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Lidl, Aldi: le discount en France peut-il devenir aussi gros qu'en Allemagne?

Lidl a représenté en mars 7% des ventes en grande distribution en France.

Lidl a représenté en mars 7% des ventes en grande distribution en France. - AFP

Avec 7% de part de marché en mars, Lidl continue son ascension dans la grande distribution française.

Jusqu'où peut grimper le hard-discount en France? Créditées à elles deux d'à peine plus de 7% de part de marché en 2016, les enseignes Lidl et Aldi frôlent désormais les 10%, selon les derniers chiffres Kantar. Et leur poids va mécaniquement augmenter dans les prochains mois une fois qu'Aldi aura passé sous son pavillon les 547 magasins Leader Price rachetés au groupe Casino.

D'ici la fin de l'année, les deux discounters allemands devraient donc dépasser largement les 11% de part de marché, voire davantage avec la croissance liée à leur dynamique propre. Encore loin de l'Allemagne où les deux acteurs représentent plus de 30% des ventes en grande distribution mais petit à petit les discounteurs creusent leur sillage dans l'Hexagone.

"Entrer dans le top 3 de la distribution en France c'est impossible pour eux à moyen terme, estime Olivier Dauvers, expert en grande distribution. En revanche, ils vont franchir les 10% d'ici 5 ans, ça c'est une certitude."

Dans un secteur où on lutte pour gagner quelques dixièmes de part de marché, Lidl avance à un rythme de TGV. Le discounteur qui pesait à peine 4,5% du marché en 2016 a dépassé pour la première fois les 7% en décembre dernier. Avant à nouveau d'atteindre ce seuil sur le mois de mars avec un gain de 1,1 point par rapport à février.

Du côté d'Aldi, avec le rachat des magasins Leader Price et leur transformation qui devrait s'achever d'ici la fin de l'année, on s'apprête aussi à changer de dimension. Moins connu que son rival, Aldi a plus que triplé son budget publicitaire en 2020 (+231% selon Kantar) et est désormais le cinquième annonceur du secteur devant Système U et Auchan. Lidl étant troisième de ce classement, juste derrière Intermarché, mais largement devant Carrefour.

"Vous êtes malins"

Si ces enseignes dépensent beaucoup en publicité pour se faire un nom, c'est sur le terrain qu'elles ont opéré une radicale transformation en quelques années.

"La croissance de Lidl s'explique d'abord par son parc de magasins, assure Olivier Dauvers. Il est assez stable aux alentours de 1550, en revanche les magasins sont de plus en plus grands. Les anciens faisaient en moyenne 600-800 m², la moitié aujourd'hui dépasse les 1000 m². Lidl a beaucoup rénové ses magasins. Or un magasin Lidl rénové, c'est une progression de chiffre d'affaires de 50%."

A l'image du très grand Lidl de Villetaneuse (93) qui a ouvert ses portes en décembre dernier. Il s'agit d'un ancien supermarché Auchan de 2200 m² que Lidl a racheté à l'enseigne en difficulté. Plus beau et plus spacieux, il symbolise le nouveau de Lidl qui se veut plus attirant.

Et si son offre de produits assez ténue a peu évolué ces dernières années, Lidl a su mieux les mettre en valeur en multipliant les coups d'abord (Monsieur Cuisine, foires aux vins prestigieuses, baskets décalées pour faire du buzz sur internet...). En attirant une clientèle plus urbaine et aisée dans ses points de vente, l'enseigne a su en fidéliser certains.

"Lidl a aussi pris la parole dans des débats sociétaux comme la rémunération des agriculteurs, ça a marqué les esprits, explique Olivier Dauvers. Aujourd'hui c'est le stand Lidl qui est le plus visité du salon de l'agriculture."

Désormais, on va chez Lidl car on fait le choix de Lidl. Et non plus seulement parce qu'on n'a pas le choix.

"Le hard-discount d'avant disait aux clients qu'ils étaient pauvres, aujourd'hui il leur dit qu'ils sont malins", résume Olivier Dauvers.

Des magasins plus beaux et plus grands, une offre alimentaire limitée qui leur permet d'acheter en très grande quantité pour avoir des prix bas, une efficace politique de coup sur des produits non-alimentaires... Si la stratégie est bien rodée, sera-t-elle suffisante pour changer de dimension et devenir aussi incontournable qu'en Allemagne?

"Ca va être difficile, en Allemagne ils ont l'historique et ont fait depuis longtemps ce travail sur l'image, assure Frank Rosenthal, spécialiste du marketing dans la consommation. Là-bas, ils n'avaient pas ou presque pas de magasins paupérisés, le client n'avait pas l'impression d'être un "sous-consommateur.""

Ni drive, ni e-commerce

Surtout en France, Lidl et Aldi restent des seconds magasins. Même si un Français sur deux fréquentent dorénavant un magasin Lidl au moins une fois par an, son panier de courses est plus bas que chez Leclerc ou Carrefour. Cela s'explique par un choix plus limité de 1700 références contre plusieurs dizaines de milliers dans les supers et hypers concurrents.

"Si on en propose plus, on sort du modèle Lidl", explique Michel Biero, le directeur commercial du discounteur. Les clients de Lidl savent qu'ils ne trouveront pas tout dans leur magasin mais seulement l'essentiel à prix intéressant."

Ce qui est une force aujourd'hui pourrait s'avérer être une faiblesse si ces enseignes veulent changer de dimension.

A l'image d'ailleurs de leur quasi-absence sur les circuits de vente en ligne. Alors que drive et e-commerce alimentaire ont représenté 10% des ventes en 2020, les deux discounteurs sont aux abonnés absents. Aldi ne vend strictement rien en ligne et Lidl n'a qu'un site de voyages et une boutique de ventes de vins.

"Ils devront passer par le drive pour changer de statut et ils y viendront, estime Frank Rosenthal. Aldi propose déjà du click and collect en Allemagne et au Royaume-Uni. Lidl ce n'est pas dans leur culture ils devront investir."

Conscient d'avoir raté le coche en 2020 de l'explosion du e-commerce alimentaire, Lidl assure néanmoins qu'ils avancent sur le sujet.

"Nos réflexions s'accélèrent sur le sujet, assure Michel Biero. Ce n'est pas trop tard, on a une croissance à deux chiffres. Un drive ça ne se fait pas si rapidement, il faut bien étudier le marché, ça cannibalise un peu le stationnaire, vous n'avez plus l'achat d'impulsion quand vous avez des drives. Mais on va tester des choses."

Avancer vite mais, avec prudence.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco