habitants déplacés, voire de leur offrir une nouvelle maison. Sur place, les personnes concernées critiquent des compensations bien insuffisantes.

Le gouvernement ne s'en mêle pas

Interrogée vendredi sur Franceinfo au sujet du projet controversé d'oléoduc chauffé Eacop, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a appelé à "éviter d'être donneur de leçons", notamment par rapport à l'Ouganda, soulignant que les pays africains qu'elle rencontre, notamment dans le cadre de conférences pour le climat, expriment le "besoin de moyens de développement" et renvoient les pays européens à leur bilan en termes d'émissions, "moins bon" que le leur.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business