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"On ne parle pas la même langue": ce qu'il faut retenir de l'audition de TikTok au Sénat

Liens avec la Chine, transferts de données, algorithme… Les sujets se sont enchaînés pendant six heures, sans qu'aucune réponse satisfaisante ne soit réellement apportée.

Deux représentants du réseau social TikTok ont été entendus, ce jeudi 8 juin, par la commission d'enquête dédiée au réseau social. Pendant plus de six heures se sont enchaînés les nombreux sujets de discorde, qu'il s'agisse de la Chine, du transfert de données ou encore de l'addiction et du danger pour les plus jeunes.

Une quantité de questions d'autant plus frustrante qu'au terme de cette commission, quasiment aucune réponse n'a été apportée par Eric Garandeau, directeur des affaires publiques, et Marlène Masure, directrice des opérations de TikTok France. "Dans les faits je n'ai rien appris et je ne m'attendais pas à des miracles", tranche le rapporteur de la commission Claude Malhuret (Horizons), interrogé par Tech&Co.

"Séparation totale" entre l'Europe et la Chine

Sur les relations avec la Chine, les deux représentants du réseau social sont formels: "il y a une séparation totale des activités". En début de séance, Claude Malhuret rappelle à chacun l'organigramme de l'entreprise dans sa version européenne.

"Nous étions surpris de ne pas y voir figurer le nom de la présidente de TikTok France", indique-t-il. Ce nom, c'est Zhao Tian, une femme d'affaires sino-canadienne à la tête de TikTok Ltd - et donc, de TikTok France. Elle est également vice-présidente de Douyin Ltd, la maison-mère de la version chinoise de TikTok. Eric Garandeau et Marlène Masure affirment tous les deux ne l'avoir "jamais rencontrée" et que la présidente en question occupe un poste "sans responsabilité opérationnelle".

TikTok étant une société simplifiée à actionnaire unique, Zhao Tian en est l'unique détentrice devant le registre du Tribunal de commerce. "Vous n'ignorez pas que depuis les lois chinoises de 2017 et 2019, tout citoyen ou entreprise chinoise est tenu de collaborer avec le gouvernement, que ce soit en matière de renseignements ou autre, et ce même de manière extraterritoriale", rappelle Claude Malhuret. Et Eric Garandeau de lui répondre, un certain nombre de fois, que la présidente en question n'a aucune fonction opérationnelle.

"Je crois qu'on ne parle pas la même langue", finit par s'impatienter le rapporteur.

Face aux réponses évasives du directeur des affaires publiques, les membres de la commission continuent d'enchaîner les questions sur la hiérarchie de l'entreprise et ses potentiels liens avec la Chine. Rien de concluant n'en sortira.

Aucune réponse, non plus, sur le fonctionnement de l'algorithme, ni sur le détenteur de sa propriété intellectuelle. Eric Garandeau affirme que l'application développe en ce moment des API, des dispositifs visant à mieux appréhender et tester les algorithmes.

"Nous sommes une jeune entreprise, et cette démarche ne diffère pas de celles des autres entreprises du numérique au même stade", rappelle le directeur des affaires publiques.

Il est vrai que TikTok, malgré sa croissance soudaine et rapide, n'a que quelques années: l'argument sera d'ailleurs utilisé de nombreuses fois pendant l'audition.

Des nouvelles du projet Clover

Sur les éventuels transferts de données vers la Chine, les réponses ne seront pas plus éclairantes. Eric Garandeau donne toutefois des nouvelles du projet Clover, un projet de datacenter européen destiné à gérer les données des utilisateurs sur le continent, promettant "des nouvelles sous quinze mois". Il indique que le "chantier est sorti de terre, en Norvège".

Il ne révélera pas le nom du prestataire numérique choisi par l'entreprise pour stocker les données, mais assure qu'il "ne s'agit pas d'un partenaire américain". Une affirmation qui sera, l'après-midi, mise à mal par sa collègue Marlène Masure, qui précise que le futur datacenter optera pour une solution américaine. "Le Cloud Act américain n'est pas raccord avec le DSA européen, vous êtes au courant?", lui répondra Claude Malhuret.

Marlène Masure comme Eric Garandeau affirment par ailleurs être "très confiants" dans la capacité de TikTok à se plier aux règles du futur DSA européen. Lorsque Claude Malhuret lit un rapport qu'il juge "vraiment accablant" de l'Arcom, empli de réponses non déclarées, Eric Garandeau expliquera que ledit rapport est survenu au moment de réflexions sur la mise en conformité de l'entreprise.

"Langue de bois"

À l'issue de la commission, Claude Malhuret regrette auprès de Tech&Co que ces auditions "aient été une démonstration de ce qu'est la langue de bois". Et de poursuivre: "je m'attendais malheureusement un peu à cela".

Pour lui, "ces auditions montrent que l'on a eu raison de lancer cette commission d'enquête pour mettre au clair certaines choses et de confirmer ou d'infirmer des faits". Il fait référence aux trois sujets qui ont guidé ces deux auditions: le lien entre TikTok et la Chine, la désinformation et les problèmes d'addiction chez les plus jeunes.

Le rapporteur renouvelle par ailleurs l'invitation lancée à Zhao Tian à la tête de TikTok Ltd - et donc, de TikTok France à s'exprimer auprès de la commission.

En conclusion, cette commission aura apporté davantage de questions que de réponses sur le réseau social de toutes les discordes. Elle devrait prendre fin en septembre et statuer sur des mesures à prendre envers le réseau social.

Par Victoria Beurnez et Margaux Vulliet