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"C'est ma façon de participer": ils contribuent aux caisses de grève faute de pouvoir débrayer

De nombreux Français, fermement opposés à la réforme des retraites, préfèrent contribuer financièrement aux caisses de grève plutôt que de se mettre en grève ou de descendre dans la rue. Chefs d'entreprise, retraités, expatriés ou encore salariés... des Français dans l'impossibilité de débrayer expliquent à BFMTV.com pourquoi ils ont décidé de mettre la main à la poche.

"Mettre la main à la poche", c'est le moyen le plus efficace que Clara a trouvé pour "prendre part de manière active" à la mobilisation contre la réforme des retraites. Depuis le début de la mobilisation en janvier, cette webmaster de 45 ans a déjà versé près de 600 euros aux caisses de grève. Ce mois-ci, elle y a même laissé un quart de son salaire, sans pour autant se mettre en grève auprès de son employeur.

"C'est ma façon de participer. Je veux être cohérente avec mes idées, ne pas être hypocrite", lance à BFMTV.com Clara, employée dans un petit magazine santé.

"Je suis contente que d'autres fassent grève. Je suis persuadée que c'est un réel levier pour instaurer un rapport de force avec le gouvernement", ajoute-t-elle.

"Mais je sais aussi qu'à mon poste, me mettre en grève n'aurait strictement aucun impact, contrairement à un éboueur ou à un cheminot. Moi, personne ne s'apercevrait véritablement de mon absence, donc je préfère soutenir les grévistes qui ont des postes essentiels en les aidant financièrement".

"Si je fais grève, ça ne contrarie que moi"

Comme Clara, de nombreux Français dans l'impossibilité de faire grève trouvent dans ces caisses de grève un moyen de prendre part à la mobilisation. Depuis quelques jours, les caisses de grève enregistrent des dons records: plus de 2,7 millions d'euros ont été récoltés grâce aux deux cagnottes lancées par la CGT et Sud. L'équivalent de 300 contributions par jour depuis janvier.

Vendredi dernier, Syphaïwong Bay a elle aussi préféré faire un don de 50 euros à la caisse lancée par la CGT-Sud, plutôt que de se mettre en grève et/ou de rejoindre les cortèges.

"Je ne me voyais pas aller manifester. Je ne supporte pas d'être mêlée à la foule. Ça m'oppresse, j'ai une tendance agoraphobe et je redoute toujours les faits de violence", confie cette habitante de Reims, âgée de 33 ans.

"Et puis c'est compliqué, en tant que dirigeante d'une toute petite entreprise de cinq salariés. Si je fais grève, ça ne contrarie que moi car je ne génère pas de revenus", ajoute Syphaïwong Bay. Pour elle, les caisses de grève sont donc "un moyen très facile de contribuer à l'effort". "On sacrifie une partie de notre paie pour tous ces gens qui manifestent à notre place", affirme-t-elle.

"Pour moi c'est une très bonne alternative. Ça comble ma frustration, parce que jusqu'alors je me sentais un peu écartée des débats avec mon entourage, vu que je ne participais pas aux manifestations", développe encore cette cheffe d'entreprise dans le web marketing, qui avait "l'impression de ne pas pouvoir donner mon avis parce que je ne pouvais pas m'impliquer personnellement".

La solidarité des retraités et expatriés

Et les dons affluent aussi en masse depuis l'étranger. Depuis Tokyo où il travaille en tant que professeur détaché depuis plus de vingt ans, François Roussel a versé à la caisse de grève l'équivalent d'une journée de salaire - soit 150 euros. Et cet ancien Francilien de 61 ans compte bien remettre la main au porte-monnaie dans les jours à venir.

"J'ai beau habiter au Japon, je reste Français. Je ne serais probablement pas concerné par cette réforme, mais j'aimerais pouvoir être dans la rue en ce moment pour défendre ceux qui ont le droit d'avoir accès à une retraite bien méritée", assure à BFMTV.com ce professeur de français et de civilisation française, qui redoute que la France ne perde "son système de solidarité intergénérationnel".

Bien qu'il soit à la retraite depuis dix ans, Alain Huertas non plus n'a pas hésité une seconde à ajouter 50 euros à la cagnotte de la CGT, dès qu'il l'a découverte sur son fil d'actualité Facebook. "J'ai mis selon mes moyens, c'était le moins que je puisse faire. De toute façon, je n'avais pas d'autre moyen d'action à part m'indigner sur les réseaux sociaux", confie cet homme.

Le septuagénaire affirme qu'il tenait à "faire preuve de solidarité", que ce soit pour "ses anciens collègues ou pour tous les Français qui travaillent dans des métiers difficiles et pour qui c'est particulièrement injuste", confie cet ancien commercial dans le BTP, originaire de Marseille.

Appels au doublement des dons sur Twitter

De la même manière, certains Français pas particulièrement inquiets par rapport à leur propre situation mettent tout de même la main à l'ouvrage. C'est par exemple le cas d'Anthony Ramine, ingénieur informaticien de 35 ans au salaire plus que confortable, qui n'a "pas trop envie qu’on rallonge le temps de travail de qui que ce soit".

Aujourd'hui, il se joint aux cortèges parisiens, bien qu'il ne soit pas obligé de se mettre en grève pour aller manifester puisque son employeur ne l'oblige pas à "faire acte de présence". Alors pour compenser et exercer une réelle pression sur le gouvernement, il "apporte un peu d'aide financière pour que le mouvement se poursuive jusqu'au retrait complet de cette réforme injuste", explique ce trentenaire parisien.

Dimanche, comme d'autres en ligne, il a même lancé un appel aux dons sur Twitter, en promettant aux participants de "doubler leur mise jusqu'à 1000 euros". Un objectif atteint par les internautes en à peine une heure.

Pour lancer ce défi virtuel, cet ingénieur dit s'être inspiré "des mouvements sociaux aux États-Unis où ils ont davantage l'habitude de faire ce genre d'annonces de doublement de dons, après une longue réflexion et avoir fait plusieurs dons anonymes dans mon coin depuis 2019".

"Je suis passé outre l'impression de me mettre en avant et je me suis plutôt focalisé sur le fait que le double de 1312 euros, c'était mieux que juste 1312 euros", conclut Anthony Ramine, qui se bat aussi pour sa mère, qu'il a vu travailler "dans la restauration depuis très jeune". "Ça lui a ruiné les chevilles, (...) elle a été sous-payée et parfois pas complètement déclarée donc il lui manque tout un tas de trimestres dont elle ne verra jamais la couleur, et maintenant faudrait qu'elle bosse deux ans de plus? Non merci".

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV