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TOUT COMPRENDRE - "Online Safety Bill": la loi sur le numérique qui inquiète au Royaume-Uni

Pointé du doigt pour ses "objectifs irréalistes", ce texte de loi est encore l'objet de débats au gouvernement britannique. Il soulève notamment des craintes du côté des messageries chiffrées.

Le gouvernement britannique est en discussion finale pour faire appliquer l'Online Safety Bill, un texte de loi visant à mieux encadrer les plateformes du numérique sur le territoire.

Le texte, visant à renforcer la sécurité et la gestion de la vie privée, doit être mis à exécution dans le courant de l'année 2024, mais ne parvient aujourd'hui pas à convaincre tous les acteurs concernés.

• Que contient ce texte de loi?

Présenté tel quel en mai 2021, ce texte s'apparente au DSA européen, qui n'encadre logiquement pas le Royaume-Uni. Il implique de fortes amendes, voire des poursuites judiciaires envers les entreprises qui ne s'y conforment pas.

Il s'agit d'encadrer les arnaques et la publicité mensongère, empêcher les mineurs d'accéder aux contenus pornographiques, donner aux utilisateurs un meilleur contrôle sur les contenus auxquels ils sont exposés, détaille le média Context. Un système de vérification de l'âge en ligne est également inscrit, similaire à ce qui vient d'être proposé aux Etats-Unis.

Enfin, les entreprises du numérique devront réaliser des audits sur les risques potentiels encourus par les mineurs lorsqu'ils utilisent ces plateformes, et partager au régulateur britannique les détails des mesures prises pour les limiter.

• Pourquoi le texte fait-il débat?

Si de nombreux acteurs sont montés au créneau pour dénoncer les failles de ce texte, la crainte se lève, entre autres, du côté des services de messageries chiffrées.

De façon paradoxale, ce texte prônant une sécurité renforcée et une meilleure gestion des données consiste, dans sa forme, à abattre les couches de sécurité proposées par des plateformes telles que WhatsApp, Signal ou encore Element.

Les messages chiffrés qui leur sont caractéristiques sont en effet un frein à la modération mentionnée dans l'Online Safety Bill. En imposant aux plateformes une modération stricte des contenus partagés sur ces services, elles seraient contraintes de briser cette promesse de chiffrage de bout-en-bout. Ce système permet d'envoyer des messages uniquement déchiffrables entre les interlocuteurs concernés - dans les textes, les plateformes elles-même ne peuvent les lire.

• Quels acteurs se sont déclarés contre?

WhatsApp est rapidement monté au créneau. "Les auteurs de la loi déclarent être satisfaits de l'importance du chiffrement et du respect de la vie privée, tout en affirmant qu'il est possible de surveiller les smartphones de tout le monde sans mettre à mal le chiffrement de bout en bout. La vérité, c'est que c'est tout simplement impossible", a déclaré WhatsApp dans un communiqué publié le 17 avril 2023.

Même son de cloche pour Signal. "[La loi implique] un système extrêmement coûteux et infonctionnel, qui relève aujourd'hui du domaine de la fantaisie. Signal pourrait complètement être mis hors-service avant que nous ne brisions les promesses faites envers la vie privée de nos utilisateurs" a alerté Meredith Whittaker, présidente de la fondation responsable de la messagerie Signal.

La fondation Wikimedia s'est, elle, investie contre le système de vérification de l'âge proposé dans le texte. "Cela irait à l'encontre de notre engagement à collecter un minimum de données personnelles de nos lecteurs et contributeurs" a affirmé sa représentante Rebecca MacKinnon.

Enfin, même les Nations Unies se sont inquiétées d'un "changement de paradigme qui soulève une vague de problèmes graves aux conséquences potentiellement désastreuses", dans un rapport publié en juillet 2022.

• Qui est à l'origine de cette loi?

L'Online Safety Bill trouve, en partie, son origine dans un événement survenu lors de l'année 2017: la mise en demeure d'Instagram par les parents d'une jeune fille qui s'est suicidée après avoir visionné un certain nombre de publications liées à la dépression, au suicide et à l'automutilation.

Largement médiatisée, l'affaire a eu une portée internationale et a poussé le gouvernement britannique à agir pour mieux réguler le numérique, en proposant à l'époque un premier texte de loi. Cette volonté a toutefois vacillé avec la succession des quatre cabinets qui ont été élus à la tête du pays depuis 2017, chacun remaniant le texte à sa manière.

En résulte donc un texte de poids, probablement l'un des plus stricts en matière de régulation numérique dans l'Occident, fortement débattu au sein même du gouvernement.

• Le gouvernement a-t-il réagi aux craintes?

Dans un rapport publié le 18 janvier 2023, le gouvernement actuel lui-même a publiquement pris consience des inquiétudes des différents acteurs. Il résume par ailleurs les modifications de la loi faites lors de son passage à la Chambre des communes anglaise, et les "changements prévisibles" que le texte final impliquera.

Bien que quelques concessions aient été faites dans la volonté d'un consensus, le texte reste assez similaire dans sa substance, et notamment sur les points qui fâchent.

Toujours en débat, le texte doit prochainement être validé par la Chambre des Lords avant d'être officiellement promulgué. S'il est accepté, il devrait être effectif dès la moitié de l'année 2024.

Victoria Beurnez