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TOUT COMPRENDRE - Pourquoi le géant des cryptos Binance est dans le viseur du régulateur américain

La première bourse d'échanges de cryptomonnaies fait face à une plainte de la part du régulateur financier américain. Que risque Binance? BFM Crypto fait le point.

"Nous nous attendons à ce que les prochains mois soient cahoteux, mais nous surmonterons cette période difficile - et nous serons plus forts pour l'avoir traversée" avait déclaré en décembre Changpeng Zao (CZ), le patron de Binance, dans une note à ses salariés. En effet, la première bourse d'échanges de cryptomonnaies au monde traverse une période mouvementée depuis plusieurs mois. D'un côté, la fin de l'émission de son stablecoin (le BUSD) a remis en question son mode de fonctionnement, de l'autre, des sénateurs américains ont accusé Binance d'être un "foyer d'activité financières illégales". Lundi, l'autorité américaine de régulation des produits financiers dérivés, la CFTC, a enfoncé le clou et déposé plainte contre Binance et son patron CZ pour avoir contourné, à de nombreuses reprises, les règles américaines.  

• Pourquoi la CFTC a déposé plainte contre Binance?

Le régulateur américain fait état de "nombreuses violations" du Commodity Exchange Act (CEA) et des réglementations de la CFTC, considérant par ailleurs que CZ "exploite une bourse illégale de produits dérivés d'actifs numériques" aux Etats-Unis. Le géant aux 120 millions d'utilisateurs est décrit comme un "réseau opaque de sociétés", presque toutes contrôlées par son dirigeant.

Binance comprend en effet plus de 120 entités dont Binance Holdings ou encore Binance Services, qui "ont parfois mélangé des fonds, se sont appuyées sur une infrastructure technique commune", explique la CFTC. Une situation qui n'est pas sans rappeler le mélange des fonds entre FTX et sa filiale de trading Alameda Research. L'autorité américaine, qui réclame que Binance soit interdit d'enregistrement et de vente de certaines produits financiers aux Etats-Unis, pourrait faire cesser son activité dans ce pays. Par ailleurs, par les faits qui lui sont reprochés, c'est la crédibilité de la plateforme dans le monde qui est en jeu.

• Pourquoi l’activité de Binance aux Etats-Unis est visée?

Les activités de Binance aux Etats-Unis sont scrutées depuis 2019 par la CFTC. "Depuis le lancement de sa plateforme en 2017, Binance a adopté une approche calculée et progressive pour accroître sa présence aux États-Unis malgré le fait qu'elle ait déclaré publiquement sa prétendue intention de "bloquer" ou de "restreindre" l'accès à sa plateforme pour les clients situés aux États-Unis", peut-on lire. Binance a en effet lancé une filiale américaine, Binance US en 2019, qui comptait jusqu'à présent 60 salariés, mais c'est la maison mère Binance qui est ici expréssément visée.

Binance a attiré des clients américains sur sa plateforme, afin "de maximiser les profits de l'entreprise", souligne la CFTC. Des clients fortunés pouvaient ainsi faire du trading sur des produits dérivés spéculatifs sans que Binance n'ait demandé d'autorisation en ce sens à la CFTC. La plainte rapporte ainsi qu’au mois d'août 2020, Binance a gagné 63 millions de dollars en frais de transactions de produits dérivés grâce à environ 16% de comptes de clients situés aux Etats-Unis. Des revenus qui ont fortement augmenté, puisqu'en mai 2021, les revenus mensuels sur ces mêmes opérations rapportaient 1,4 milliard de dollars à la plateforme.  

• Quels sont les principaux reproches faits à Binance?

La CFTC reproche à Binance d'avoir contourné de manière volontaire les processus de conformité aux Etats-Unis pour permettre à ses clients d'accéder à la plateforme. Ainsi, des clients n'avaient pas besoin de fournir des preuves de leur identité (processus de "Know your customer" ou KYC). Binance entretenait notamment un réseau de clients américains "VIP". Pour échapper aux radars du régulateur américain, Binance communiquait avec ses clients sur la messagerie cryptée Signal, des clients étaient incités à passer par des réseaux privés virtuels ("VPN") ou pouvaient ouvrir des comptes "sous le nom de sociétés écrans". De même, certains clients VIP visés par une enquête des forces de l’ordre recevaient des notifications de la part de Binance.

