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"Être contre l'IA, c'est comme être contre internet": quand l'IA bouscule la création de vidéos sur Youtube

Entre opportunités et crainte d'être remplacés, les créateurs de contenu s'interrogent sur l'utilisation de l'intelligence artificielle. Si la plupart utilisent l'outil pour améliorer la qualité de leurs vidéos, l'écosystème reste prudent.

"Tu verras Thomas, tout va changer. Les IA sont là pour te faciliter. Plus de stress et plus de souci, la technologie te rendra la vie plus jolie". La chanson d'Amixem, youtubeur aux 8,5 millions d'abonnés, reste dans la tête. La musique a en réalité été écrite par ChatGPT.

Les abonnés du créateur de contenu ont pu la découvrir l'an dernier, dans la vidéo Duel de blagues nulles édition ChatGPT, un concours de blagues, donc, toutes créées par une intelligence artificielle (IA).

Et le succès a été au rendez-vous. La vidéo cumule désormais plus de 3,6 millions de vues. Dans les commentaires, les internautes sont dithyrambiques. "Rire non-stop devant une vidéo Youtube, ça ne m'est pas arrivé depuis plusieurs mois", écrit un abonné. "Je veux une version complète de la chanson Tu verras Thomas", ajoute un autre. Le commentaire a été liké près de 500 fois.

A l'instar des musiciens, des acteurs ou des doubleurs de voix, l'intelligence artificielle bouscule le secteur de la création de contenu sur Youtube. "C'est un sujet qui préoccupe les vidéastes depuis plusieurs mois", remarque Jonathan Condesssa, planneur stratégique chez Otta.

Au sein de l'écosystème, le débat fait rage. Certains, comme Joueur du Grenier, s'inquiètent de l'essor des IA. "Dans cinq ans, on n’existera plus", alerte le youtubeur gaming en live sur Twitch. D'autres se montrent particulièrement enthousiastes. C'est le cas de Kwebbelkop. Le créateur a ainsi créé son double grâce à l'IA, expliquant que cela lui permettait de se préserver de la pression du métier. Mais la majorité des acteurs du secteur sont unanimes: mieux vaut s'emparer du sujet pour ne pas se faire devancer.

"Être contre l'IA, c'est comme être contre internet ou l'électricité. C'est autour de nous", relativise le youtubeur aux 14,5 millions d'abonnés Cyprien Iov. "Ca ne sert à rien de lutter contre."

Phase d'expérimentation

En France, la plupart des créateurs sont en phase d'expérimentation et intègrent petit à petit l'intelligence artificielle à leurs contenus. Dans une vidéo, Mastu et Joyca tentent de savoir si une photo a été faite par une IA. De leurs côtés, Mcfly et Carlito se sont penchés sur les chansons réalisées par ChatGPT. En novembre dernier, Squeezie a également utilisé l'IA pour remplacer à plusieurs reprises son visage et sa voix par celle d'Emmanuel Macron dans une vidéo.

Pour le moment, l’intelligence artificielle générative est majoritairement utilisée en post-production. "Au sein de l'équipe, il nous arrive de nous en servir. Par exemple, pour modifier un mot mal énoncé dans un rush, ou modifier une date erronée. Ca évite de refaire toute une séquence, notamment quand je ne suis pas disponible", détaille Benjamin Brillaud, alias Nota Bene. De son côté, Cyprien utilise parfois l'IA pour détourer des comédiens dans des vidéos. "Cette technologie permet aux créateurs de réaliser des économies de temps, et d'argent, tout en proposant une vidéo de meilleure qualité", résume Jonathan Condessa.

Un soutien technique, donc, mais également créatif. "L'intelligence artificielle permet de créer des montages ou d'illustrer des propos plus facilement. Il n'y a plus de limite", souligne Jonathan Condessa. Il n’est pas le seul à le penser: aide à l'écriture de scénarios, outils pour rendre réaliste une blague... Les possibilités sont infinies. "Quand je n'ai pas trop d'inspiration sur un thème difficile, il peut m'arriver de demander à une IA de générer une image", admet Hugo Prunier, qui fabrique des miniatures depuis six ans pour des créateurs. "L'idée, ce n'est pas de reprendre telle quelle l'image, mais de m'aider à trouver de l'inspiration si nécessaire".

