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TOUT COMPRENDRE. Contrex, Vittel, Perrier... Quelle est cette affaire qui secoue les eaux de Nestlé?

Sur une chaîne de montage de l'usine Nestlé Waters, le 19 juillet 2010 à Vittel, dans les Vosges

Sur une chaîne de montage de l'usine Nestlé Waters, le 19 juillet 2010 à Vittel, dans les Vosges - AFP

Le groupe Nestlé Waters est accusé d'avoir trompé le consommateur en "désinfectant" ses eaux de source ou minérale au mépris de la réglementation. Si cette pratique n'a pas occasionné de risque sanitaire, la firme a négocié un assouplissement des réglementations en la matière avec le gouvernement.

Des pratiques non conformes pour produire ses eaux en bouteille. Nestlé Waters a reconnu ce lundi avoir eu recours à des traitements interdits d'ultraviolets et de filtres au charbon actif sur certaines de ses eaux minérales pour maintenir "leur sécurité alimentaire".

La firme qui détient les marques les marques Perrier, Vittel, Hépar ou encore Contrex assure désormais que les eaux incriminées sont "pleinement conformes au cadre réglementaire applicable en France".

Qu'en est-il vraiment? Qu'est-ce qui est reproché au numéro 1 mondial des eaux en bouteille? Et s'agit-il vraiment d'un scandale sanitaire?

Retour sur une affaire plus complexe qu'il n'y parait.

• Comment est née l'affaire?

Ce n'est pas chez Nestlé qu'est née l'affaire mais chez Alma, le groupe qui produit les eaux Saint-Yorre, Vichy Célestins, Châteldon et est surtout connu pour la marque Cristaline. Un salarié alerte fin 2020 la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) estimant que son usine utilise des traitements non conformes à la réglementation: microfiltration inférieure aux seuils, injection de CO2 industriel, mélange d'eau du robinet avec des eaux minérales...

Pas de risque a priori sur le plan sanitaire car la société "lave" davantage les eaux qu'elle ne le devrait. Ce qui pourrait leur fait perdre leur vertu d'eau minérale ou de source ou à tout moins tromper le consommateur sur leur véritable origine. De plus, ça jette le soupçon sur la qualité initiale des eaux. Pourquoi les "surfiltrer" si elles sont naturellement consommables?

Un dossier de 120 pages est constitué et une information judiciaire pourrait être ouverte en Auvergne-Rhône-Alpes.

Cette affaire révélée par le site Mediacités fin 2022 en cache une autre. Comme le révèle Le Monde et Radio France, les autorités décident de creuser. D'autres marques utiliseraient-elles le même procédé? C'est en accédant aux fichiers clients des fabricants de filtre qu'ils tombent sur un autre acheteur: Nestlé Waters.

• Qu'est-il reproché à Nestlé?

Le numéro un mondial des eaux qui vend en France plus d'une bouteille sur trois est soupçonné d'avoir eu recours aux mêmes traitements dans ses sites situés dans les Vosges (Vittel, Contrex, Hépar) et dans le Gard (Perrier). Les enquêteurs de la DGCCRF découvrent que le groupe utilise les mêmes procédés qu'Alma à savoir microfiltration en deçà de 0,8 micron mais aussi charbon actif et ultra-violet. La firme semble le faire en connaissance de cause et dissimule d'ailleurs, comme le précise un rapport remis en juillet 2022 au gouvernement, certains dispositifs illégaux derrière des armoires électriques.

"D’une part, des traitements non conformes sont utilisés dans toutes les usines du groupe: microfiltration en deçà de 0,8 micron mais aussi charbon actif et ultra-violet dont l’interdiction est absolue, ne laissant place à aucune interprétation. Mais surtout et d’autre part, les points de prélèvement utilisés pour qualifier la ressource brute (l’eau à la source) ont été délibérément positionnés après ces traitements non autorisés” , indique le rapport cité par Radio France.

Encore une fois il n'est pas question de risque sanitaire mais plutôt de tromperie du consommateur. Les dénominations "minérales" ou "de source" utilisées par Nestlé sur ces bouteilles doivent répondre à des normes qui excluent le recours aux traitements incriminés.

"Différents éléments chimiques ou microbiologiques", qui s'amoncellent au "passage de l'eau dans les nappes souterraines ou à travers son cheminement dans les tuyaux de l'usine", ont exigé l'usage de ces filtres, avance Muriel Lienau, présidente de Nestlé France, dans un entretien avec l'AFP.

• Quelles eaux sont concernées?

Le groupe est présent en France à travers deux sites. Dans les Vosges, la firme extrait et met en bouteille les eaux Hépar, Contrex et Vittel. Et dans le sud, vers Nîmes, le groupe met en bouteille l'eau de Perrier.

• Le gouvernement était-il au courant ?

L'affaire n'a pas été ébruitée jusqu'à présent mais dans les ministères elle est connue depuis plus de deux ans. Après les premières visites des inspecteurs de la DGCCRF, des représentants de Nestlé Waters ont rencontré des membres de la ministère de l'Industrie. Plaidant coupables, ils reconnaissent que leurs eaux sont régulièrement contaminées (bactéries de type Escherichia Coli, polluants chimiques...) et qu'ils doivent les "laver" pour pouvoir les commercialiser sans risque. Ils demandent ainsi un assouplissement des réglementations sous peine de devoir cesser l'exploitation des sites en France. Face à la baisse de la consommation d'eau en bouteille, Nestlé Waters a déjà largement réduit ces dernières années son nombre de salariés.

Le gouvernement ne saisit pas la justice mais ordonne une enquête administrative auprès de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l'ensemble des usines de conditionnement d’eaux implantées en France.

Ce qui conduira au rapport de juillet qui révèle "que près de 30% des désignations commerciales subissent des traitements non conformes.”

Concernant Nestlé, ce sont toutes les marques qui y ont eu recours. Des pratiques "clairement non conformes au code de la santé publique", peut-on lire dans le rapport de l'Igas.

Le gouvernement a interrogé l’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire nationale (Anses) sur les risques sanitaires liés à ces pratiques et sur l'opportunité d'en autoriser certaines. L'agence a répondu en janvier 2024 que les filtres ne devaient pas être utilisés pour masquer la qualité des eaux.

Une réunion interministérielle qui a eu lieu en février 2023 sous la houlette de Matignon et des ministères de l’Économie et de la Santé a pourtant autorisé "la possibilité d’autoriser par modification des arrêtés préfectoraux la pratique de la microfiltration inférieure à 0,8 micron”.

Les autorités lui ont confirmé que les ultraviolets et le charbon actif pouvaient être interprétés comme de la désinfection, contrairement aux microfiltrations que Nestlé continue d'utiliser.

En accord avec les autorités, l'entreprise met fin à ces traitements, l'obligeant à fermer quatre de ses puits dans les Vosges qui ne pouvaient "garantir les caractéristiques essentielles de l'eau minérale".

Les puits fermés, rattachés aux marques Hépar et Contrex, étaient particulièrement sensibles aux aléas climatiques - "après de grandes sécheresses, de fortes pluies les perturbaient" -, explique ainsi Muriel Lienau. Ces fermetures ont entraîné une division de la production d'Hépar par deux.

• Nestlé va-t-il être poursuivi?

Le groupe n'échappera peut-être pas à la justice malgré ses négociations avec le gouvernement. Selon les informations du Monde et de Radio France, le procureur de la République d’Épinal a été saisi en octobre 2022 par l'Agence régionale de santé (ARS) du Grand Est. Selon le magistrat, "le recours à des systèmes de filtration illégaux relève de la tromperie." L'ARS Occitanie n'a pas de son côté saisi la justice pour l'usine Perrier.

La tromperie, ou sa tentative, est punie d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300.000 euros (article L. 454-1 du Code de la consommation).

•Quelle est la situation aujourd'hui?

Nestlé Waters n'est plus autorisé à désinfecter son eau avec charbon et ultra-violet mais peut continuer à la micro-filtrer. Quatre des puits dans les Vosges qui ne pouvaient "garantir les caractéristiques essentielles de l'eau minérale" ont été fermés.

Dasn le Gard, les puits incriminés ont été réalloués pour la commercialisation de boissons sous la marque Maison Perrier. Ce qui satisfait Olivier Alméras, le secrétaire général du syndicat CGT à la source Perrier.

"Ces puits utilisés ne peuvent que rassurer les salariés puisqu'ils permettent de produire davantage. Maison Perrier reste, pour nous, une marque Perrier, qui rajeunit, travaille son marketing, et donc assure nos emplois", a-t-il assuré à l'AFP.
Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco