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Inflation: le gouvernement peut-il bloquer les prix?

L'exécutif peut effectivement instaurer un blocage des prix mais dans des conditions exceptionnelles auxquelles ne semble pas répondre l'inflation actuelle. Par ailleurs, le blocage des prix induit des effets collatéraux néfastes à moyen terme.

Le sujet a tourné à la passe d'armes entre l'exécutif et les représentants de La France Insoumise la semaine dernière. Lors de son intervention télévisée, Emmanuel Macron assurait que les blocages de prix ne marchent pas car "les prix ne sont plus administrés dans notre pays". Mathilde Panot l'avait alors accusé de mentir, arguant que "le code du commerce permet à la Première ministre de bloquer les prix par simple décret." Avant que Manuel Bompard ne plaide à son tour en faveur de cette mesure sur le plateau de BFMTV: ""Si on veut enfin apporter une réponse concrète aux questions de pouvoir d'achat, il faut des mesures de blocage des prix."

"Les prix sur l'agroalimentaire ont augmenté de 21% en deux ans. Dans le même temps, les marges de l'industrie agroalimentaire ont augmenté de 70% : il y a une injustice et il faut apporter une réponse."

Comme l'explique Frédéric Bizard, professeur à l'ESCP, l'ordonnance de 1945 qui permettait d'administrer les prix a cessé d'exister en 1986. "C'est la libre-concurrence qui fonctionne en dehors des secteurs sur lesquels on a conservé une administration des prix comme le prix du livre, le prix du médicament, le prix du taxi", précise-t-il.

Une inflation déjà vue et qui n'est pas propre à la France

En revanche, il existe bel et bien une disposition du Code du commerce qui permet de bloquer les prix "mais de façon temporaire, c'est-à-dire pour une durée maximale de six mois et dans certaines circonstances exceptionnelles, notamment une crise", évoque Aurélie Dellac. Or, l'inflation actuelle ne constitue pas nécessairement une circonstance exceptionnelle, selon l'avocate en droit économique: "L'inflation à deux chiffres répond à des considérations macroéconomiques. Ce n'est pas la première fois que ça arrive en France donc on pourrait considérer que ce n'est pas une circonstance exceptionnelle."

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Un avis derrière lequel se range également l'économiste Mathieu Plane, directeur adjoint du département prévisions et analyse de l'OFCE.

"On est face à un choc inflationniste mondial qui n'est pas propre à la France. Les circonstances exceptionnelles sont difficiles à définir mais il faut des choses particulières qui soient liées par exemple à des phénomènes climatiques, sanitaires, de guerre."

De son côté, Frédéric Bizard rappelle le caractère généralisé de la hausse des prix. "Si elle était vraiment concentrée sur un panier de biens, sur un secteur proprement dit, on rentrerait dans un cas où une intervention pourrait être efficace, ajoute-t-il [...] On ne peut pas dans les conditions légales actuelles bloquer les prix : l'arrêté serait probablement retoqué par le Conseil d'Etat."

Risques de pénurie, de baisse de qualité et de mauvais ciblage

Cependant, le professeur à l'ESCP estime que l'Etat pourrait quand même intervenir et cite en exemple le panier anti-inflation que la ministre déléguée au Commerce Olivia Grégoire avait proposé de définir il y a quelques mois: "L'idée n'était pas de réglementer les produits mais de réglementer un panier de biens."

Plus qu'un contexte économique qui ne s'y prête pas, Frédéric Bizard insiste sur les effets collatéraux négatifs du blocage des prix. "A court terme, le blocage des prix a un réel impact positif sur le pouvoir d'achat car à partir du moment où vous bloquez les prix des produits de première nécessité, ceux qui ont un pouvoir d'achat limité se retrouvent en situation plus favorable pour consommer ces prix", concède-t-il.

Mais le blocage des prix peut entraîner une ruée sur les stocks. "Les gens pensent que ça ne va pas durer et on se retrouve dans une situation de pénurie assez rapidement", explique-t-il. La pénurie peut également être favorisée par une baisse de production qui résulte du plafonnement du prix, ce dernier étant "une incitation très forte à produire dans une économie de marché". Les producteurs peuvent aussi diminuer la qualité du produit ou du service délivré. "Sur le plan social, ce sont plutôt les hauts revenus qui en bénéficient car ils consomment davantage que les revenus faibles, conclut l'expert [...] Et puis ça endette l'Etat car ça développe un marché noir, du troc. Ce qui affaiblit l'Etat affaiblit les services publics et donc la classe moyenne."

Timothée Talbi