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Citadins, ruraux, couples, célibataires... Pourquoi vous ne ressentez pas tous l'inflation de la même façon

L'ampleur du choc inflationniste ressenti par les ménages dépend avant tout de leur niveau de vie et de leurs habitudes de consommation.

Cauchemar du consommateur, l'inflation a signé son grand retour. D'abord alimentée par la hausse des coûts de production liée à la reprise de l'économie mondiale au second semestre 2021, l'augmentation des prix n'a eu de cesse d'accélérer dans les mois qui ont suivi, soutenue par la flambée des prix l'énergie et, depuis peu, par les conséquences de la guerre en Ukraine.

En France, les prix ont progressé de 4,5% en mars, sur un an. Mais tout le monde ne subit pas la même inflation. Le degré d'exposition à ce phénomène qui grignote le pouvoir d'achat dépend du niveau de vie et de la structure de consommation de chaque ménage. Qui plus est, dans un contexte d'augmentation des prix liée à l'énergie et à l'envolée des matières premières, l'ampleur du choc subi dépendra surtout du mode de chauffage utilisé, du mode de transport utilisé, et de ses habitudes alimentaires.

Pour mieux comprendre l'impact hétérogène de l'inflation, nous prendrons ici l'exemple de quatre ménages fictifs qui, en raison de leur mode de vie, leur catégorie socioprofessionnelle, leur lieu de résidence ou leurs habitudes de consommation, n'ont pas eu le même ressenti de la hausse généralisée des prix ces derniers mois.

Des comparaisons qui permettent de conclure que les personnes modestes et celles vivant en milieu rural sont souvent les plus touchées par l'inflation.

Conscient des limites de la mesure de l'inflation au niveau national, l'Insee a mis en ligne un simulateur permettant à chacun de calculer son taux d'inflation personnalisé, en fonction de sa structure de consommation. Le simulateur est à retrouver ici.

• Martin, cadre, célibataire, locataire à Paris

Martin
Martin © BFM Business

Habitant à Paris, Martin a vu sa facture énergétique augmenter dans une moindre ampleur qu'ailleurs en France, selon les données de l'Insee. Dans l'agglomération parisienne en effet, la hausse moyenne de la facture énergétique a progressé de 30 euros en moyenne entre fin 2021 et novembre 2019, dont 17 euros pour le gaz et 5 euros pour les carburants. Or, Martin emprunte les transports en commun, dont l'abonnement n'a pas augmenté, pour se rendre au travail. Ce qui le met à l'abri de la flambée des prix à la pompe.

Cadre, Martin dispose d'un niveau de vie confortable, parmi les 20% les plus élevés. En grande surface, ses habitudes de consommation s'orientent plus facilement vers les produits alimentaires des marques nationales, certes plus chers que les autres mais pour l'heure épargnés en partie par l'inflation. Selon le panéliste IRI, les prix de ces références ont baissé en 2021, contrairement aux produits des marques distributeurs et les premiers prix qui ont légèrement augmenté à compter du second semestre.

Surtout, l'inflation des marques premiers prix a atteint 5,39% en mars 2022 sur un an, contre seulement 1,19% pour les produits des marques nationales. L'envolée des coûts de production se répercute en effet plus vite aux marques distributeurs qui ont des marges plus faibles, difficiles à rogner.

Qui plus est, les prix des produits des marques nationales sont fixés chaque année dans le cadre des négociations commerciales entre distributeurs et industriels, lesquels ont achevé la session 2022 en mars. D'où un délai plus long avant de répercuter la flambée des coûts sur les étiquettes en magasin.

N'ayant pas d'enfant et vivant seul, Martin consacre de surcroît une moindre part de son budget (14,6% en moyenne selon l'Insee) à l'alimentation que toutes les autres structures ménages (couples avec enfants, couples sans enfant, familles monoparentales...). En revanche, son loyer pèse plus lourd, d'autant plus à Paris. Sachant que la revalorisation des loyers est liée à l'inflation par le biais de l'indice de référence des loyers (ou IRL), Martin devra à l'avenir dépenser davantage pour son logement.

En attendant, son taux d'inflation reste inférieur à celui de la moyenne nationale. Selon l'OFCE, un ménage habitant en agglomération parisienne a connu une inflation de 3% en moyenne en décembre 2021 sur un an, soit 0,4 point de moins que hors agglomération parisienne et 0,8 point de moins qu'en zone rurale.

• Ahmed et Isabelle, couple avec deux enfants, habitent en périphérie de Lyon

Ahmed et Isabelle
Ahmed et Isabelle © BFM Business

Salariés, Ahmed et Isabelle perçoivent chacun une rémunération équivalente au Smic. Leur niveau de vie calculé en tenant compte de la composition du foyer est très inférieur à la médiane nationale. En tant que ménage modeste, ils consacrent une part plus importante de leur budget à l'énergie. Or, l'énergie est le principal moteur de l'inflation. Le choc subi est donc important.

D'après les données de l'Insee, 10% de la dépense de consommation des ménages du premier dixième de niveau de vie s'oriente vers l'électricité et le gaz pour le logement et vers les carburants pour le transport, contre 7% pour les 10% les plus aisés. Par ailleurs, les transports au sens large (carburants, réparation, transports en commun, etc.) est le poste de dépense qui pèse le plus lourd dans la consommation des ménages composés d'un couple avec enfants: 17,8% en moyenne.

Le budget déjà limité d'Ahmed et Isabelle est d'autant plus affecté par la flambée des prix des carburants qu'ils sont tous les deux obligés de prendre leur voiture chaque jour pour aller travailler, à 15 km de leur domicile. Le couple fait donc au total 60km par jour aller-retour. En supposant qu'ils aient chacun un véhicule diesel consommant 6 litres aux 100km, Ahmed et Isabelle dépensaient 99,2 euros par mois en mars 2021 pour les seuls déplacements domicile-travail. Un an plus tard, avec l'envolée des prix à la pompe, la facture a grimpé à 142,4 euros. Soit une hausse de 44%.

L'alimentation est aussi un poste de dépense important pour les foyers composés d'un couple avec enfants (16% de la consommation en moyenne) et plus largement pour les 25% des ménages les plus modestes (18,3%). Pour réduire la facture, Ahmed et Isabelle se tournent davantage vers les marques distributeurs premiers prix en supermarché. Mais comme expliqué précédemment, ce sont précisément ces marques qui ont vu leurs prix le plus augmenter ces derniers mois (+5,39% en mars 2022, sur un an). L'inflation est donc davantage perceptible par Ahmed et Isabelle que par Martin.

• Jacques et Marie-Claude, couple de retraités propriétaires, habitent à Sarlat (Dordogne)

Jacques et Marie-Claude
Jacques et Marie-Claude © BFM Business

Propriétaires d'une vieille maison en Dordogne, Jacques et Marie-Claude ne sont pas non plus épargnés par le retour de l'inflation. Comme 3,4 millions de foyers, le couple se chauffe au fioul dont le prix a explosé de 33,8% en 2021, passant de 775 euros les 1000 litres en moyenne au 1er janvier, à 1037 euros au 31 décembre. De plus, l'OFCE explique qu'en décembre dernier, l'inflation des ménages dont la personne de référence est retraitée était généralement plus élevée que celle d'un ménage dont la personne est en emploi: 3,7% en moyenne, contre 3,3%. Un écart "probablement" lié aux "logements plus anciens" davantage occupés par les retraités et plus difficiles à chauffer.

Jacques et Marie-Claude vivent de surcroît dans une petite ville de moins de 20.000 habitants, où la facture énergétique mensuelle entre octobre 2019 et fin 2021 a augmenté de 40 euros en moyenne, selon l'Insee. Soit plus que dans les villes de taille moyenne (37 euros), les grandes villes (32 euros) et l'agglomération parisienne (30 euros). Notre couple de retraités doit également composer avec l'augmentation des prix alimentaires. Il s'agit en effet de la catégorie de la population qui consacre le budget le plus important à l'alimentation (19,5% de la consommation). Leurs pensions leur permettent néanmoins d'être moins vulnérables à l'inflation des produits alimentaires qu'Ahmed et Isabelle.

S'agissant du poste des transports, Jacques et Marie-Claude sont relativement épargnés par la flambée des prix. Ils ont récemment fait l'acquisition d'un véhicule électrique qu'ils n'utilisent qu'occasionnellement. D'une manière générale, les transports ne représentent que 14,2% de la consommation des retraités, selon l'Insee. Le niveau le plus faible, après les inactifs.

Bien que propriétaires, Jacques et Marie-Claude ne sont pas pour autant à l'abri d'une hausse de leurs dépenses liées au logement et en particulier de la taxe foncière. En effet, son montant est calculé sur la base des valeurs locatives cadastrales des biens qui elles-mêmes, ajustées en fonction de l'évolution de l'inflation, vont progresser de 3,4% en 2022. La taxe foncière devrait donc augmenter d'autant.

