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Aux États-Unis, le financement des armes à feu par les banques vire à la bataille politique

Aux États-Unis, certaines banques refusent de financer les fabricants d'armes.

Aux États-Unis, certaines banques refusent de financer les fabricants d'armes. - Ethan Miller - AFP

[AVIS D'EXPERT] Plusieurs banques américaines ont décidé de ne plus financer certains marchands d'armes. Mais certaines estiment qu'elles font de la politique et outrepassent leurs droits. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

C’est un débat qui n’est pas tout à fait nouveau aux Etats-Unis mais qui prend actuellement de la vigueur dans le contexte des élections présidentielles: les banques peuvent-elles refuser des financements, voire fermer des comptes, au nom de ce qu’elles estiment relever de leur responsabilité sociale et environnementale?

Le 6 mars dernier, les "attorneys general" (titre équivalent à celui de ministre de la Justice) de seize États républicains ont adressé une lettre au président de Wells Fargo, l’une des quatre premières banques américaines, le sommant de s’expliquer sur la fermeture du compte d’un marchand d’armes de Floride et sur les impacts négatifs des critères environnementaux inclus dans les décisions de crédit de son établissement.

De manière explicite, les différents États soupçonnent la banque de jouer un rôle politique de soutien aux orientations de l’administration Biden, appliquant de fait une discrimination idéologique aux citoyens qui ne partagent pas les mêmes convictions politiques, en violation flagrante de la Constitution.

Wells Fargo en viendra-t-elle ainsi à refuser comme clients les vendeurs d’armes? Exercera-t-elle des pressions sur ses clients particuliers qui achètent ou veulent acheter des armes?

Un phénomène bien plus développé aux États-Unis

Ce phénomène de "debanking", soit le fait pour les banques de ne plus souhaiter entretenir de relations avec des particuliers ou des entreprises en raison d’orientations politiques est bien plus développé aux États-Unis qu’en Europe (toutefois, en octobre 2023, le ministre britannique des Finances a annoncé qu’il allait renforcer les règles afin de garantir aux clients de banques que leurs comptes ne puissent être fermés pour des raisons de convenance politique ; ceci après que le leader pro-Brexit Nigel Farage eut accusé sa banque, une filiale de Natwest, d’avoir fermé son compte sans autres raisons qu’idéologiques).

Aux États-Unis, Bank of America a pu être accusée de refuser ses financements aux communautés et organisations chrétiennes. Et un géant de l’investissement comme Blackrock a été fermement invité par les "attorneys general" de dix-neuf États à se cantonner strictement à son rôle de gestionnaire d’actifs, qui est d’assurer les meilleurs rendements à ses clients ; ce qui inclut de ne pas dégrader leur environnement économique en retirant des financements à certains secteurs.

Mais revenons sur le cas des armes à feu. A la suite de la Lettre à Wells Fargo, l'American Accountability Foundation (AAF) vient de souligner dans un rapport que quelques-uns de plus grands établissements financiers américains comme Goldman Sachs, Wells Fargo et Bank of America refusent leurs financement aux fabricants et commerçants du secteur. Le rapport accuse même Bank of America et JP Morgan Chase d’avoir fait pression sur la société de logiciels d'entreprise Intuit pour qu'elle s’efforce d’interdire aux fabricants et détaillants d'armes d'utiliser son programme de comptabilité (très répandu outre-Atlantique), QuickBooks.

Les banques défendent leur stratégie

On reproche ainsi aux banques de saper le droit constitutionnel de détenir et de porter des armes. Et d’avoir des visées politiques allant au-delà de ce qu’exigent les lois. A quoi les banques répondent qu’elles sont libres d’arrêter leurs propres stratégies de financement et qu’elles le font en toute transparence. Bank of America, par exemple, a annoncé en 2018 qu'elle cesserait de prêter de l'argent aux fabricants d'armes de certains fusils d'inspiration militaire, comme l'AR-15, qui ont pu être utilisés dans des tueries de masse.

"Nous voulons contribuer de toutes les manières possibles à réduire ces fusillades de masse", avait alors déclaré Anne Finucane, Vice-Présidente de Bank of America.

De même, depuis au moins 2018, Goldman Sachs s’interdit ouvertement d'investir chez des fabricants d'armes d'assaut ou dotées de chargeurs de grande capacité. Citigroup a décidé de ne plus travailler avec des commerces acceptant de vendre des armes sans vérification des antécédents des acheteurs.

Certes, les banques américaines ont en cela subi certaines pressions. Notamment de la part des groupes de défense du contrôle des armes à feu. En 2019, Guns Down America a lancé une campagne intitulée "Is your bank loaded", qui attribuait une note aux grandes banques en fonction de leurs relations avec des organisations de propriétaires d'armes comme la National Rifle Association (NRA) et de leurs liens financiers avec les fabricants ou les détaillants d'armes à feu. Mais cela n’invalide pas l’engagement "citoyen" que certaines banques ont finalement pris.

Des autorités timides sur cette problématique

Il est difficile de reprocher aux banques de tels engagements. Pourtant, ils ne sont pas sans limites. À la suite de plusieurs tueries de masse aux États-Unis, les sociétés émettrices de cartes de paiement Visa et Mastercard ont envisagé de signaler aux autorités les achats des titulaires de cartes dans les magasins d'armes qu’elles pouvaient constater comme alertes. Cependant, un tel projet se heurtait aux lois antitrust et de protection des consommateurs et il a été abandonné.

L’impact des activités bancaires sur l’économie et, finalement, sur la vie de chacun, est tel que la responsabilité des banques en matière sociale et environnementale doit être législativement encadrée et surtout accompagnée. Or, de ce point de vue, aux États-Unis comme en Europe, les autorités ont jusqu’ici été très timides par rapport à des problématiques qui sont, on le voit, éminemment politiques.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor