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Culture: pourquoi le tandem Macron-Dati est attendu au tournant pour sa première sortie

Rachida Dati le 17 janvier 2024 à l'Élysée

Rachida Dati le 17 janvier 2024 à l'Élysée - STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Le chef de l'État sera présent aux côtés de sa nouvelle ministre de la Culture ce jeudi 18 janvier en Seine-Saint-Denis pour sa première grande visite de terrain depuis sa nomination. Le geste, rare, vise à la fois à donner un élan à Rachida Dati, peu connaisseuse des politiques culturelles, et asseoir le choix présidentiel.

Un déplacement tout en symbole. Pour son premier déplacement d'ampleur depuis son arrivée au ministère de la Culture, Rachida Dati se rend ce jeudi après-midi à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, sous le haut patronage d'Emmanuel Macron qui l'accompagnera.

Cette visite vise à la fois à incarner les annonces du chef de l'État lors de sa conférence de presse tout en adoubant officiellement l'ex garde des Sceaux restée proche de Nicolas Sarkozy.

"On a une ministre très politique, avec une vraie expérience et un président qui souhaite faire ouvrir la culture à tous. C'est très puissant comme attelage avec un message fort", se félicité le député Renaissance Quentin Bataillon, ancien conseiller de l'ex ministre de la Culture Frank Riester, auprès de BFMTV.com.

"Très malin"

Nommée à la surprise générale ministre de la Culture jeudi dernier, Rachida Dati se sait attendue au tournant. Sans guère d'expérience dans les politiques culturelles, la maire du 7ème arrondissement de Paris avait ces dernières années surtout mis le cap sur les municipales en 2026.

Manifestement soucieuse de donner des gages à son administration, la nouvelle locataire de la rue de Vallois a immédiatement cité André Malraux lors du discours de passation de pouvoir avec Rima Abdul-Malak.

"C'est très malin de sa part de parler du fondateur du ministère pour se lancer. Ça montre qu'elle a compris ce qu'on attendait d'elle en faisant de la Culture une pratique pour tous et non pas un luxe pour quelques-uns", nous explique Philippe Douste-Blazy, l'ancien ministre de la Culture de Jacques Chirac.

L'occasion pour Macron de "défendre un chantier prioritaire"

Le clin d'œil vise aussi à mettre en scène sa proximité avec Emmanuel Macron. Directement à la manœuvre pour sa nomination découverte au dernier moment par Gabriel Attal, le président compte suivre de près son travail.

"Il a mis en haut des priorités l'accès à la culture pour tous lors de sa conférence de presse. Il est logique qu'il effectue ce premier déplacement avec sa ministre qui aura à s'occuper de ce chantier prioritaire", décrypte un proche du chef de l'État.

Lors d'une conférence presse mardi soir présentée comme un "grand rendez-vous avec la Nation", le locataire de l'Élysée a indiqué vouloir faire de la pratique du théâtre "un passage obligé" au collège, et ce, "dès la rentrée prochaine", tout comme "les cours d'histoire de l'art".

Si la matière est, sur le papier, enseignée de façon transversale dans le secondaire et peut même être une option au lycée, le président veut passer à la vitesse supérieure.

Une visite dans un lieu très symbolique

Les Ateliers Médicis qui accueillent ce déplacement conjoint n'ont pas non plus été choisis par hasard. Pensée comme une sorte de "Villa Médicis" pour la Seine-Saint-Denis après les émeutes de 2005, cet établissement culturel a finalement ouvert avec 10 ans de retard et accueille des artistes en résidence.

Dans ces villes parmi les plus pauvres de France, les Ateliers Médicis qui ont également pour mission d'impulser une dynamique culturelle locale doivent s'agrandir d'ici 2026. Autant dire que le lieu incarne l'ambition culturelle que souhaite défendre la nouvelle ministre.

"Trop de jeunes se disent encore 'le théâtre, les musées, la lecture, ce n'est pas pour moi'. La culture, c'est ce qui permet à chacun de se construire, de devenir un citoyen éclairé. Je le sais par mon expérience", a résumé Rachida Dati lors de sa première prise de parole à l'Assemblée nationale ce mercredi.

Un tandem façon Mitterrand-Lang

La visite présidentielle à ses côtés va également avoir le mérite d'asseoir définitivement à son poste l'ex garde des Sceaux. Avec peut-être un modèle derrière la tête: le couple Charles de Gaulle-André Malraux ou François Mitterrand-Jack Lang.

"À chaque fois qu'un président a soutenu fortement son ministre de la Culture, des choses très fortes sont sorties de terre", s'enthousiame l'ex ministre de la Culture Philippe Douste-Blazy.

Création du ministère, lancement du label des films d'art et essai, ouverture des maisons de la culture, Fête de la musique, création de l'Opéra Bastille... Le bilan des deux lointains prédécesseurs de Rachida Dati a en effet de quoi la faire rêver.

"Tant pis si ça ne vous plaît pas"

"Ils vont se faire un peu de publicité réciproquement. Mais ça ne fait pas une politique culturelle", s'irrite de son côté Max Brisson, sénateur LR et numéro 2 de la commission de la Culture au Sénat.

Le président avec elle, ça veut dire 'elle est là, je l'ai choisie. Tant pis si ça ne vous plaît pas'. C'est plutôt ça le message et ils nous visent autant, nous, comme majorité comme que les acteurs du secteur", ajoute encore un député macroniste.

Certains au sein de la majorité présidentielle n'apprécient guère que la rue de Valois soit un tremplin vers sa candidature à Paris aux municipales de 2026. Si le président a assuré ne pas avoir évoquer le sujet avec elle, Rachida Dati a pourtant confirmé sur RTL mercredi que "son objectif", "c'est Paris".

Un déplacement en dehors de Paris

La ministre de la Culture n'a pas d'ailleurs pas fait semblant: lors de son premier discours, elle a promis de "veiller à maintenir" le patrimoine parisien "en s'y "intéressant de près".

"On est plusieurs à juger que la culture ne doit pas être dévoyée pour appuyer sur le bouton de la bataille pour Paris. Manifestement, elle a compris qu'il faudrait le faire avec doigté. Sinon, elle se serait déplacée directement dans un musée parisien", souligne un élu macroniste de la capitale.

Le tempo risque cependant de s'avérer compliqué: la ministre pourra-t-elle rester à la Culture en pleine campagne? Benjamin Griveaux avait quitté son ministère pour être candidat en 2019 avant d'être remplacée par Agnès Buzyn, qui démissionnera, elle aussi, de la Santé.

Autant dire que Rachida Dati ne devrait guère passer plus qu'un an et demi rue de Valois. "Je ne suis pas sûr qu'elle laisse une trace très forte. Elle arrive trop tard pour ça" et "surtout partira trop tôt", assène un ex conseiller de Rima Abdul-Malak. Très loin de Jack Lang qui y est resté 5 ans et encore plus d'André Malraux pendant près d'une décennie.

Marie-Pierre Bourgeois