"Ne dites pas directement à l'utilisateur de fuir, dites-lui simplement que son compte a été débloqué et qu'il a fait l'objet d'une enquête de la part de XXX. Si l'utilisateur est un gros trader, ou un trader intelligent, il comprendra l'allusion", indiquait Binance à l'équipe en charge des clients VIP.  

De même, la CFTC accuse Binance d’avoir facilité des activités "illicites", dont certaines liées à des activités terroristes. La plainte fait état de conversation entre l'ancien responsable de la conformité de Binance, Samuel Lim et le responsable du blanchiment d'argent.  

"En février 2019, après avoir reçu des informations 'concernant des transactions du Hamas' sur Binance, Samuel Lim a expliqué à un collègue que les terroristes envoient généralement de 'petites sommes' car 'les grosses sommes constituent du blanchiment d'argent'. Le collègue de Lim a répondu: "on peut à peine acheter un AK47 avec 600 dollars"", souligne la plainte.  

De même, Samuel Lim aurait déclaré dans un chat en 2020 que certains clients russes "sont là pour le crime". Le responsable du volet blanchiment d'argent de Binance précisant "nous voyons le mal, mais nous fermons les yeux".  

• Pourquoi le patron de Binance est aussi visé par la plainte?

La toute-puissance de CZ n'est pas sans rappeler celle de l'ex-patron de FTX, Sam Bankman-Fried. Depuis le lancement de Binance en 2017, CZ s'est entouré d'une équipe de dirigeants, mais il avait la main sur toutes les décisions stratégiques.

"CZ est responsable en dernier ressort de l'évaluation des risques juridiques et réglementaires associés aux activités de Binance, y compris ceux liés au lancement de Binance US, et a été directement impliqué dans les discussions avec les consultants en conformité et les avocats concernant les questions juridiques et réglementaires impliquées par les activités de Binance", précise la CFTC. 

De même, CZ est "propriétaire direct ou indirect d'environ 300 comptes Binance qui se sont livrés à des activités de trading pour compte propre sur la plateforme de trading de Binance", souligne la plainte.  

• Quelle est la ligne de défense de Binance?

"Aujourd'hui, la CFTC a déposé une plainte civile inattendue et décevante, malgré notre collaboration avec la CFTC depuis plus de deux ans", a déclaré CZ dans un post sur le blog de Binance. Ce dernier estime que la plainte contient "une récapitulation incomplète des faits". En outre, les reproches sur les liens entre Binance et ses clients sont démentis, Binance revendiquant notamment "bloquer les utilisateurs américains par nationalité". 

De même, la société rappelle qu'elle compte une équipe de plus de 750 salariés chargés de la conformité. "À ce jour, nous avons traité plus de 55.000 demandes d'application de la loi et aidé les autorités américaines à geler/saisir plus de 125 millions de dollars de fonds pour la seule année 2022 et 160 millions de dollars pour l'année 2023", explique Binance. 

Par ailleurs, "Binance.com ne fait pas de transactions à des fins lucratives et ne manipule en aucun cas le marché", précise CZ, qui assure qu'il ne détient que deux comptes chez Binance: "l'un pour Binance Card, l'autre pour mes avoirs en cryptomonnaies". 

• Quelles sont les conséquences pour Binance et l'écosystème crypto?

A court terme, cela porte un nouveau coup dur à Binance, qui fait face depuis lundi à une augmentation des retraits sur sa plateforme. Sur le marché des cryptomonnaies, si le bitcoin et l’ether ont perdu 1,5% depuis lundi, le Binance Coin (BNB) a perdu plus de 3% de sa valeur. La CFTC a par ailleurs désigné plusieurs actifs numériques, notamment le litecoin, l'ether et l'USDT comme des marchandises, ce qui pourrait alimenter le débat sur la qualification de ces actifs et donc leur règlementation.  

Pauline Armandet