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Economie et Social

Les Français accordent de moins en moins d'importance au travail

Une étude de l'institut de sondage Ifop pour la Fondation Jean Jaurès analyse le nouveau rapport des Français au travail qui se révèle plus distant dans le sillage de la pandémie de coronavirus.

C'est une tendance de fond qui était déjà pressentie pendant la pandémie de coronavirus. Et elle se confirme alors que le "retour à la normale" est à l'oeuvre depuis maintenant plusieurs mois. Le rapport au travail des Français a changé. L'institut de sondage Ifop l'avait déjà évoqué dans une première note pour la Fondation Jean-Jaurès intitulée "Plus rien ne sera jamais comme avant dans sa vie au travail" cet été. Il réitère ce constat dans une nouvelle enquête baptisée "Je t'aime, moi non plus: les deux ambivalences du nouveau rapport au travail".

L'évolution au cours des trois dernières décennies est assez évocatrice puisque seulement un salarié sur cinq estime aujourd'hui que le travail est "très important" contre 60% en 1990. "Nous ne disons pas que les gens sont paresseux, mais que le travail doit s’adapter à eux et non le contraire", explique à L'Opinion Romain Bendavid, directeur de l'expertise Corporate et work experience de l'institut de sondage.

Un climat anxiogène sur le marché de l'emploi

D'autres données, sur des durées bien plus réduites, montre l'ampleur de ce changement structurel. Il y a à peine 15 ans, près de deux Français sur trois acceptaient d'avoir moins de temps libre en échange de revenus plus élevés. En 2022, le rapport s'est complètement inversé si bien qu'ils sont désormais deux fois plus nombreux à préférer avoir davantage de temps libre même si cela implique de gagner moins d'argent.

"Les comportements sociétaux plus individualistes (...) engendrent en contrepartie moins d’attachement à des structures comme le travail qui requièrent un effort d’adaptation à un collectif", indique la note de Romain Bendavid, co-rédigée avec Flora Baumlin, directrice d'études Corporate et work experience de l'Ifop.

Selon les deux auteurs, ce rapport différent au travail s'explique par un marché de l'emploi qui a vu apparaître et persister le chômage de masse.

"Il en a résulté un rapport à l’emploi qui s’est le plus souvent façonné dans un climat anxiogène et contribuant à désacraliser un idéal de réussite et de méritocratie par le travail", détaille la note.

Si bien que la figure du salarié en freelance gagne en popularité comme le démontrait déjà un précédent baromètre de l'Ifop pour Freelance.com datant de fin de 2021. Dans celui-ci, presque trois interviewés sur quatre avaient une bonne opinion des freelances et un quart des jeunes cadres lorgnaient sur ce statut.

La démission silencieuse serait plutôt la volonté de séparer vies professionnelle et personnelle

Autre évolution notable, l'esprit corporate perd du terrain. Entre 2005 et 2022, la part des salariés ne se déclarant pas fier d'appartenir à leur entreprise a pratiquement doublé. Une tendance qui s'expliquerait notamment par les nombreux scandales ayant entaché la réputation de nombreux grands groupes et le mouvement de libération de la parole sur les méthodes managériales discutables dans plusieurs entreprises.

"Si 77% estiment que leur entreprise prend bien en compte les besoins et attentes de ses clients, seule une courte majorité (51%) considère qu’il en va de même pour ses salariés", évoque les deux auteurs.

En revanche, cette distance qui s'accroît entre salariés français et travail n'est pas synonyme de moindre investissement dans leurs tâches. D'après les résultats d'une enquête Ifop, ils sont 77% à déclarer qu'ils font en général plus que ce qui est attendu avec une proportion un peu plus importante de salariés ayant le sentiment que leurs managers ne le remarquent pas.

Un salarié sur cinq dit faire ce qui est attendu de lui sans surinvestissement, un ratio semblable à ceux qui pratique la démission silencieuse ou "quiet quitting". "Ce phénomène pourrait ainsi être entendu non pas comme une 'démission' de l’investissement dans son travail, mais plutôt comme le fait de réellement fermer la porte au travail une fois la journée professionnelle terminée", relativise Floran Baumlin et Romain Bendavid.

Timothée Talbi