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Covid-19: en cas de variants, l'Europe pourra-t-elle produire rapidement de nouveaux vaccins?

Une technicienne en laboratoire étudie le génome du Covid-19 et de ses variants à l'Institut Pasteur, le 21 janvier 2021 à Paris

Une technicienne en laboratoire étudie le génome du Covid-19 et de ses variants à l'Institut Pasteur, le 21 janvier 2021 à Paris - Christophe ARCHAMBAULT © 2019 AFP

Compte tenu de la circulation du virus, l'arrivée d'un nouveau variant résistant aux vaccins n'est pas à exclure. L'Europe se prépare à cette éventualité.

Britannique, sud-africain, brésilien… Lorsque l'on commence à épuiser la liste des pays, on affine la dénomination, comme pour le variant breton. Et si on cherche à préciser un peu plus la localisation, on surnomme même un variant "Henri-Mondor", du nom de l'hôpital de Créteil où a été détectée cette mutation.

En réalité, les variants sont partout et surtout, sont nombreux. "Probablement entre 3000 et 4000 dans le monde" détaille Eric Muraille, biologiste et immunologiste à l'Université Libre de Belgique. La mutation est un phénomène naturel, raison pour laquelle on découvre régulièrement de nouveaux variants et que l'on en ignore probablement beaucoup.

Le variant, c'est donc la bête noire, ce qui transforme le virus originel en un plus redoutable, au détour d'une mutation aléatoire. Meilleur exemple: la souche britannique a acquis la mutation "N501Y" qui facilite sa transmissibilité. Plus compétitive, elle a peu à peu remplacé la première souche en Europe et s'étend désormais en Amérique du Nord, en Asie ou encore en Australie.

Sélection naturelle

Les deux autres célèbres variants, le variant sud-africain et le variant brésilien, possèdent aussi cette mutation mais les deux ont acquis encore d'autres mutations qui rendent ces virus plus résistants à l'immunité et à certains vaccins. Une fois de plus, les souches les plus efficaces pour contaminer sortent gagnantes de la loterie de la sélection naturelle.

Bien d'autres variants ont émergé sans pour autant s'imposer, balayé par les rivaux. L'enjeu des laboratoires qui fabriquent des vaccins est donc de couvrir les souches actuelles les plus répandues et surtout d'anticiper sur celles qui pourraient s'imposer.

"Aucun variant actuel ne semble capable d'échapper à l'immunité induite par les vaccins" tempère Eric Muraille. Concernant le variant britannique, il est pris en charge par les vaccins du marché. Les vaccins à ARN messager (Pfizer/BioNTech et Moderna) semblent aussi présenter une certaine efficacité contre les variants sud-africain et brésilien, ce qui est moins le cas du vaccin d'AstraZeneca, dont la technologie est différente.

Inde et Brésil, incubateurs du futur variant?

En réalité, le scénario noir serait l'apparition d'un nouveau variant qui passe entre les mailles du filet. "Plus vous avez de virus, plus vous avez de variants" résume Eric Muraille. "Il existe un risque d'échappement aux vaccins si on laisse circuler de grandes quantités de virus."

Deux pays inquiètent, compte tenu de la circulation du virus: le Brésil et l'Inde où le nombre de cas explose. L'Inde a, par exemple, enregistré 168.912 nouveaux cas de contamination en une seule journée, en fin de semaine dernière. Au Brésil, on dénombre actuellement 92 souches.

Faut-il alors craindre l'apparition d'un nouveau variant capable d'échapper aux vaccins? L'Europe s'y prépare depuis février. Un incubateur "Hera", qui associe les chercheurs, les entreprises de biotechnologie et les pouvoirs publics a été mis sur pied pour détecter les variants en amont.

Bruxelles a aussi choisi d'accélérer les procédures règlementaires pour valider rapidement les futurs vaccins et les rappels, si une nouvelle campagne vaccinale s'avérait indispensable. De la même façon, la question des matières premières est abordée avec des investissements dans des sites comme celui de Merck, à Molsheim (Alsace) qui produit des cuves en plastique indispensable à la production des vaccins.

