BFMTV
Culture

Pénélope Bagieu revisite avec malice Sacrées Sorcières de Roald Dahl

BFMTV
L’autrice revient après le succès de Culottées avec une adaptation de Sacrées sorcières de Roald Dahl. Elle raconte pour BFMTV les coulisses de ce livre dont elle rêve de s’emparer depuis l’enfance.

Que faire après un succès mondial? Adapter un classique de la littérature jeunesse écrit et illustré par deux monuments. Pénélope Bagieu est de retour ce mercredi 29 janvier après le succès de Culottées, avec une adaptation d’un de ses romans de chevet, Sacrées sorcières de Roald Dahl et Quentin Blake.

Très respectueuse de ce récit où un garçon et sa grand-mère affrontent des sorcières, elle a su imposer sa patte, tout en modifiant certains personnages et en ajoutant des pages didactiques pour déconstruire les clichés sur ces créatures mythologiques.

La dessinatrice, dont les planches de Culottées et Sacrées Sorcières sont exposées jusqu’à la mi-mars dans la Gare de Lyon, reviendra également le 8 mars avec la série Culottées, superbe adaptation de sa BD réalisée par le studio Silex. 

Après California Dreamin et Culottées, vous délaissez la biographie pour vous glisser dans un monde imaginaire...

C’est pour cette raison que j’avais envie d’adapter Sacrées Sorcières. Après avoir fait de l’hyper-réel pendant quatre ans, j’avais très envie de dessiner des créatures fantastiques. Je n’aime pas faire deux fois la même chose sinon je m’ennuie un peu. Mais Sacrées Sorcières était dans les tuyaux depuis longtemps.

Le projet est antérieur à Culottés?

J’étais en train de faire Culottées quand on a commencé à en parler. C’était une proposition des Dahl il y a trois ans. On en avait parlé à un dîner à Angoulême avec mon éditeur. Ils m’avaient proposé d’adapter Matilda. Ça ne m’emballait pas et j’ai demandé si c’était possible avec Sacrées Sorcières. Ça a pris deux ans de tractations légales pour que les Dahl acceptent et leur accord est tombé au moment où j’avais terminé Culottées

Vous vous frottez à deux monuments: Roald Dahl et Quentin Blake... Comment faire abstraction de ces deux maîtres?

Sacrées Sorcières est assez peu marqué par le dessin de Quentin Blake, je trouve. Je n’avais pas de souvenirs aussi marquants que pour Charlie et la chocolaterie, par exemple. C’est l’avantage de faire une BD et de ne pas illustrer le roman. Je réécris l’histoire. Et les personnages, comme les lieux, sont liés à ce que j’imagine. C’était comme si je la racontais à quelqu’un qui ne l’avait jamais lue ou qui n’avait jamais vu les dessins de Quentin Blake. Je lui raconte ma version: la grand-mère est ma grand-mère, l’histoire se passe maintenant… Je n’ai pas pensé à Quentin Blake. 

Et à Roald Dahl?

Son histoire a été un filet de sécurité. Je pouvais me concentrer sur la mise en scène, tout en me rassurant que l’histoire était parfaite. Dès que je voulais détricoquer un peu la structure, j’en revenais souvent à sa construction, qui est très bien. À part quelques éléments, qui ne marchent pas en BD, il n’y a pas grand-chose à changer dans son histoire. Ce sont les personnages qui ne sont pas les mêmes. 

Sacrées sorcières forme avec California Dreamin et Culottées une trilogie sur la condition féminine...

Mon pauvre! Ça ne va pas être qu’une trilogie. C’est pour la vie!

Il y a dans le livre cette phrase importante sur les sorcières: "Ce ne sont pas des femmes, [...] elles ont l’apparence de n’importe quelle femme". 

C’est très important. Les créatures mythologiques des sorcières ne sont pas des femmes, mais elles prennent l’apparence de femmes pour duper les enfants. L’apparence qu’elles choisissent est ce à quoi ressemblerait une femme si elle était décrite par quelqu’un qui n’en n’avait jamais vu une en vrai. On dirait les martiennes dans Mars Attacks! Elles essayent de ressembler à des femmes, mais elles n’y arrivent pas. C’était important de dire aussi que ce mot de sorcière a été inventé pour persécuter les femmes indépendantes et fortes - comme la grand-mère, par exemple. C’est complètement une sorcière, selon cette définition. C’est ce que lui dit son petit-fils: "Mamie, à une époque, on t’aurait cramée!"

C’est sur ce passage que vous avez sollicité Mona Chollet, autrice du best-seller Sorcières: La puissance invaincue des femmes?

Non. On avait discuté avant. Je lui ai demandé de m’aider pour expliquer de la manière la plus simple et la moins terrifiante possible aux enfants en quoi consistait la chasse aux sorcières. Il me fallait des éléments qui seraient grotesques pour eux: par exemple, on disait qu’elles dansaient nues avec le diable. J’avais très peur que les ayants-droit n’acceptent pas ces ajouts. Il fallait le faire habilement. Je sous-entends qu’on les a massacrées et qui sont les fautifs, sans les nommer. 