• Sonia, cheffe d'entreprise, habite en zone rurale

Sonia
Sonia © BFM Business

Cheffe d'une PME, Sonia habite en zone rurale, dans un village de Mayenne. Chaque jour, elle effectue un trajet de 20km pour rejoindre son entreprise implantée à Sablé-sur-Sarthe. En outre, son métier la contraint à de nombreux déplacements professionnels, au point que Sonia fait partie de ceux que l'on appelle les "gros rouleurs" avec environ 20.000km par an au compteur. Son véhicule à essence consomme 8l/100km, si bien que sa facture de carburants était d'un peu moins de 200 euros par mois aux prix de mars 2021. Aujourd'hui, Sonia doit dépenser plus de 50 euros supplémentaires par mois avec la flambée des prix à la pompe.

Représentant 19,3% de leur consommation, les transports sont le premier poste de dépenses des artisans, commerçants et chefs d'entreprise comme Sonia. Cette dernière a par ailleurs la particularité de vivre en milieu rural. Dans ces zones reculées sans transports en commun à disposition, le budget consacré aux carburants par un ménage est de 1550 euros en moyenne sur un an, contre 650 euros en agglomération parisienne, selon l'Insee. C'est donc essentiellement sur le poste des transports que Sonia ressent l'inflation. A l'inverse, Sonia a fait installer une pompe à chaleur chez elle, ce qui lui permet de faire des économies sur le chauffage.

Toujours est-il qu'en raison de la forte dépendance de ces territoires à la voiture, l'Insee constate que la facture énergétique a davantage augmenté dans les communes rurales qu'ailleurs (+43 euros par mois en moyenne entre novembre 2019 et fin 2021). L'OFCE fait le même constat en observant que "les ménages habitant en milieu rural subissent en moyenne une inflation de 3,8 %", soit plus que toute autre catégorie analysée.

Mesures compensatoires

Si l'on regarde l'évolution de la facture énergétique selon la distribution des niveaux de vie, on constate que les 10% les plus aisés ont vu leur facture énergétique augmenter davantage que les autres catégories en valeur absolue. En effet, le dernier décile de niveau de vie a subi une hausse de 53 euros en moyenne entre novembre 2019 et fin 2021, contre 23 euros pour les 10% les plus modestes. Mais l'inflation subie en proportion de leur revenu est plus forte pour les catégories modestes qui contrairement aux ménages les plus riches n'ont pas les moyens d'aborber cette hausse du coût de la vie.

En réponse au choc inflationniste, le gouvernement a pris plusieurs mesures en 2021 pour tenter de préserver le pouvoir d'achat des Français, en essayant d'aider les principales victimes de l'inflation, à savoir les ménages modestes. Une indemnité de 1000 euros a donc été mise en place pour les personnes gagnant moins de 2000 euros nets par mois, tandis que le chèque énergie a été renforcé via une aide supplémentaire de 100 euros.

Selon les travaux de l'OFCE, ces mesures auraient permis de compenser la perte de pouvoir d'achat liée à l'inflation pour au moins un tiers des ménages. Chez les 10% des ménages les plus modestes, plus de 65% ont été compensés. Et plus on avance dans la distribution des niveaux de vie, plus la proportion de ménages compensés diminue. A noter que les effets du bouclier tarifaire et de la remise de 18 centimes sur le carburant intervenue plus tardivement ne sont pas mesurés ici.

Des prix alimentaires attendus en nette hausse en 2022

A 4,5% en mars, l'inflation devrait continuer d'accélérer dans les prochains mois. Dans les grandes surfaces aussi, la dynamique des prix va se poursuivre. Si les marques distributeurs ont été les premières à être frappées par l'inflation, les produits des marques nationales sont touchés à leur tour. Conséquence directe de la fin des négociations commerciales lee 1er mars. Le panéliste IRI s'attend ainsi à une inflation de 3% en rayons en avril et de 5% d'ici à l'été.

Cette augmentation des prix alimentaires va dégrader le pouvoir d'achat des consommateurs en 2022, en particulier des plus modestes, comme le montre une étude d'Asterès. Dans son scénario optimiste (4% d'inflation alimentaire), le cabinet de conseil table sur un coût supplémentaire de 109 euros pour les 10% des ménages les plus modestes et de 248 euros pour les 10% les plus riches, mais sur une perte de pouvoir d'achat de 0,9% pour les premiers et de 0,3% pour les seconds.

Dans le scénario moyen (6% d'inflation alimentaire), les plus pauvres paieront 164 euros supplémentaires, soit une perte de pouvoir d'achat de 1,3% en 2022, contre -0,4% pour les 10% les plus riches avec un surcoût de 372 euros. Enfin le premier décile de niveau de vie verrait son pouvoir d'achat reculer de 2,1% dans le scénario pessimiste (10% d'inflation alimentaire) et son caddie se renchérir de 273 euros. De son côté, le dernier décile subirait une baisse de son pouvoir d'achat plus faible là-encore (-0,7%), avec un coût de 421 euros.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco