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Covid-19: comment la même mutation du virus a pu apparaître à différents endroits du monde?

Une technicienne travaille sur le séquençage du génome du Sars-CoV-2 et de ses variants à l'Institut Pasteur, le 21 janvier 2021 à Paris

Une technicienne travaille sur le séquençage du génome du Sars-CoV-2 et de ses variants à l'Institut Pasteur, le 21 janvier 2021 à Paris - Christophe ARCHAMBAULT © 2019 AFP

La mutation E 484 K a été identifiée sur trois variants différents du SARS-CoV-2, au Brésil, en Afrique du Sud et au Royaume-Uni. Parmi les centaines de milliards de mutations possibles, pourquoi celle-ci s'est elle distinguée?

Une mutation des variants sud-africain et brésilien a également été découverte sur le variant britannique du Covid-19. Nommée E 484 K elle est suspectée de favoriser la résistance du virus aux anticorps et inquiète autant qu'elle interroge, car elle est apparue à plusieurs endroits du monde, sur des variants différents.

"Ce qui est très troublant c'est que cette mutation apparait à plusieurs endroits dans le monde de façon totalement aléatoire, mais chaque fois, elle est sélectionnée positivement", a expliqué ce jeudi sur BFMTV Vincent Maréchal, professeur de virologie et virologue au centre de recherche Saint-Antoine (Paris). "Il y a une sorte de billet de loterie tiré par les virus au cours de leur évolution, et ce billet de loterie gagnant a été tiré à plusieurs endroits dans le monde."

· Pourquoi une mutation s'impose-t-elle?

De nombreuses inconnues existent actuellement sur le SARS-Cov-2, mais les chercheurs comprennent petit à petit son fonctionnement. Ce virus a par exemple "tendance à muter plus lentement que d’autres virus, comme le VIH ou les virus grippaux", explique l'Organisation Mondiale de la Santé. Une mutation chez un virus est une nouvelle caractéristique acquise quand il se réplique à l'intérieur d'un organisme. Elle ne lui est pas forcément favorable, mais parfois, elle lui permet un gain de fonction, qui perdure.

"Quand il rentre dans une cellule, le virus se multiplie, il se photocopie, et il y a des erreurs de photocopie, qu'on appelle mutations", explique à BFMTV.com François Renaud, biologiste de l'évolution, directeur de recherches au CNRS. Parmi ces "erreurs", "ne vont persister que celles qui donnent un avantage au virus".
Le virus "va tester différentes mutations de façon aléatoire. Si la mutation lui est bénéfique, s'il infecte mieux, est plus contagieux, elle prolifère. Il y a un mécanisme de sélection qui se met en place", abonde à BFMTV.com Eric Billy, chercheur en immuno-oncologie à Strasbourg.

Donc quand une mutation est favorable à la circulation du virus, par exemple en le rendant plus contagieux, elle s'impose. "C'est un jackpot pour le virus" souligne Vincent Maréchal, qui explique que "les virus sont en compétition les uns avec les autres", et le plus dominant va écraser les autres. Le variant britannique s'est par exemple imposé au Royaume-Uni, par rapport à la souche de base découverte début 2020, notamment parce qu'il est plus contagieux.

· Quel avantage donne le E484 K au SARS-Cov-2?

Ainsi, le fait que dans trois régions du monde, des variants du Covid-19 partagent une mutation similaire peut signifier qu'elle procure un gain de fonction clair au virus. La variation E 484 K semble par exemple lui permettre de s'accrocher plus facilement à nos cellules.

"Cette mutation permet un meilleur attachement de Spike sur le récepteur, donc une meilleure infection des cellules. Il est donc certainement plus infectieux et pourrait se transmettre plus rapidement", explique à L'Obs Daniel Duna, chercheur du CNRS au centre de physiopathologie de Toulouse Purpan.

Selon des recherches préliminaires sur cette mutation, elle pourrait également diminuer l'efficacité de certains vaccins. Une étude de l'univeristé de Cambridge réalisée avec le vaccin Pfizer montre que lorsque la mutation E 484 K était présente, 10 fois plus d'anticorps étaient nécessaires pour neutraliser le virus après la première dose, explique Sky News.

· Comment est-elle apparue à différents endroits, sur différents variants?

Plusieurs hypothèses s'affrontent pour expliquer la présence de E 484 K au Brésil, en Afrique du Sud ou au Royaume-Uni, sur leurs différents variants. Avec près de 105 millions de personnes infectées dans le monde depuis le début de la pandémie, le SARS-Cov-2 a eu des centaines de milliards de possibilités de muter. L'apparition à plusieurs reprises de cette mutation dans des lieux très différents peut donc sembler étonnante.

Mais pour François Renaud, au contraire, "étant donné la multitude de possibilités, la probabilité qu'une même mutation apparaisse à différents endroits n'est pas nulle". De plus, si cette mutation confère un fort avantage au virus "on va plus la remarquer".

La forte circulation du virus dans certaines zones du monde - et donc la possibilité pour le virus d'expérimenter plus de mutations - pourrait aussi être un facteur commun ayant permis l'apparition de cette même mutation, qui donne un avantage à SARS-CoV-2.

Pour François Renaud, on ne peut également pas retirer l'hypothèse selon laquelle cette mutation est apparue à un seul endroit avant de migrer. "On l'a détectée et identifiée à un moment, mais elle existait avant. Il est possible qu'elle soit apparue à un endroit et ait été déplacée après".

· Quelles conséquences pour l'épidémie?

Si cette mutation rend le virus plus contagieux, et qu'elle s'impose, cela pourrait entrainer de nouvelles mesures de restrictions, comme cela avait été le cas avec le variant britannique. Le risque est également qu'elle rende le virus plus virulent, ou qu'elle modifie l'efficacité des vaccins.

En revanche, si E 484 K est apparu de façon isolée à différents endroits, cela peut signifier que le SARS-CoV-2 "choisit toujours la même mutation", explique Vincent Maréchal, "l'espace évolutif du virus n'est peut-être alors pas si grand". Il serait ainsi possible d'une certaine façon de prévoir la liste de ces mutations, et de pouvoir anticiper les vaccins qui sauraient y réagir.

"Le meilleur allié serait un virus très contagieux, mais pas virulent, qui prendrait le dessus sur les autres" grâce à sa forte contagiosité, mais entrainerait moins de gravité chez ceux qui l'attrapent, imagine de son côté François Renaud.
Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV