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TOUT COMPRENDRE - De la chute de l'empire des cryptos FTX au procès de son ex-patron

Ce mardi s'ouvre le procès de l'ancien patron de FTX, Samuel Bankman-Fried, dit SBF. Que peut-on attendre de ce procès? BFM fait le point.

Samuel Bankman-Fried (dit "SBF"), l’ex-patron de la bourse crypto FTX, fait face à la justice américaine ce mardi. SBF est passé du statut de patron crypto le plus "altruiste" du monde à celui du plus gros escroc de la planète avec la chute de son empire, le 11 novembre 2022. L'homme de 31 ans est notamment accusé d'avoir trompé ses investisseurs et détourné l'argent de ses clients pour son enrichissement personnel, ainsi que pour combler les pertes de sa filiale de trading Alameda Research. Plus de 8,7 milliards de dollars de cryptomonnaies de clients et entreprises ont disparu à la suite de l'effondrement de FTX.

Une semaine avant sa chute, FTX était valorisée plus de 32 milliards de dollars. Au fil des mois, la gestion de l'entreprise a été révélée au grand jour par les avocats de FTX en charge de la procédure de faillite, permettant de comprendre la stratégie de SBF, entouré de son cercle proche (des anciens co-fondateurs jusqu'aux parents de l'ex-milliardaire). Aujourd'hui, plus de 9 millions de créanciers (particuliers et entreprises) n'ont plus accès à leurs fonds et ne savent pas quand ils pourront les récupérer. Pour comprendre les tenants et aboutissants de ce procès, BFM Crypto propose un tour d’horizon de la chute de FTX jusqu’à ce que l’on peut attendre du procès. Son procès à New-York, d'une durée de 6 semaines, doit débuter ce mardi 3 octobre.

SBF a d’abord été placé en prison aux Bahamas en décembre, avant d’être transféré à la prison de Brooklyn. Il a finalement payé une caution de 250 millions de dollars pour rester dans la maison de ses parents en Californie. Mi-août, SBF a de nouveau été placé en détention après avoir divulgué le journal intime de Caroline Ellison, l'ex-patronne d'Alameda Research (et son ancienne petite amie) et en essayant de contacter un témoin par messagerie privée.

"Il s'agit de l'une des plus grandes fraudes financières de l'histoire américaine", a déclaré en décembre 2022 Damian Williams, le procureur américain, lançant 7 chefs d'accusations contre SBF.

• Pourquoi FTX a-t-il fait faillite?

Début novembre, le média spécialisé CoinDesk révèle que 14,6 milliards de dollars d'actifs détenus par Alameda Research, la plateforme de trading de FTX, étaient principalement des FTT, le jeton natif de FTX. Cela indiquait que la plateforme reposait principalement sur une cryptomonnaie, et qu’en cas de forte chute de celle-ci ou d'un sentiment de méfiance des investisseurs, Alameda Research risquait d’être insolvable.

La question de l’insolvabilité de cette plateforme a créé un sentiment d'incertitude, alimenté par des tweets du patron de Binance, Changpeng Zao (CZ), annonçant que sa plateforme allait se débarrasser des FTT. Des doutes ont émergé sur des montages financiers hasardeux entre FTX et Alameda Research, avec des conflits d'intérêts majeurs. Un sentiment de méfiance s'est finalement installé, les utilisateurs de FTX cherchant à récupérer leurs fonds.

Pour faire face à l'afflux massif des utilisateurs, FTX a cessé tout retrait possible sur ses principaux portefeuilles. Face à la tempête sur FTX, Binance a cherché à racheter son concurrent FTX, avant d’abandonner le projet lorsqu'il a jeté un oeil à la gestion de l'entreprise. FTX, qui n'a pas réussi à trouver des investisseurs en mesure de lui apporter 8 milliards de dollars de capitaux frais, a annoncé se placer sous la protection de la loi américaine sur les faillites (chapitre 11) le 11 novembre.

• Qu'a-t-on découvert après la faillite?

Quelques jours après la faillite, un nouveau patron a été nommé pour reprendre la bourse crypto: John J. Ray III. Fort de 40 ans d’expériences, l'homme a notamment dirigé différentes restructurations d’entreprises et supervisé certaines liquidations liées à des scandales financiers dont l'affaire bien connue d'Enron qui a éclaté en 2001. Le 17 novembre, ce dernier dépose un premier document judiciaire auprès d'un tribunal des faillites du Delaware, qui révèle les dysfonctionnements de la société.

"Jamais dans ma carrière je n'ai vu un échec aussi complet des mécanismes de contrôle d'une entreprise et une absence aussi flagrante d'informations financières fiables comme cela s'est produit", a déclaré John J. Ray III.

Le document révèle que la société, alors valorisée 32 milliards de dollars, ne disposait même pas d'un service de comptabilité. FTX n'avait pas non plus une gestion centralisée de sa propre trésorerie. Le document fait surtout état des liens étroits entre Alameda Research et FTX, deux entités fondées par SBF, qui étaient censées être distinctes. FTX est alors soupçonné d'avoir utilisé les fonds de ses clients pour venir en aide à Alameda Research au printemps dernier (10 milliards de dollars prêtés de FTX à Alameda Research).

BFM Crypto, les Pro : FTX, après 10 mois de feuilleton, l'épilogue ? - 15/09
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Au fil des mois, des documents judiciaires mettront en évidence des dépenses hallucinantes pour les salariés de FTX, à l'instar de 300 millions de dollars dans des biens immobiliers. De même, les parents de SBF et des cadres supérieurs de FTX ont acheté, au cours des deux dernières années, pas moins de 19 propriétés aux Bahamas pour une valeur totale de 121 millions de dollars.

En ce qui concerne la santé financière de FTX, les avocats de FTX ont identifié 6,1 milliards de dollars d'actifs. Du côté du passif, FTX doit 16 milliards de dollars, dont 11,23 milliards de dollars à ses clients. En prenant en compte les dettes de ses clients envers la plateforme, FTX présente ainsi un déficit net de près de 8,7 milliards de dollars envers ses clients. FTX a été autorisée à vendre 3,4 milliards de dollars de ses cryptomonnaies pour rembourser ses créanciers.

• Comment le procès va-t-il se dérouler?

Les chefs d'accusation

Mi-décembre, le département de la Justice des États-Unis (DoJ) a lancé 7 chefs d’accusation contre SBF, provoquant son arrestation:

  • deux chefs d’accusation pour fraude électronique sur les clients de FTX
  • un complot en vue de commettre une fraude électronique à l’égard des prêteurs d’Alameda Research
  • un complot en vue de commettre une fraude sur les matières premières
  • un complot en vue de commettre une fraude contre des investisseurs FTX
  • un complot en vue de commettre un blanchiment d'argent
  • un complot visant à frauder la Commission électorale fédérale et à commettre des violations du financement de campagne (SBF est accusé d’avoir financé des partis politiques pour influencer la règlementation aux Etats-Unis).
"Il y a un mois, FTX s'est effondré, causant des milliards de dollars de pertes à ses clients, prêteurs et investisseurs. Comme le montrent clairement les accusations portées aujourd'hui, il ne s'agit pas d'un cas de mauvaise gestion ou de mauvaise surveillance, mais bien d'une fraude intentionnelle, pure et simple", a déclaré le procureur fédéral Damian Williams.

Un juge fédéral a également été nommé en charge de l’affaire: Lewis Kaplan. En janvier, SBF a plaidé non coupable pour les 7 chefs d’accusation. Il s'est exprimé dans différents médias américains, contre l’avis de ses avocats, admettant avoir mal géré sa société.

Les avocats de SBF, Mark S. Cohen et Christian R Everdell soutiennent qu'au même titre qu'une banque, FTX "pouvait investir l'argent de ses clients tant qu'ils étaient en mesure de le retirer et que SBF ne savait pas que les mesures prises par ses collègues les plus proches avaient compromis la disponibilité des fonds", souligne Reuters. "Pour condamner Bankman-Fried, les procureurs doivent démontrer qu'il avait l'intention de commettre un crime", ajoute Reuters.

Fin août, le DoJ a ajouté ont 4 millions de pages supplémentaires (sur les transactions de FTX, des discussions ou encore des flux d'argents) au dossier d'accusation à l'encontre de SBF, provoquant l'ire des avocats de l'accusé.

