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Pénélope Bagieu expose ses dessins à Paris: "J'ai l’impression d'être un peu une artiste"

Virginie Despentes et Christiane Taubira par Pénélope Bagieu

Virginie Despentes et Christiane Taubira par Pénélope Bagieu - Pénélope Bagieu

A l'occasion de sa nouvelle exposition, la dessinatrice revient sur le succès de Culottées et raconte ses coups de cœur récents en BD.

Depuis que Pénélope Bagieu a commencé en janvier 2016 Culottées, le succès ne s’est pas démenti. Publiés dans un premier temps sur un blog hébergé par LeMonde.fr, ces 30 récits de femmes qui ont changé le monde ont rencontré un succès considérable en librairie (plus de 250.000 exemplaires vendus) et ont été traduits en neuf langues.

En attendant l’adaptation en dessin animé, la galerie parisienne Barbier & Mathon expose quarante dessins inédits de l’artiste. Pénélope Bagieu a croqué ses Culottées, ajoutant de nouvelles personnalités comme Christiane Taubira, Virginie Despentes, Carrie Fisher ou encore Louise Bourgeois. De passage à Paris pour le vernissage de son exposition, elle a accepté de répondre aux questions de BFM Paris.

Est-ce la première fois que vous travaillez ainsi pour une galerie?

Oui. J’avais déjà exposé des planches de California Dreamin’ chez Barbier & Mathon, mais c’est la première fois que je dessine pour une exposition et que je fais de l’encre depuis la prépa - ça se voit parfois. Et c’est la première fois que je fais des portraits sans raconter une histoire. J’ai l’impression d’être un peu une artiste (elle sourit).

Pourquoi dites-vous que "ça se voit parfois"?

Comme je me suis lancée dans un outil que je ne maîtrise pas, et que je découvrais, je trouve que l’on voit les dessins par lesquels j’ai commencé. A la fin, mes dessins étaient plus propres, il y avait moins de taches d’encre (rires).

Les dessins réalisés à la fin, ce sont ceux de Taubira et de Despentes?

Oui. Ils sont plus aboutis.

Virginie Despentes et Christiane Taubira par Pénélope Bagieu
Virginie Despentes et Christiane Taubira par Pénélope Bagieu © Pénélope Bagieu

La manière dont vous dessinez leurs cheveux est très belle. Vous semblez chercher une ligne claire, épurée…

J’ai dessiné au bambou, qui impose une économie de traits. Le trait du bambou est très aléatoire. A la différence de la plume, qui a un trait à peu près constant avec des petites imperfections mignonnes, le bambou a de grosses imperfections dégueulasses. C’est comme dessiner avec un morceau de bois trempé dans l’encre: il faut être sûr de son coup. Pour chaque portrait exposé, j’en ai jeté dix. Plein de fois, ça ne marchait pas. Soit il y avait un gros pâté, soit c’était tout sec et il n’y avait plus d’encre sur le bambou... Pour dessiner les cheveux, par exemple, il a fallu trouver des simplifications. Avec le bambou, on ne peut ni faire du réalisme, ni accumuler les traits. J’ai aussi mélangé les outils selon les dessins. Les tatouages de Maud Stevens Wagner, la première tatoueuse, ont par exemple été fait à la plume.

Pourquoi avez-vous choisi le bambou?

Ça me paraissait évident. Comme les dessins sont en grand format, je voulais un trait conséquent. Je crois aussi que j’ai fait du bambou en prépa et que j’en ai gardé un souvenir assez émerveillé. Ça avait une fausse maladresse que je trouvais super. Je m’étais beaucoup amusée avec à l’époque. Comme j’avais peu de temps pour faire l’expo, autant que ce soit rigolo!

"C’est assez reposant de faire uniquement du dessin et de ne pas raconter d’histoire"

Est-ce vrai que vous avez mis un mois pour réaliser les dessins de l’exposition?

Un mois et demi. J’ai commencé mi-septembre. C’est assez reposant de faire uniquement du dessin et de ne pas raconter d’histoire. On est dans une autre dynamique. Je n’ai pas travaillé de la même manière que d’habitude. Je n’étais pas devant un ordinateur. J’ai travaillé avec de la musique, debout - ce que je ne fais jamais.

Pourquoi avez-vous dessiné debout?

Pour avoir un geste sûr. Assis, il est faussé. Debout, on a un peu mal au dos, mais on peut dessiner avec tout son bras et pas avec sa main.

Le concert dessiné auquel vous avez participé en janvier au Festival d’Angoulême vous a-t-il aidé?

Pour l’expo, il m’a servi de doudou un peu rassurant, en me disant que je l’avais déjà fait, mais en plus en public. Je n’ai jamais eu aussi de ma vie que ce jour-là. C’était épouvantable. J’avais mal au ventre. Une fois le concert terminé, je me suis dit que c’était trop court, mais pour autant je ne le referai jamais. C’était trop de stress.

Dans l’exposition, il y a de nouveaux portraits comme ceux de Christiane Taubira, de Virginie Despentes et de Simone Veil. Pourquoi n’étaient-ils pas dans Culottées?

Certaines femmes n’ont pas pu être dans les livres parce qu'elles sont trop connues. J’ai arrêté de dessiner Culottées il y a un an. Beaucoup de choses se sont passées. Simone Veil est morte, par exemple. Il était hors de question dès le début de parler d’elle dans le livre. Elle est vraiment trop connue et j’aurais appris son existence à personne. Ça me paraissait curieux en revanche de l’éviter à ce point maintenant qu’elle est morte et qu’on a passé en revue tout ce qu’elle a accompli. J’ai lu son autobiographie. Il y a des passages de son livre que je vais encadrer chez moi. C’est une machine de guerre, cette femme. Pour Despentes, il est difficile de ne pas rendre hommage à la femme qui a écrit King Kong Theory. Ce livre change tellement tout pour les gens qui le lisent. C’est le meilleur cheval de Troie du féminisme.

"Ado, j’aurais adoré avoir une BD comme Culottées au CDI".

Culottées s’est vendu à 250.000 exemplaires et est traduit en neuf langues. C’est fou.

C’est ça, c’est fou. Et Culottées sera bientôt disponible en Chine. Je suis bluffée. Je suis aussi très contente qu’il soit traduit en Pologne. Les éditeurs polonais ont demandé s’il pouvait retirer certaines histoires, mais elles seront toutes publiées, même celle de Thérèse Clerc [militante féministe, elle a ouvert à Montreuil la Maison des femmes, NDLR]. Je suis assez contente qu’une BD sur une femme qui fait des avortements dans sa cuisine est traduite en Pologne. Aux Etats-Unis, on a enlevé l’histoire de Phulan Devi [députée indienne, connue aussi sous le nom de “reine des bandits”, NDLR]. Ils veulent cibler les jeunes et avec les viols dont on parle dans l’histoire, c’est compliqué. J’ai aussi couvert les seins de Joséphine Baker et on m’a demandé d’enlever les deux érections qu’il y a dans le livre.

En France, le livre va bientôt pouvoir être emprunté dans les CDI!

Et peut être jamais rendu! Je suis très fière. Quand on fait une BD, on ne pense pas qu’elle peut devenir un outil pédagogique. Ado, j’aurais adoré avoir une BD comme celle-là au CDI.

Epiphania de Ludovic Debeurme
Epiphania de Ludovic Debeurme © Ludovic Debeurme / Casterman 2017

Vous écrivez chaque mois une chronique BD dans Le Monde. En octobre, vous avez conseillé Epiphania de Ludovic Debeurme. Pourquoi?

On n’arrive pas à savoir si cette BD, c’est de la SF ou de l’anticipation - le tout avec ce graphisme où on a l’impression d’être en plein trip ou sous fièvre. Et c’est à la fois tellement réel… On n’arrive pas à savoir de quoi il nous parle: de l’accueil pathétique des réfugiés, de la façon pathétique dont on traite la terre… Dans tous les cas, ça met très mal à l’aise. Et, en même temps, c’est si beau. Quand j’ai fermé le livre, j’ai continué la digestion pendant deux jours. J’en ai même rêvé, ce qui ne m’arrive jamais. J’ai aussi lu My Favorite Thing is Monsters d’Emil Ferris, qui est la meilleure de cette année, et Grandeur et décadence de Liv Strömquist, l’auteure la plus drôle et la plus intelligente qui existe. Elle y explique le capitalisme. Tu ris de chagrin.

Les deux tomes de Culottées de Pénélope Bagieu ressortent dans un beau coffret agrémenté d’un ex-libris inédit (Gallimard Jeunesse, 312 pages, 43 euros). Un cadeau idéal pour Noël.

Jérôme Lachasse