Tech&Co
Vie numérique

Qu'est-ce que le "mukbang", l'art de manger tout en se filmant?

Venue de Corée du Sud, la pratique du mukbang se démocratise. Mais ces vidéos de professionnels peuvent avoir un effet dévastateur pour les personnes souffrant de troubles alimentaires.

Ce n’est pas un secret: les internautes se fascinent pour les mises en scène répétitives. Une vidéo sur le “toudoum” de Netflix en boucle pendant 10 heures? Plus de 600.000 vues. La chaîne d’un Coréen qui se filme pendant des heures en train de réviser à son bureau? 400.000 abonnés. Rien d’étonnant donc que depuis plusieurs années, des vidéos de personnes qui mangent en se filmant fassent des centaines de milliers de vues. Cette pratique venue tout droit de Corée s’appellent le “mukbang”, contraction de “manger” (muk-ja) et “diffuser” (bang-song) en coréen.

La tendance a rapidement gagné les autres pays et notamment les Etats-Unis. Signe que le mukbang se démocratise, le New-York Times a consacré début juin un long portrait à l’américaine Bethany Gaskin, considérée comme la reine du mukbang aux Etats-Unis. Sa chaîne YouTube Bloveslife compte 1,9 million d’abonnés. Elle affirme que son activité lui a rapporté environ 1 million de dollars. 

Mukbang
Mukbang © Capture d'écran de la chaîne YouTube Bloveslife

En France, le phénomène n’a pas pris autant d’ampleur. Aucune chaîne spécialisée sur le sujet n’a de succès. Certains youtubeurs français s’adonnent toutefois au mukbang le temps d’une vidéo comme le candidat à l'Eurovision 2019 Bilal Hassani, ou encore les youtubeuses Jahan & Romane. Mais contrairement aux contenus produits par les stars du genre, il n’est pas question ici d’ingurgiter d’importantes quantités de nourriture, plutôt de discuter avec ses abonnés.

Pourquoi le mukbang fascine? 

“Nous avons soif de connexion. La majorité des Coréens, qui vivent à Séoul (10 millions d'habitants!), vivent dans de minuscules appartements [...]. Manger et parler autour d'un repas s'est avéré être une façon de se sentir proche des autres, même virtuellement”, expliquait le blog TheInterCulture en 2014, un an avant que le phénomène explose dans le monde entier.

Cet argument de la solitude est souvent avancé par les fans. En 2015, le média Vice consacrait un long reportage au mukbang qui fut très mal accueilli par les fans. À ce jour, il cumule près de 4 millions de vues. Des adeptes ont à l'époque reproché aux journalistes de diaboliser et moquer cette pratique. “Je peux comprendre pourquoi cela semble étrange pour des gens qui ne sont pas familiers avec le concept, mais c'est comme regarder un vlog ou quelqu'un se maquiller sur YouTube”, argumente un blogueur.

Mais le mukbang est-il si inoffensif? 

Les “stars” du mukbang sont généralement de corpulence normale malgré les grandes quantités de nourriture ingérées. Comme Matt Stonie, un Américain qui a d’ailleurs participé au concours du plus gros mangeur, ou la célèbre youtubeuse coréenne Hyunee. Dans son entretien au New York Times, l’américaine Bethany Gaskin précise d’ailleurs ne pas avoir pris de poids depuis qu’elle a commencé son activité, car elle ne mangerait que lorsqu’elle se filme pour sa chaîne, soit deux fois par jour. Mais comment font-ils?

“Je ne pense pas que ces personnes soient de vrais boulimiques. Le but des boulimiques n’est pas de manger mais de se remplir vite et beaucoup, sans pouvoir se contrôler. Pratiquer le mukbang serait trop culpabilisant”, décrypte Philip Gorwood, psychiatre, chef de service à l’hôpital Saint-Anne et co-auteur d’une étude sur l’anorexie.
“Ils développent probablement des stratégies pour dilater leur estomac et rendre ces concours du plus gros mangeur tolérable pour leur corps”. 

YouTube mukbang
YouTube mukbang © Capture d'écran de la chaîne HyuneeEats

Comme compenser avec une activité sportive intense. Mais ces vidéos pourraient avoir un impact dévastateur pour les personnes qui souffrent de troubles alimentaires.

“Les patients boulimiques ont souvent honte de leur comportement. Et ces vidéos pourraient banaliser voir valoriser ces comportements essentiellement malsains”, fait valoir le docteur Philip Gorwood.

Dans tous les cas, mieux vaut regarder tout cela avec prudence et se rappeler que ces stars du mukbang restent des professionnels, comme n'importe quel participant aux compétitions du plus gros mangeur, une institution aux Etats-Unis. 

https://twitter.com/Pauline_Dum Pauline Dumonteil Journaliste BFM Tech