Sacrées sorcières est votre première BD dont le héros est un héros. 

C’est le héros du roman, je n’avais pas le choix. J’ai évidemment pensé à mettre une fille à sa place, mais ça n’apportait rien. J’aimais bien ce tandem du petit garçon et de sa grand-mère. On ne sait pas qui des deux est adulte. La grand-mère est complètement à la ramasse, elle fait prendre plein de risques à son petit-fils. Parfois, c’est lui qui la rappelle à l’ordre. Elle est aussi très protectrice. 

Bruno, le garçon en surpoids qui accompagne le narrateur dans le livre, devient ici une fille. Contrairement à ce qui se passe dans le livre, sa famille accepte sa condition de souris.

Je trouvais que ce personnage de Bruno n’apportait rien. Il faut donner un peu d’espoir aux enfants: Luke Kelly, le petit-fils de Roald Dahl, m’a rappelé que le thème sous-jacent de ce livre est de dire aux enfants que quoi qu’il arrive, vos parents vous aiment comme vous êtes. Petite, je me souviens que je trouvais horrible que ce pauvre Bruno soit abandonné par ses parents. Là, les parents ont des gosses qui sont des souris et ils se serrent les coudes!

La fin du livre est très dure: on y apprend la mort, quelques années après, de la grand-mère et de son petit-fils.

Je me rappelle que, petite, ça ne me choquait pas quand il fait le calcul du nombre d’années qui lui reste à vivre avec sa grand-mère. Je me disais: 'Remarque, il n’a pas tort. C’est vrai que c’est cool'. C’est en tant qu’adulte que l’on se dit que c’est horrible. (rires). C’est pour ça que la fin est changée dans le film. C’est trop dur.

La BD s’ouvre avec une parodie de films de super-héros. On y retrouve dans le rôle de la sorcière Margaret Hamilton (la sorcière du Magicien d'Oz) de Culottées!

C’est la sorcière absolue pour moi. Il fallait que je prenne LA sorcière. Elle est plus cool et a une mythologie plus forte que la sorcière de Blanche-Neige.

Quelles étaient vos références pour la Grandissime, la reine des Sorcières?

Ce n’était pas voulu, mais la Grandissime a un petit air d’Elizabeth Bathory [célèbre comtesse hongroise aux tendances vampiriques, NDLR] dans un jeu de mon enfance, Atmosfear. Je voulais qu’elle soit horrible et qu’elle commence déjà à se décomposer. Lorsqu’elle enlève la peau de son visage, c’est une référence au Batman de Tim Burton, quand Alicia, la compagne du Joker, se suicide.

Après les récits courts de Culottées, vous avez de la place pour raconter une histoire et découper les actions des personnages. 

J’avais des personnages qui sont super à animer: des souris. Je n’ai jamais eu l’occasion de faire ça. La moitié du livre est une scène d’action. C’était une super cour de récré. Il fallait se demander comment deux souris vont fouiller une chambre d’hôtel, comment elles vont ouvrir un tiroir… J’ai été obligée, plus que d’habitude, de trouver comment mettre en image des choses qui me paraissaient intuitives. 

L’album ressemble par moment à un dessin animé de Disney, notamment lorsqu’une des souris se cache dans les cheveux violets de la grand-mère…

Ça marche bien les cheveux violets. À refaire. J’ai tout de suite eu l’idée. C’est la même couleur que les teintures foirées de ma grand-mère. Elle aussi avait un goût très prononcé pour les imprimés qui ne vont pas très bien ensemble, et le doré. Elle avait exactement ces ongles-là, ces mains-là. Elle avait trop de bijoux, elle griffait quand elle prenait les joues. C’était le personnage le plus évident à dessiner. 

Avec Culottées, vous avez dû dessiner une histoire par semaine pendant un an, puis vous avez fait un concert dessiné au festival d’Angoulême et une exposition avec des dessins encrés au bambou… Vous sentez que votre dessin a beaucoup évolué en quelques années?

Je pense que c’est le produit de toute une vie. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu une accélération. J’ai dessiné Sacrées Sorcières très vite. Je n’ai pas eu plus de temps pour faire cet album que Culottées. J’ai mis un an. C’est mon premier livre fait sur iPad, parce que je n’étais jamais au même endroit pendant trois jours d’affilée. Je voulais un 'effet crayon', comme dans California Dreamin, mais je ne voulais pas [dessiner] avec un crayon. J’ai ressenti un grand plaisir dans le dessin. J’avais hâte de réaliser certaines scènes. En général, quand j’ai commencé une histoire, j’ai plutôt du mal à savoir si ça va autant me plaire qu’à l’étape théorique. Il m’arrive souvent de laisser tomber des histoires que je viens de commencer, parce que ça m’ennuie au bout de deux cases. 

Vous avez des idées pour la suite? 

Aucune. Je ne me mets aucune pression. L’idée va venir une semaine avant que je m’y mette. D’ici là, plein de bourgeons d’idées émergeront. Ils seront nuls, je le sais, et à la fin j’en aurai une bonne et je ferai un livre. 
Jérôme Lachasse