Le rôle des jurés

Dans le cadre d’un procès pénal aux Etats-Unis, des jurés (qui constituent un "jury populaire") seront interrogés par les deux parties (l’accusation et la défense). Ils devront rendre un verdict sur la culpabilité de l’accusé, "au-delà de tout doute raisonnable". Le verdict sur chacune des accusations dont SBF fait l’objet doit être unanime.

"Chaque membre du jury devra être convaincu que SBF a commis ou non chacun des crimes dont il est accusé", souligne CoinDesk. Les procureurs américains ont rejeté la demande des avocats de SBF de limiter certaines questions à poser aux jurés. En effet, ces derniers cherchaient à savoir si les futurs jurés ont un avis sur le courant "altruiste" porté par SBF, sur l'intérêt de faire des dons politiques ou encore sur les troubles du comportements (SBF souffrant de trouble déficitaire de l'attention et de l'hyperactivité (TDAH)).

Le rôle des témoins

Le DoJ entend interroger plusieurs témoins, dont trois anciens dirigeants de FTX: l'ancienne directrice générale d'Alameda Research, Caroline Ellison, l'ancien responsable de la technologie de FTX, Gary Wang, et l'ancien responsable de l'ingénierie, Nishad Singh. Tous ont déjà plaidé coupables et accepté de coopérer avec le gouvernement. Nishad Singh a avoué qu'il savait qu'Alameda Research avait emprunté des milliards à FTX tandis que Caroline Ellison a admis qu'un accord avait été conclu entre elle et SBF pour garder secret les informations sur les milliards de dollars prêtés par Alameda aux dirigeants de FTX.

Du côté de la défense, les 7 témoins proposés par les avocats de SBF ont été rejetés par le juge fédéral, dont Peter Vinella, un consultant qui soutenait l'idée que les actions de FTX étaient "largement" acceptées par le secteur financier. Le juge fédéral a également rejeté la demande de SBF visant à bloquer un témoin de l’accusation: Peter Easton, professeur de comptabilité à l'Université de Notre Dame.

• Quelle peine SBF risque-t-il?

En calculant la durée d’emprisonnement des différents chefs d’accusation de SBF (par exemple, la fraude électronique est passible de 20 ans de prison), la sentence de 115 ans de prison a souvent été évoquées par des experts. Cette sentence pourrait être finalement moins importante. "Même s'il y a plusieurs condamnations, les peines sont plus susceptibles d'être concurrentes que consécutives", a déclaré à CoinDesk Jordan Estes, associé chez Kramer Levin.

Selon plusieurs avocats interrogés par le média américain, SBF pourrait passer environ 10 à 20 ans de prison, "compte tenu de la gravité des crimes et des pertes estimées". Lewis Kaplan sera en charge de prononcer la peine effective de l’accusé. Si SBF est reconnu coupable des chefs d'accusations, ses avocats pourront faire appel.

• Nouvelles révélations le jour de l'ouverture de son procès

Sorti ce mardi 3 octobre, un livre affole la communauté crypto: "Going Infinite", la biographie de SBF par l'auteur américain Michael Lewis. Ce livre fournit de nouveaux éléments sur la manière dont l'ex-milliardaire a géré sa bourse crypto. Pour rappel, les faillites de FTX et d'Alameda Research en novembre dernier ont entraîné la disparition de 8,7 milliards de dollars de fonds de clients de FTX. Mais dans le livre de Michael Lewis, SBF évoque une autre version de l'histoire, indiquant une "erreur" d'arrondi à propos des fonds déplacés sur Alameda Research.

Parmi les autres révélations de cet ouvrage, SBF a tenté de payer 5 milliards de dollars Donald Trump pour éviter qu'il se représente à l'élection américaine de 2024. Au-delà des confidences de SBF, l'ouvrage prend le parti de l'ex-milliardaire américain: SBF pense "sincèrement" qu’il est innocent, précise Michael Lewis à CBS. Ce sera au juge fédéral Lewis Kaplan, en charge de l'affaire FTX, de trancher sur la culpabilité ou non de l'accusé lors du procès pénal qui s'ouvre ce mardi.

Par Pauline Armandet