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Aux Etats-Unis, les premiers fonds d’investissement anti-transition énergétique et anti-ESG émergent

Un champ éolien au large des Pays-Bas, le 3 mai 2017.

Un champ éolien au large des Pays-Bas, le 3 mai 2017. - GEMINI WINDPARK / AFP

[AVIS D'EXPERT] Alors que les autorités américaines renforcent la régulation pour éviter le greenwashing, certains fonds s'affichent désormais ouvertement anti-transition énergétique et anti-ESG. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

L’année passée et dans un contexte de sensibilité accrue aux évolutions climatiques, on a beaucoup parlé de "greenwashing". Soit, en deux mots, le fait pour les établissements financiers et particulièrement les fonds d’investissements, de se fixer des objectifs de bonne conduite écologique en matière de financements qu’ils ne respectent pas réellement, trompant ainsi ceux qui leur confient leur argent.

En réaction, les autorités financières américaines ont souhaité que les investisseurs détaillent beaucoup plus explicitement leur modus operandi et leur stratégie en matière de contributions à la lutte contre le dérèglement climatique. Or, courant août 2022, dans une lettre à la Securities & Exchange Commission (SEC), BlackRock a fait part de ses réserves sur ces dispositions.

Subtile, la position du premier gestionnaire d’actifs mondial ne s’opposait pas aux dispositions de la SEC, au contraire – l’engagement de BlackRock en faveur de mesures environnemental est notoire. Elle attirait plutôt l’attention sur le risque de greenwashing que ces dispositions pourraient elles-mêmes entraîner, à rebours de leurs intentions. Le risque serait en effet, selon BlackRock, que les investisseurs mettent trop en avant leurs engagements ESG et leur donnent trop d’importance, au détriment d’autres objectifs liés à leurs stratégies d’investissement. La part des objectifs ESG serait alors artificiellement gonflée, ce qui serait assimilable à du greenwashing pour les investisseurs.

Ainsi, après avoir beaucoup axé sa communication sur les mesures pour le climat ces dernières années, BlackRock revenait à des considérations bien plus pratiques. Comme s’il s’agissait de rassurer les millions d’Américains dont il gère les retraites que le souci du climat ne fait pas oublier les perspectives de profit.

BlackRock sous pression

Pour mieux comprendre tout ceci, il faut souligner que quelques jours plus tôt, le patron de BlackRock, Larry Fink, avait reçu une lettre signée par les Attorney General de 19 Etats américains (surtout Républicains) le mettant en demeure d’arrêter de poursuivre des objectifs politiques à travers ses placements – agenda climatique, faveur accordée aux investissements américains en Chine… – et l’invitant à se cantonner à son rôle de gestionnaire d’actifs, qui est d’assurer les meilleurs rendements à ses clients ; ce qui inclut de ne pas dégrader leur environnement économique en retirant des financements à certains secteurs.

Depuis, le Vanguard Group (premier actionnaire de BlackRock) a également assuré qu’il refusait de dicter leur stratégie aux entreprises au nom d’objectifs de réductions d’émission de CO2 paraissant irréalistes. Et Vanguard s’est retiré de l’initiative Net Zero Asset Managers.

Ces positions ont été peu commentées en France et c’est sans doute une question de perspective. En Europe, l’agenda climatique ne rencontre en effet que peu d’opposition sérieuse affichée – même si les "climato-sceptiques" progressent au sein des populations européennes. Tandis qu’il fait l’objet d’orientations politiques fortement divergentes et tranchées aux Etats-Unis.

Cependant, sans doute a-t-on trop tendance à réduire l’ensemble des débats que suscitent les orientations ESG (Environmental, Social, et Gouvernance) à la simple opposition des Républicains aux Démocrates.

Un fonds "BAD"

Si l’on compare les réglementations en matière d’investissement ESG entre les différents Etats américains, comme le permet un récent article de The Conversation, le relatif attentisme de la Californie, contrastant avec celle (néanmoins mitigée) du Texas, témoigne que les choses sont un peu plus complexes. Des gros intérêts sont en effet en jeu et, comme il apparaît dans l’attitude de BlackRock et de Vanguard, ceux-ci ne peuvent être purement et simplement oubliés.

De sorte que, dans un tel contexte, il n’est pas très surprenant que soient apparus des fonds d’investissement ouvertement anti-ESG, ce qu’on serait pourtant sans doute assez loin de voir en Europe.

Certains de ces fonds, assez minuscules au demeurant, cultivent délibérément la provocation. BAD propose un fonds indiciel aligné sur des sociétés cotées actives dans les paris, l’alcool et les drugs – c’est-à-dire en fait les produits de l’industrie pharmaceutique. Vice Ventures, dont le nom est suffisamment explicite, suit une même orientation. D’autres fonds sont ouvertement politiques. God Bless America s’interdit d’investir dans tout ce qui défend ou reprend des valeurs assimilables au "wokisme". Et, plus sérieusement, il y a des fonds comme Strive qui déclarent ne pas vouloir faire de politique.

Une telle proclamation est-elle crédible ? Seulement au sens où Strive raisonne froidement en termes de business et n’entend pas se laisser limiter par quelque autre considération que ce soit pour investir dans les énergies fossiles. Strive ne veut voir que les résultats financiers. Un tel court-termisme affiché peut choquer. Le problème est que la situation énergétique actuelle de l’Europe et des Etats-Unis ne lui donne pas franchement tort.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor