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Inflation alimentaire: pourquoi les industriels vont être contraints de renégocier leurs prix

La pression monte sur les industriels de l’alimentation pour baisser leurs prix, alors que les cours des matières premières ont chuté et que les consommateurs se tournent davantage vers les marques des distributeurs.

"Maintenant, on attend des industriels qu'ils puissent répercuter ces baisses des matières premières dans les prix qu'ils proposent à la grande distribution." C’est l'appel lancé jeudi 27 avril par la Première ministre Élisabeth Borne, alors que sur un an, les prix de l'alimentation ont grimpé de 14,9% au mois d'avril.

Or les fournisseurs ne sont pas seulement soumis à la pression du gouvernement: leur position de faiblesse sur le marché face aux marques des distributeurs pourrait aussi les contraindre à revoir leur copie.

Pression gouvernementale

Elisabeth Borne estime qu’après que les distributeurs aient "protég[é] le pouvoir d'achat des Français en prenant sur leurs marges" au cours du "trimestre anti-inflation", c’était au tour des fournisseurs de baisser leurs prix.

"On attend que dans les prochaines semaines ces négociations se rouvrent entre les industriels et la grande distribution pour effectivement répercuter ces baisses des matières premières", a développé la cheffe du gouvernement.

En France, les négociations commerciales entre les industriels, qui fabriquent les produits vendus dans les rayons des supermarchés et hypermarchés français, et les enseignes de la grande distribution, se déroulent du 1er décembre au 1er mars. Mais depuis qu’elles se sont clôturées début mars, les prix des matières premières et de l’énergie ont chuté.

Les distributeurs, en position de force

Face à la hausse des prix, les marques propres des enseignes comme Carrefour ou Lidl ont la côte: elles représentent aujourd’hui 35% des dépenses des Français, contre 65% pour les marques nationales, et ont gagné 2,5 points de part de marché en mars, constate une récente étude Kantar Worldpanel.

Pourtant, le prix des marques distributeurs a augmenté plus rapidement que celui des marques nationales. Leur prix est en effet davantage soumis aux fluctuations des cours des matières premières et de l’énergie, et peu dépendant des coûts marketing. Mais les marques des enseignes restent malgré tout moins chères, et c’est ce critère que les consommateurs retiennent.

"On a des écarts de prix de l’ordre de 20 à 30% entre l’ensemble des marques nationales et distributeurs proposées en magasin", confirme Gaëlle Le Floch, experte de la grande distribution chez l’institut Kantar.

La nette tendance des consommateurs à reporter leurs achats vers des marques distributeurs pourrait procurer davantage de poids à celles-ci lors des reprises des négociations. "Plus les enseignes des grands distributeurs privilégient leur marque propre, plus ils ont un pouvoir de négociation important sur les industriels, d’autant que dans le même temps, une partie [des marques des grandes enseignes] a fait le choix (...) de réduire le nombre de références proposées à leurs clients dans les rayons, toutes marques confondues", détaille Gaëlle Le Floch de Kantar.

"Moins il y a de places accordées aux marques nationales, plus cela met la pression aux industriels, et dans les rapports de force, donne plus de poids aux enseignes", ajoute-t-elle.

Marges de manœuvres

Mais le calcul des prix reste complexe, rappelle Gaëlle Le Floch. "Ce n’est pas parce qu'un cours baisse au temps T que vous le répercutez dans l’immédiat", note l'experte de Kantar. "Il y a quelques mois, les marques ont essayé de réduire leurs marges pour ne pas appliquer tout de suite les hausses de cours sur leurs produits, mais elles sont rattrapées par cela à un moment donné", poursuit la spécialiste.

Dans tous les cas, une fois les tarifs modifiés avec la grande distribution, "une des marges de manœuvre des industriels est éventuellement de proposer un nouveau produit avec un packaging plus grand ou plus petit, afin de proposer un prix unitaire plus attractif pour le consommateur", imagine de son côté Emmanuel Fournet, directeur analytique pour l'institut NielsenIQ.

Négociations roulantes?

Face aux fluctuations des cours, certains imaginent de revenir sur l’exception française des périodes fixes de négociations commerciales dans la grande distribution.

"Le fait qu’on soit des moments arbitraires, avec des dates fixées dans l’année pour négocier, et qu’ensuite ces prix là soient valables toute une année n’est pas logique avec la réalité du commerce, estime Gaëlle Le Floch.

Invité ce mois-ci sur BFM Business, le président de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), Jean-Philippe André, s’était ainsi dit favorable à la possibilité de mettre fin à la "période de négociations commerciales de 3 mois" afin de "pouvoir négocier tout le temps". Il la disait souhaitable uniquement "lorsque les circonstances sont exceptionnelles ou extraordinaires. (...) Si cette année, il faut se rencontrer deux ou trois fois pour prendre acte des évolutions, on le fera."

Le représentant des industriels s'est depuis prononcé contre une renégociation généralisée, affirmant que les cours des matières premières nécessaires pour produire certains produits n'avaient pas tous baissés sur les marchés mondiaux. Il a cependant assuré que les industriels de l'agroalimentaire "feront leur part".

Mardi sur nos antennes, le président du comité stratégique des supermarchés E.Leclerc, Michel-Edouard Leclerc, affirmait de son côté avoir "commencé" à négocier à nouveau sur les achats "pour l'automne".

Lucie Lequier