BFM Alsace
Alsace

Procès de l'attentat de Strasbourg: comment les familles ont été préparées aux cinq semaines d'audience

Une foule rassemblée en hommage aux victimes de l'attentat de Strasbourg, le 16 décembre 2018.

Une foule rassemblée en hommage aux victimes de l'attentat de Strasbourg, le 16 décembre 2018. - Sébastien Bozon - AFP

Plusieurs réunions d'information ont eu lieu au cours des derniers mois pour préparer les victimes et familles de victimes au procès, qui débutera ce 29 février et durera cinq semaines. Des associations ont même été réquisitionnées par le ministère pour intervenir en tant que référentes auprès des victimes lors du procès.

Cinq semaines d'audience, et une nouvelle épreuve pour les familles. Ce 29 février s'ouvre le procès de l'attentat de Strasbourg, perpétré le 11 décembre 2018. Quatre accusés seront jugés pour leur rôle dans la commission de l'attentat perpétré par Chérif Chekatt, qui avait tué cinq personnes dans le secteur du marché de Noël et en avait blessé une dizaine d'autres. Ce dernier avait été abattu par les forces de l'ordre, deux jours après les faits.

Le principal accusé, Audrey Mondjehi, est poursuivi pour complicité d'assassinat et tentatives d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste. Les trois autres comparaissent pour des faits d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes. Une disjonction du procès a été ordonnée pour un cinquième accusé, âgé de 84 ans, et dont l'état de santé ne lui permettait pas d'être présent aux débats.

Au total, une soixantaine de parties civiles sont représentées lors de ce procès: des victimes directes blessées par Chérif Chekatt, leurs familles, ou encore des témoins de l'attaque.

"C'est une période cruciale pour nous, une période de transition. On a besoin d'avoir des réponses à nos questions. On a besoin d'avancer, de se reconstruire après le procès. Comme je le dis toujours, il y a un avant et un après", explique à BFMTV.com Mostafa Salhane, à la fois témoin clé et victime dans ce procès, puisqu'il a été pris en otage par Chérif Chekatt lorsque ce dernier est monté dans son taxi après son attaque dans les rues de Strasbourg.

Le déroulé du procès expliqué aux victimes

Un procès d'une telle envergure demande une certaine préparation pour les parties civiles. Le parquet national anti-terroriste s'est notamment rendu à Strasbourg en décembre dernier pour expliquer aux victimes et familles de victimes le déroulé du procès, qui se tiendra à la cour d'assises spécialement composée de Paris.

"On a des réunions d’information concernant la prise en charge, concernant le déroulé, concernant les ordonnances, sur la procédure. On a eu des échanges avec les magistrats en septembre 2022, et après le parquet sur le déroulé", raconte Mostafa Salhane.

L'association SOS France Victimes 67, réquisitionnée par le ministère de la Justice pour être l'organisme référent vers lequel les victimes pourront se tourner lors du procès, a elle aussi participé à la préparation des parties civiles, notamment celles qui vont devoir témoigner lors des audiences.

"Pour la plupart, sinon pratiquement la totalité, elles n'ont jamais mis les pieds dans un tribunal", rappelle Faouzia Sahraoui, directrice générale de l'association et psychologue.

"Elles avaient beaucoup de questions sur ce qu'elles doivent dire, comment le dire, elles avaient aussi quelques appréhensions. (...) Ce sont des questions très pratico-pratiques."

Des échanges importants en amont du procès, qui s'étalera sur cinq semaines, avec un déroulé provisoirement défini. Des enquêteurs, des témoins, des experts seront entendus lors des audiences pour retracer les faits, présenter les éléments de l'enquête et témoigner de la personnalité des accusés. Un processus qui a été longuement expliqué aux parties civiles.

"Il y a eu vraiment une démarche très poussée et importante de la part du parquet antiterroriste, et également des juges d’instruction qui se sont déplacés à Strasbourg pour des réunions d’information", confirme Arnaud Friederich, avocat de 13 parties civiles, dont fait partie la famille de l'une des victimes de Chérif Chekatt, Pascal Verdenne.

Le magistrat a lui aussi accompagné les familles dans la préparation au procès, sur leurs questions, leurs doutes, mais aussi leur frustration lorsqu'il a été annoncé que l'un des cinq accusés ne sera finalement pas jugé en même temps que les autres, pour des raisons de santé.

L'avocat reconnaît que les familles sont "déçues, bien sûr, parce qu'elles auraient aimé que le procès puisse être unique, et de ne pas avoir à revivre le traumatisme dans le cadre d'un second procès, et ce sera malheureusement le cas."

"Elles s'attendent à une forme de frustration"

Cette déception n'est toutefois pas la seule à laquelle les parties civiles pourraient être confrontées durant les semaines de procès. La première étant que l'auteur des faits ne sera lui-même pas jugé pendant ce procès, puisqu'il a été neutralisé par les forces de l'ordre au bout de 48 heures de traque après l'attentat.

"Elles sont en attente de réponses. Elles savent qu'elles ne pourront pas en avoir de la part de l'auteur principal des faits, et elles attendent la décision définitive qui sera celle notamment de monsieur Mondjehi (le principal accusé, NDLR) dans le cadre du procès", explique Arnaud Friederich.

"Elles s'attendent à une forme de frustration, mais elles espèrent quand même que des explications plus honnêtes et détaillées pourront être données lors de l'audience."

Là encore, les familles ont été préparées à plusieurs éventualités, notamment celle où elles n'obtiendraient pas toutes les réponses qu'elles attendent de la part des accusés.

"Les autres essaient véritablement de minimiser leur rôle, et de nier toute participation à une activité terroriste. Ils se contentent d’indiquer que ce serait des 'délinquants de droit commun'", poursuit Arnaud Friederich.

Le parquet anti-terroriste avait déjà expliqué cette possibilité aux familles lors de sa visite à Strasbourg en décembre dernier.

"Le parquet antiterroriste a appris et indiqué de manière claire aux victimes que très souvent, même si les auteurs principaux sont présents dans le box des accusés, ils ne donnent pas d'explication", avait alors expliqué l'avocat au micro de BFM Alsace. "Ils se muent sur des slogans, se réfugient sur du fanatisme et derrière un certain nombre de mantras qui ne donnent absolument aucune explication aux parties civiles."

Un accompagnement psychologique pendant le procès

Au-délà de la frustration liée à l'absence de réponse, ce procès est surtout un moment difficile pour les familles de victimes, ainsi que les victimes blessées lors de l'attentat, et qui devront revivre, à travers le récit des faits lors des audiences, ce moment douloureux.

"On ne peut rien prévoir. Je n'ai pas craqué le jour où le terroriste est monté avec moi, je n'ai pas flanché", raconte à BFMTV.com Mostafa Salhane, qui reste toutefois très incertain sur son état psychologique au début du procès. "Je peux craquer, je peux être en forme la veille et peut-être craquer à un moment. Peut-être que mon cerveau va se figer, se glacer, et ne plus répondre."

Lui-même avait créé une association d'aide aux victimes après les faits. Depuis 2018, l'Association Victimes Attentats vient en aide à environ 70 victimes directes et indirectes. Mostafa Salhane a beaucoup échangé avec ces familles en amont du procès.

"Mon travail en tant que président d’association, c’est de pouvoir rassurer toutes les victimes qui sont avec moi dans l’association, et même les autres victimes, de pouvoir être tous unis ensemble, de pouvoir faire face à ce procès, qui va être très chargé, que ce soit sur le plan émotionnel, juridique ou médiatique", explique-t-il.

D'autant plus que le fait d'avoir été lui-même confronté au terroriste lui permet de comprendre le point de vue des autres victimes.

"Nous, victimes, entre nous, on sait comment se parler, comment se comprendre. Il y a beaucoup de gens qui veulent y aller (au procès, NDLR), il y a aussi beaucoup de gens qui ne veulent pas y aller, qui veulent être représentés par leur avocat, parce qu'ils ne trouvent pas la force."

C'est pour cela que plusieurs associations d'aide aux victimes seront mobilisées lors du procès, afin d'offrir un soutien psychologique aux victimes sur toute la durée des audiences. Deux psychologues de l'association SOS France Victimes 67, qui opère dans le Bas-Rhin, seront notamment présents tout au long du procès.

"Les psychologues sont vraiment mis à disposition des victimes, dès qu'elles ressentent le besoin de les solliciter, avant, pendant, après leur témoignage", explique Faouzia Sahraoui.

SOS France Victimes 67, mobilisée auprès des victimes depuis le soir même de l'attentat, leur proposera également un accompagnement bien après le procès, "afin qu'elles retrouvent un apaisement", conclut la directrice générale de l'association.

Laurène Rocheteau