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Union européenne

Pourquoi la Banque centrale européenne ne baisse toujours pas ses taux

L'inflation est en baisse, la BCE semble avoir rempli sa mission de contrôle de la hausse des prix. Pourtant, elle ne revoit pas ses taux à la baisse. Au risque de voir la croissance ralentir encore? On fait le point.

La BCE patiente. Sans surprise, la Banque centrale européenne a décidé de laisser ses taux inchangés, au plus haut niveau depuis la création de l'euro, a annoncé sa présidente Christine Lagarde, jeudi 11 avril. Elle a néanmoins ouvert la porte à une baisse lors de la prochaine réunion en juin.

Pourtant, dès aujourd'hui, les voyants sont au vert. Après une hausse historique de ses taux pour juguler l'inflation, la mission de la Banque centrale est remplie. La hausse des prix a été ralentie à 2,4% dans la zone euro en mars (en glissement sur un an), soit 0,2 point de moins par rapport à février.

L'inflation baisse même plus rapidement que prévu, et se rapproche de l'objectif de 2% à moyen terme. "L'inflation devrait fluctuer autour de ses niveaux actuels dans les prochains mois, avant de décliner vers sa cible l'an prochain", a précisé Christine Lagarde.

Mais revers de la médaille, l'économie ralentit. Le loyer élevé de l'argent a pesé sur la demande et les investissements, au risque d'asphyxier l'activité économique. Le taux de dépôt, qui fait référence, campe à 4% et cette politique monétaire se traduit en zone euro par une croissance atone.

D'autant que les coupes budgétaires, en France par exemple, devraient venir miner encore la demande et donc l'activité. "La croissance est globalement faible dans la zone euro, mais elle est peu volatile", nuance l'économiste Christopher Dembik, qui ne voit pas de risque de récession.

Baisser les taux pourrait permettre de stimuler l'activité économique. Pourtant, la BCE prend son temps. Cette prudence est-elle excessive? "Honnêtement, elle aurait pu baisser dès le mois de mars si elle l’avait souhaité", assure Christopher Dembik.

Inflation, salaires... "Aucun nuage majeur à l'horizon"

Selon l'économiste, la hausse des prix est maîtrisée et les indicateurs sont positifs. Même pour l'inflation sous-jacente, c'est-à-dire la hausse des prix sans les éléments volatils que sont l'alimentation ou l'énergie, la tendance est à la baisse. "L'inflation sous-jacente donne une indication sur une possible inflation plus structurelle et plus durable, mais ça ne semble pas être le cas", se réjouit Christopher Dembik.

En plus de la hausse des prix, la BCE surveille de près le coût de l'énergie. "Le prix du baril a augmenté ces derniers jours, mais a priori ça ne va pas changer le cours de l’inflation", prédit l'économiste.

La BCE garde aussi un œil sur les hausses de salaire. Avec des salaires qui augmentent (en réaction à l'inflation), les chefs d'entreprise auraient pu répercuter la hausse du coût du travail sur leurs produits, grévant ainsi un peu plus le pouvoir d'achat et alimentant l'inflation.

Mais cet effet de boucle prix-salaire n'a pas eu lieu, d'après Christopher Dembik. "Selon les derniers indicateurs, les hausses de salaire sont revenues à la baisse, dans certains pays le décrochage est même assez rapide", détaille-t-il.

"On peut considérer que le job a été fait, du côté des indicateurs, on a aucun nuage majeur à l'horizon", conclut l'économiste Christopher Dembik.

Mais alors, de quoi la BCE a-t-elle peur?

Si tout va bien, pourquoi la Banque centrale européenne patiente-t-elle? Premier élément de réponse, selon Christopher Dembik: la lenteur de l'institution. "On sait que dans la matrice de la BCE, on a toujours une prise de décision qui est collègiale avec une grande différenciation par pays, et donc qui est assez tardive."

Autre explication, la Banque centrale ne veut surtout pas agir trop fort trop vite, et devoir faire machine arrière. La BCE demeure "dépendante aux données", a souligné Christine Lagarde. Voilà pourquoi elle ne devrait agir qu'à la fin du printemps, au plus tôt.

D'autant que le mois de juin est une bonne date, selon Christopher Dembik, car il correspond à la mise à jour des projections économiques. "C'est toujours plus opportun parce qu'on a plus d’informations sur la situation, on a des données qui justifient le changement de politique monétaire", explique-t-il.

Enfin, la BCE semble souffrir d'une tendance pessimiste. Selon Christopher Dembik, les indicateurs économétriques utilisés par la Banque centrale "ont tendance à surpondérer le coût de l'énergie". Or, en ce moment, il est élevé. "C'est ce qui s'est passé en 2009, lorsque Jean-Claude Trichet (ancien président de la BCE) a augmenté les taux sur la base de ces indicateurs, parce qu'il y avait une pression sur l'énergie. Au final, il a dû faire machine arrière juste après."

Et si la Fed ne baisse pas ses taux?

Par ailleurs, l'action des autres banques centrales, et notamment de la Fed aux États-Unis, entre dans la balance. "C'est important qu’il y ait une sorte de coordination", assure Christopher Dembik.

Car une différence de politique monétaire entre deux pays a un impact sur le taux de change. "Une baisse des taux en Europe aurait pour conséquence une chute de l'euro par rapport à un dollar assez fort, ce qui pourrait créer de l'inflation importée", analyse l'économiste.

Le problème, c'est que la Fed risque de reporter encore la hausse de ses taux, peut-être au-delà de l'été, à cause d'une inflation qui remonte. Que ferait alors la BCE? "Elle sera dans une situation inconfortable, car elle n'aura a priori aucun argument pour retarder la baisse les taux, et inhabituelle, car d'ordinaire la Fed agit en amont de la BCE."

Christine Lagarde a tout de même tenu à rappeler que la BCE "n'est pas dépendante de la Fed". On peut donc parier qu'elle maintiendra son cap, ce qui est toujours important pour les acteurs économiques. "Avec l'anticipation des marchés, c'est mieux de les préparer très à l’avance lorsqu’on a un changement de politique monétaire", conclut Christopher Dembik.

Marine Cardot