Mais l'IA permet également de trouver de nouvelles idées de vidéos, voire de les écrire. "Pour tester, j'ai demandé à l'IA de me créer une vidéo Youtube sur un jeu. Et ça a marché", raconte Joueur du Grenier. Un outil formidable pour trouver des concepts originaux dans un monde de profusion où capter l'attention des internautes devient, chaque jour, plus difficile.

Vers une précarisation des métiers de la création?

La révolution de l’IA promet donc de bousculer la création de contenu. Mais elle n’est pas sans risques. Illustrateurs, miniamekers, concept creators, monteur... Certains acteurs de l'écosystème craignent pour leur emploi. "L'IA pose la question de la précarisation des métiers de la création", analyse Nota Bene. "Aujourd'hui, rien ne remplace l'humain dans ces domaines. Mais de nombreux métiers sont menacés et la situation peut vite dégénérer."

"Il y a des risques mais pour le moment, je ne suis pas trop inquiet", tempère de son côté Hugo Prunier. "La technologie n'est pas encore capable de modifier les images qu'elles créent. Et puis, on voit quand une image a été fabriquée par une IA", ajoute-t-il.

Le miniamaker de 21 ans travaille avec de nombreuses stars d'internet comme Djilsi, Hugo Decrypte ou Mastu. "Aujourd'hui, aucun créateur n'envisage de remplacer ses équipes par une IA."

"C'est primordial de garder le lien humain au centre de la création", confirme le spécialiste de la médiation historique Benjamin Brillaud.

Car, outre les questions éthiques, utiliser à outrance cette technologie pourrait aboutir à une perte de sens dans le métier. "Certains créateurs utilisent l'IA à des fins créatives, par exemple pour avoir d'autres idées de scénarios", reconnaît Cyprien Iov. "Mais moi, je m'amuse vraiment à trouver des idées, à penser la mise en scène... Si je délègue les tâches de mon métier à une IA, qu'est-ce qu'il me reste?," s'interroge le vidéaste.

Données, propriété intellectuelle et deepfakes

Au-delà des problématiques d'emploi, l'IA pose des questions autour de la propriété intellectuelle. Entraîner une IA nécessite une quantité considérable de données, parmi lesquelles figurent des illustrations, ou encore des vidéos Youtube. "C'est le travail des illustrateurs qui est pillé", s'indigne Nota Bene.

Autre risque majeur, celui des deepfakes, ces images, sons ou vidéos manipulés à l'aide de l'intelligence artificielle. Ces derniers mois, les publications usurpant l'identité des vidéastes se sont multipliées. Image trafiquée de Cyprien vantant les mérites d'une application de casino, faux comptes avec la voix de Nota Bene ou de Feldup... Des contentieux sont déjà en cours. Cyprien a décidé de porter plainte contre les auteurs pour avoir utilisé son image sans son consentement. "Les deepfakes peuvent avoir des conséquences graves, autant pour mon image publique, que pour les gens qui se font piéger par une arnaque", note le vidéaste.

"Ce sont des technologies difficiles à encadrer. Il faut donc avoir conscience des dérives et en parler un maximum", abonde Nota Bene. Sur Youtube et Twitch, les vidéastes commencent ainsi à publier des vidéos qui questionnent l'usage de l'IA.

De son côté, Youtube propose toute une série d'outils dopés à l'intelligence artificielle pour "stimuler la créativité des créateurs". Au programme, création d'arrière-plans pour les Shorts, ces courtes vidéos inspirées du format de TikTok ou fonctionnalité pour supprimer des sections. Pour réduire les risques de désinformation, la plateforme oblige les vidéastes a indiquer clairement si une vidéo utilise l'IA.

Salomé Ferraris