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"Un monstre de climato-dénialisme": comment Twitter fait fuir les experts du climat

Alors que Twitter était une formidable plateforme pour les scientifiques pour partager leurs connaissances, ils sont désormais contraints de la quitter à cause du cyberharcèlement qu’ils subissent.

Partir pour mieux revenir? Depuis quelques mois, et plus précisément depuis le rachat de Twitter par Elon Musk en novembre 2022, les spécialistes du climat subissent de plus en plus de harcèlement sur la plateforme, études et témoignages à l’appui. A tel point que certains d’entre eux quittent le réseau social.

Le 15 août, une étude publiée dans la revue Trends in Ecology & Evolution démontre que la moitié des défenseurs du climat et de la biodiversité ont abandonné Twitter depuis dix mois.

Dans cette étude, les chercheurs ont comparé deux groupes d’utilisateurs de Twitter. D’un côté, un groupe témoin composé d'environ 450.000 internautes. De l’autre, 380.000 comptes qui contestent les observations scientifiques liées au dérèglement climatique.

Dans leur conclusion, les chercheurs estiment que 47,5 % des comptes du premier groupe sont devenus inactifs six mois après l’arrivée de Musk à la tête de la plateforme, contre seulement 21 % des comptes relayant leur scepticisme quant au dérèglement climatique.

Levée de toute modération

"L’augmentation des abus et des discours de haine sur la plateforme suite à la décision de Musk de modifier la modération des contenus pourrait avoir été à l’origine de ce changement", avance l’étude américaine.

Et pour cause, depuis son rachat, Elon Musk a largement taillé dans les effectifs de modération de la plateforme. Il a également rétabli des comptes anciennement suspendus pour incitation à la haine et propos conspirationnistes. Désormais, il entend désactiver la fonction de blocage d’un compte.

Une enquête publiée par la revue Nature confirme la tendance de l'accélération du cyberharcèlement. Nature a contacté près de 9200 scientifiques. Plus de la moitié d'entre eux ont déclaré avoir réduit le temps passé sur Twitter au cours des six derniers mois et un peu moins de 7% ont complètement arrêté de l’utiliser.

Ainsi, de nombreux climatologues français ont décidé de quitter la plateforme. A l’image de Robert Vautard, climatologue et coprésident du GIEC. Il a annoncé le 21 août, qu’il allait “bientôt quitter Twitter”.

Interrogé par Tech&Co, il souligne "qu'échanger sur les enjeux du climat nécessite du temps, de la discussion, et ce n'est pas du tout ce qui se produit sur Twitter. Il y a une baisse générale de niveau".

"Je vais vérifier que j'ai bien récupéré et sauvegardé toutes mes données puis fermer mon compte. De toute manière, je ne tweetais pas énormément. Je me servais surtout de Twitter pour suivre le travail de mes collègues, mais là je constate que de plus en plus de discussions n'ont plus grand intérêt", explique Robert Vautard à Tech&Co.

Face au déferlement de messages haineux, il plaide pour l'indifférence. "Personnellement, je ne réponds pas quand j'en reçois (des propos haineux, ndlr)". Il concède en recevoir peu par rapport à certains de ses collègues à qui il apporte son "soutien total".

"Décrédibiliser"

D’autres ont choisi de suspendre temporairement leur compte. Comme Christophe Cassou, climatologue au Cerfacs de Toulouse, dont le compte n'est plus accessible depuis le 5 août dernier.

A France 3 Occitanie, il a expliqué que son objectif en publiant des explications sur les enjeux du climat sur Twitter était de "de donner les informations les plus précises, factuelles et traçables pour que les acteurs et communautés se les approprient".

Lors de la publication du rapport du GIEC 2022-2023, son activité sur la plateforme a augmenté. Mais c’est aussi à partir de ce moment qu'il a observé une augmentation des attaques en ligne.

"Au fur et à mesure que je publiais, les faits étaient détournés, puis rapidement ça a basculé sur des attaques ad hominem et des hordes de climato-sceptiques qui venaient remettre en doute et questionner l’honnêteté intellectuelle et la déontologie du métier de chercheur", confie-t-il à France 3 Occitanie.

Après des attaques concernant son activité professionnelle, celles-ci ont ensuite empiété sur sa vie personnelle. La goutte d’eau a été des insultes après l’un de ses passages télévisés.