La force de frappe européenne

Enfin, les retardataires comme Sanofi (dont on attend le vaccin pour l'automne) peuvent d'ores et déjà lutter contre les variants existants. "Nous avons commencé des recherches sur les nouveaux variants, dont les résultats seront utilisés pour orienter les prochaines étapes du programme de développement" souligne le laboratoire français.

En matière de production de vaccins, le continent aura la capacité de produire deux à trois milliards de doses (toutes marques confondues) par an, d'ici la fin de l'année. "Pour le moment, les choses sont plutôt sous contrôle" estime Patrick Biecheler, Managing Partner chez Roland Berger et spécialiste du secteur. "Mais si la maladie devient saisonnière, alors il faudra créer de nouvelles usines" souligne-t-il

Mais en cas d'émergence soudaine d'un variant dangereux, l'Europe ne sera pas à l'hiver prochain en capacité de produire suffisamment de doses pour vacciner de nouveau toute sa population en un temps record, un mois par exemple. Avec le risque donc, de reparler de confinement.

Les mois à venir seront d'ailleurs déterminants car l'échappement vaccinal se produit notamment lorsqu'il y a suffisamment de cas de Covid-19 en circulation dans un pays où la vaccination a commencé. La pression vaccinale peut ainsi faire émerger des mutations résistantes. D'où l'inquiétude sur l'Inde ou le Brésil.

"Mais un échappement total est très peu probable" rassure Eric Muraille. "Les vaccins actuels induisent une très forte protection et même si un variant échappe partiellement aux vaccins, la protection devrait rester très significative."

En effet, certains vaccins s'avèrent moins efficaces contre des nouveaux variants mais permettent tout de même de développer une réponse immunitaire pour freiner l'épidémie.

Vaccins et gestes barrières

De la même façon, "on ne connaît pas encore la marge d'évolution du virus" explique l'épidémiologiste Mircea Sofonea, spécialiste de la modélisation des maladies infectieuses à l'Université de Montpellier. Peut-être le Covid en a terminé avec ses mutations majeures… "Un des arguments en faveur de l'impasse épidémiologique, c’est le fait que les mêmes variants apparaissent dans plusieurs endroits sans liens entre eux" souligne Mircea Sofonea. C'est par exemple le cas de la mutation E484K.

Si l'Europe veut éviter le reconfinement et enfin sortir de l'épidémie, cela passera donc par la vaccination mondiale. "Il faut surtout s'inquiéter de ceux qui refusent de se faire vacciner car ce sont eux qui serviront de réservoir" prévient Eric Muraille. "Même après la vaccination, il faudra aussi maintenir les gestes barrières jusqu'à avoir un niveau de circulation faible du virus" renchérit Mircea Sofonea.

Et c'est seulement lorsque l'épidémie sera maîtrisée que l'on pourra déterminer si la maladie reviendra d'année en année. Dans ce cas, un rappel vaccinal régulier pourrait bien devenir la norme.

• Le Covid-19 est-il une maladie saisonnière?

On en sait désormais un peu plus sur l'impact des facteurs environnementaux sur le Coivd-19. "Dans le cas du SARS-Cov-2, on évoque une température positive mais inférieure à 10°C et un peu plus d'humidité" résume l'épidémiologiste Mircea Sofonea. L'hiver induit aussi une baisse du système immunitaire, en raison de la baisse de l'ensoleillement, qui lui facilite la tâche. Mais ces facteurs sont totalement balayés lorsque le virus circule autant qu'aujourd'hui car ce sont les comportements qui permettent la transmission. Quelle que soit la température...

• Comment prépare-t-on les futurs rappels?

Si on ignore encore la trajectoire du SARS-Cov-2, on peut imaginer qu'un rappel puisse être nécessaire. Pour la grippe, l'élaboration du vaccin est en réalité un pari sur les nouvelles souches, présentes dans l'hémisphère sud, qui se distingueront dans l'hémisphère nord par la suite (et vice-versa). C'est ce qui explique la faible efficacité, certaines années, du vaccin contre la grippe.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business