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Retraites: le succès de la mobilisation du 19 janvier signe-t-il le grand retour des syndicats?

Alors que les statistiques montraient un déclin de leur influence, les organisations syndicales sont parvenues à mobiliser massivement face à la réforme des retraites en rassemblant un à deux millions de personnes dans les rues le 19 janvier.

Nombreux étaient les observateurs qui doutaient de la capacité de mobilisation des organisations syndicales au cours des dernières années. Annoncée en grande pompe par un front syndical uni jamais observé depuis 2010 quelques instants après la conférence de presse de présentation du projet de réforme des retraites du gouvernement, la mobilisation du jeudi 19 janvier avait tout de l'épreuve de vérité. Et les syndicats semblent l'avoir réussie, en tout cas ponctuellement, en rassemblant 1,12 million de personnes selon les pouvoirs publics tandis qu'ils revendiquent le franchissement de la barre des deux millions de manifestants de leur côté.

Si on se fie aux chiffres des pouvoirs publics, il s'agit tout simplement de la troisième journée de mobilisation à l'initiative des syndicats ayant rassemblé le plus de monde depuis 30 ans en France. Le 12 octobre 2010, la manifestation contre la réforme des retraites d'Eric Woerth avait mobilisé 1,23 million de personnes tandis que celle contre la loi "Fillon" en avait réuni 100.000 de moins le 13 mai 2003. Si on privilégie les chiffres des syndicats, la mobilisation d'hier est proche du niveau atteint par celle du 12 décembre 1995 lorsque plus de 2,2 millions de personnes avaient défilé contre le plan Juppé. Alors, est-ce que le jeudi 19 janvier signe le retour en force des organisations syndicales? BFM Business vous donne quelques éléments de réponse.

Des délégués syndicaux aux représentants du personnel

Avant d'émettre des hypothèses sur l'impact à terme de cette première journée de mobilisation contre la réforme des retraites, il est nécessaire de rappeler quelle était la situation syndicale française il y a encore quelques semaines et ses tendances récentes. Pour faire court, la tendance globale depuis environ un demi-siècle est à un recul de la présence syndicale au sein du salariat. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène comme l'émergence d'une économie de services au détriment du secteur secondaire, les réformes du dialogue social ou encore les avancées en matière de législation du travail avec les lois Aubry sur les 35 heures et les RTT.

"Dans tout un ensemble de secteurs, la présence des syndicats est faible voire inexistante, cette situation étant souvent entretenue par des attitudes patronales hostiles à leur implantation", explique Pierre Rouxel, maître de conférences en science politique à La Tribune.

"Ces constats sont bien sûr à nuancer: dans les grands établissements industriels par exemple, les syndicats demeurent bel et bien présents et connaissent même des formes de renouvellement de leurs effectifs militants", ajoute-t-il.

Les délégués syndicaux se muent de plus en plus en représentants du personnel spécialistes du dialogue social. Plus récemment, les ordonnances Macron de 2017 ont participé à concentrer les responsabilités syndicales tout en réduisant le nombre de représentants du personnel. "Cette situation a contribué à fragiliser les liens quotidiens de ces représentants avec leurs collègues, ouvrant la voie à des mobilisations qui s'affranchissent du cadre syndical, comme récemment à la SNCF", souligne le politiste de l'Université Rennes 2.

Hausse des manifestations au détriment des grèves qui profite aux "concurrents"

En plus de s'affaiblir de lui-même, le mouvement syndical est confronté à l'émergence d'une concurrence. Celle-ci profite du recul de la grève depuis plusieurs décennies qui est là aussi lié aux mêmes facteurs socio-économiques à savoir la désindustrialisation, l'éclatement des collectifs de travail ou encore la hausse de la précarité. "Le recours à la grève tend ainsi à se recentrer sur un noyau de plus en plus réduit de salariés, dans les services publics ou dans certains secteurs industriels, tandis qu'il se réduit à la portion congrue dans de larges fractions du monde du travail, notamment dans les métiers des services et dans les petites et moyennes entreprises", constate Pierre Rouxel.

Aux grèves se substituent les manifestations en guise de formes de protestation, ce qui laisse la porte ouverte à des organisations moins formelles et structurelles que les syndicats, en d'autres termes à des mouvements comme celui des Gilets jaunes typiquement.

"Mobilisant des franges des classes populaires très peu organisées par les syndicats (ouvriers des TPE/PME, employées des métiers du « care », personnes éloignées de l'emploi, etc.), ce mouvement social d'envergure s'est caractérisé, au moins initialement, par une méfiance vis-à-vis des organisations syndicales (par ailleurs réciproque) et par des registres d'action éloignés des leurs, avec des manifestations les week-ends et des occupations de ronds-points", analyse le politiste.

Un contexte social favorable, un levier politique disponible

Sur le temps long, le contexte semble plutôt défavorable aux organisations syndicales mais sur le court terme, elles semblent bénéficier d'un retour aux premiers plans des revendications salariales comme la revalorisation du SMIC ou l'amélioration des conditions de travail et plus largement de vie. "Depuis 2021, la montée des prix s'est quant à elle accompagnée d'une recrudescence des grèves pour des hausses de salaires, notamment dans des secteurs réputés peu contestataires (grande distribution, agroalimentaire, etc.)", ajoute Pierre Rouxel.

"Si ces conflits ont eu jusqu'ici une dimension sectorielle et localisée, ils sont aussi susceptibles de favoriser la consolidation d'une « conscience salariale » et l'identification d'intérêts communs entre différentes fractions d'un monde du travail fragmenté."

Alors que le chercheur estime que les syndicats auraient désormais tout intérêt à inclure les forces politiques dans leur mobilisation, les organisations syndicales avaient ouvert la porte à cette convergence en vue de la journée du 19 janvier. Une invitation à laquelle ont répondu favorablement certaines personnalités de gauche bien que de jeunes militants des partis de gauche soutenus par La France Insoumise aient préféré organiser son propre rassemblement ce samedi.

Transformer l'essai

Après le succès de la mobilisation de jeudi, le plus dur est à venir pour les organisations syndicales qui vont devoir transformer l'essai. Sur le fond, elles profitent d'une thématique qui concerne tous les travailleurs et contre laquelle un nombre important d'entre eux peuvent se rassembler à savoir le recul de l'âge légal de départ à la retraite. Sur la forme, les syndicats doivent éviter d'agir par épisodes d'action journaliers afin de donner du poids à la contestation pour espérer obtenir le retrait du projet présenté par le gouvernement mais sans pour autant que le mouvement perde en popularité auprès des Français.

Plusieurs représentants syndicaux évoquent ainsi le souhait de mener d'autres opérations d'ampleur comme le secrétaire national de la CFDT Yvan Ricordeau. "Tant qu'il y aura une réforme dont l'équilibre reposera sur le report de l'âge légal, les organisations syndicales feront des mobilisations", a-t-il expliqué sur RTL ce vendredi matin. Même son de cloche chez la secrétaire générale de la CGT-Education Marie Buisson. "On veut aller jusqu'au retrait de la réforme", insistait sur Franceinfo la candidate à la succession de Philippe Martinez tout en appelant à des "grèves massives et fortes". Cette dernière espère que la prochaine journée de mobilisation, prévue le mardi 31 janvier, attirera au moins autant de personnes que celle du 19.

Avant cette journée, arrêtée sous l'impulsion de la CFDT alors que d'autres syndicats préféraient une échéance plus courte, les organisations appellent à multiplier les actions, en particulier autour du 23 janvier, jour de présentation de la loi en Consiel des ministres. Secrétaire confédérale de la CGT, Catherine Perret a évoqué jeudi des rassemblements "devant les préfectures" lundi.

"L'important, c'est qu'il y ait un feu roulant d'actions qui montre que tous les jours les salariés sont déterminés à ne pas laisser ce gouvernement tranquille", explique la représentante syndicale.
Timothée Talbi