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Au procès de l'attentat de Strasbourg, le récit d'une victime qui a "désarmé" l'assaillant

La cour d'assises spéciale de Paris le 29 février 2024 à l'ouverture du procès de l'attentat du marché de Noël de Strasbourg.

La cour d'assises spéciale de Paris le 29 février 2024 à l'ouverture du procès de l'attentat du marché de Noël de Strasbourg. - IAN LANGSDON / AFP

Damien, 28 ans au moment des faits, a raconté à la barre comment il avait "désarmé" Chérif Chekatt, un homme radicalisé de 29 ans, qui a tué en l'espace de dix minutes cinq personnes en plein centre de Strasbourg, et blessé grièvement onze autres. Un geste qui l'a laissé lourdement handicapé.

De longs cheveux tombant sur une chemise en lin blanche, une silhouette longiligne à la démarche boitillante: "je suis la victime qui a tenté d'arrêter Chérif", déclare Damien, qui a raconté ce mardi 12 mars comment il a "désarmé" l'assaillant de l'attentat du marché de Noël à Strasbourg en 2018.

Ce 11 décembre 2018 au soir, Chérif Chekatt, un homme radicalisé de 29 ans, a tué en l'espace de dix minutes cinq personnes en plein centre de Strasbourg, et blessé grièvement onze autres.

Damien, 33 ans - 28 au moment des faits - était parvenu à "désarmer" l'assaillant, mais a payé cher ce geste qui l'a laissé handicapé après avoir reçu plusieurs coups de couteau infligés par Chérif Chekatt.

"On était dans l'euphorie"

"J'étais, avant l'attentat, au sommet d'une joie", raconte le jeune homme derrière ses lunettes rondes devant la cour d'assises. Son témoignage était particulièrement attendu parmi ceux des nombreuses parties civiles du procès qui se succèdent à la barre depuis plusieurs jours.

Ce jour-là, il venait de quitter son travail avec une avance financière qui lui permettrait bientôt d'organiser une rencontre entre sa femme - sa compagne au moment des faits - et sa famille. Il se réjouissait aussi d'un projet musical qui lui tenait particulièrement à cœur, "à mi-chemin entre jazz et musique tribale", précise-t-il.

C'est à propos de ce projet qu'il retrouve deux de ses amis du même groupe de musique dans le centre de Strasbourg. "On était dans l'euphorie, on commençait à rêver, faire des plans sur la comète", détaille-t-il, ponctuant ses phrases de profondes respirations.

C'est alors qu'un groupe de personnes "qui courait dans le sens opposé" croise leur chemin. Des visages marqués par la "peur" et "un stress profond", relate-t-il.

"Je suis apeuré, tétanisé"

"Je me souviens de cette petite fille qui était à bout de souffle, qui n'avait qu'une seule envie c'était de s'arrêter, et son père qui lui disait 'continue, continue, continue', je les ai suivis du regard, médusé", lâche-t-il.

L'un de ses amis "commence à sentir que quelque chose ne va pas". Mais sans avoir le temps de réaliser, "Chérif", qu'il désigne toujours par son prénom, "était déjà à portée de tir et il détonne son pistolet".

C'est "la première fois de ma vie que j'entendais un coup de feu. Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Je suis apeuré, tétanisé", détaille Damien qui est projeté au sol.

"Il y a un cri, un hurlement que j'entends encore (...), un truc que je ne peux pas oublier". Il l'ignore, mais il vient de son ami Jérémy que l'assaillant a atteint et blessé d'une balle dans la nuque. Ce cri s'avère salvateur, un "basculement", décrit-il.

De lourdes séquelles

"Je comprends qu'il faut que je me lève et que je combatte pour survivre", détaille le jeune musicien.

Une bagarre éclate. Damien, qui avait perdu ses lunettes dans sa chute, parvient à "désarmer" temporairement Chérif Chekatt de son revolver, mais ce dernier conserve un couteau.

"Il m'assène plusieurs coups de couteau dans le dos, le dernier me touche à la moelle épinière et je tombe sur le sol", reprend-il, avant que Chérif Chekatt ne récupère son arme, engage des tirs sur des militaires de l'opération Sentinelle, et poursuive son périple meurtrier.

"Toute la partie gauche en dessous de mon pectoral est atteinte d'une déficience motrice, tous les muscles sont endormis, inactifs ou atrophiés. Et (sur) tout le côté droit de mon corps, c'est une perte sensitive", décrit Damien avec calme.

"Quand on me pince, je ne le sens pas, quand on me caresse, je ne le sens pas (...), quand j'ai une douleur interne, je suis incapable de le savoir", développe-t-il.

Il explique avoir "changé complètement de vie", sans donner plus de détails. Malgré des tentatives de remonter sur scène, cette perspective lui demeure "insupportable". "Je préfère être loin des gens et pouvoir panser mes blessures tranquillement", conclut-il.

F.R. avec AFP