"Au début du mois de juillet, lors de l'une de mes interviews, j’avais le visage un peu tuméfié suite à une opération chirurgicale. J’ai reçu des messages de haine et des attaques sur mon physique, on m’a dit que j'étais alcoolique, que je m’étais fait tabasser… Arguments classiques pour décrédibiliser". Il a donc décidé de suspendre Twitter.

Comme Christophe Cassou, climatologue au Cerfacs de Toulouse dont le compte n'est plus accessible depuis le 5 août dernier.
Comme Christophe Cassou, climatologue au Cerfacs de Toulouse dont le compte n'est plus accessible depuis le 5 août dernier. © Capture Twiter

Serge Zaka est agro-climatologue et est lui aussi victime de cyberharcèlement sur Twitter. En juillet dernier, interrogé par BFMTV, il observait qu"'avec la canicule, c'est pire". Il pointe notamment les insultes racistes venant de comptes identifiables à l'extrême-droite. En 48h, il peut recenser des "milliers d'insultes" à son encontre sur les réseaux sociaux.

"Venant du Liban, on m’a dit que j’étais un enfant d’immigré et que je devais rentrer dans mon pays pour résoudre les problèmes climatiques et agronomiques de mon pays", explique-t-il à l'antenne de BFMTV.

Les attaques visent aussi les expertes du climat, où les insultes sexistes sont nombreuses. La chercheuse Valérie Masson-Delmotte a regretté la tournure qu'a pris Twitter ces derniers mois: "Tout ce que j'aimais sur twitter, notamment les rencontres fortuites, les échanges de fond, le partage de connaissances, est effacé par les algorithmes et la perte de modération", a t elle tweeté le 19 août.

Qui sont les harceleurs?

Pour comprendre ce phénomène de harcèlement envers les climatologues, il est intéressant de se pencher sur le profil des auteurs des messages haineux. C’est le travail qu’a entrepris le chercheur David Chavalarias dans l’étude intitulée "Les nouveaux fronts du dénialisme et du climato-scepticisme”, publiée en février 2023. Selon David Chavalarias, Twitter est devenu "un monstre de climato-dénialisme", faisant référence à ceux qui nient la réalité du réchauffement climatique.

Concrètement, l’étude s'appuie sur une analyse sémantique de millions de tweets portant sur le climat, tout en décortiquant les techniques de désinformation utilisées. Ainsi, il apparaît que les comptes climatosceptiques sont fortement liés aux comptes antivax qui ont sévi pendant la pandémie. Une augmentation des messages haineux a notamment été observée en juillet 2022, au moment de fortes chaleurs.

Un certain nombre de faux comptes (bots) sont aussi à l’origine de ces campagnes de dénigrement. L'étude affirme que "la communauté dénialiste comporte une surreprésentation de comptes aux comportements inauthentiques de +71% par rapport aux communautés pro-climat, avec 6% de comptes 'probablement bot'".

Attaques politiques

Et selon l’étude, un lien peut être établi entre certains comptes auteurs de cyberharcèlement envers les climatologues et la Russie. Ainsi, il apparaît que 60 % des 10.000 comptes climatosceptiques les plus actifs en 2022 ont relayé la propagande du Kremlin, alors que beaucoup ne s’intéressaient pas au climat avant 2022.

Désormais, les scientifiques cherchent des alternatives pour continuer à partager leurs publications sur les enjeux du dérèglement climatique, sans avoir à subir un déferlement de haine en ligne. Le 19 août, la chercheuse Valérie Masson-Delmotte a tweeté: "quels sont vos retours d'expérience sur BlueSky et Mastodon?". Faisant référence à deux - modestes - concurrents de Twitter.

Robert Vautard, va quant à lui migrer sur LinkedIn: "Je construirai progressivement ma cible à travers une sorte de journal de bord du GIEC en expliquant la manière dont on travaille, en détaillant les sujets abordés. Mon temps sera mieux utilisé que celui que je passe sur Twitter".

L’étude menée par David Chavalarias démontre qu’entre un quart et un tiers des "proclimat" ont cessé toute activité et ont probablement quitté la plateforme. Selon l'enquête de Nature, environ 46% des scientifiques ont rejoint d’autres plateformes comme Mastodon, Bluesky, Threads et TikTok.

Margaux Vulliet