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Instagram: pourquoi le chiffrement des messages privés suscite des craintes

En protégeant la vie privée de ses utilisateurs, le chiffrement de bout en bout protège aussi les pratiques illégales, telles que la pédocriminalité.

Quelques jours après l'avoir appliqué sur Messenger, Meta veut également proposer le chiffrement de bout en bout sur Instagram, son réseau social dédié aux photos et aux vidéos, comme l'expliquait l'entreprise sur son site début décembre. Si la mesure, qui devrait être déployée dans les prochains mois, est une nouvelle bienvenue pour garantir la vie privée des utilisateurs, le bouclier qu'elle impose est toutefois à double tranchant pour les activités illégales, et notamment la pédopornographie.

Le chiffrement de bout en bout est présent de longue date sur le service de messagerie Whatsapp. Pour y discuter avec quelqu'un, cependant, il est nécessaire d'avoir au préalable enregistré son numéro de téléphone. Ce n'est pas le cas sur Facebook ni sur Instagram.

Les acteurs inquiets

Les deux réseaux sociaux, de par leur algorithme, peuvent très facilement mettre en relation deux personnes qui ne se connaissent pas. Pour cette raison, il est régulièrement reproché à Meta de laisser libre cours à la pédophilie sur sa plateforme: des adultes peuvent entrer en contact avec des mineurs presque sans obstacle. Début décembre, l'État américain du Nouveau-Mexique a entamé une procédure judiciaire contre le groupe, l'accusant de ne pas en faire assez contre la pédocriminalité. C'est le dernier en date d'une longue liste de procédures judiciaires menées contre le groupe.

L'application du chiffrement de bout en bout sur Instagram, pour cette raison, inquiète. Elle inquiète dans un premier temps les associations de protection de l'enfance: en 2021, une association de prévention des crimes commis contre les enfants avait expliqué dans un rapport que le chiffrement était "un obstacle à lutte contre la pédocriminalité".

Mais ce même dispositif a aussi inquiété au sein même du groupe Meta. David Erb, ancien directeur de l'ingénierie à Meta, avait déjà alerté une première fois en 2018 sur les dangers d'une telle mesure, rapporte le quotidien américain Wall Street Journal.

En perdant l'accès aux conversations des utilisateurs, le groupe perdra aussi la possibilité de détecter et signaler les cas d'abus sexuels sur mineurs. À l’époque, l'ancien employé menait un groupe de travail chargé d'identifier et d'analyser les comportements illégaux et dangereux.

"Des millions de pédophiles"

Le groupe a constaté que la fonction "Personnes que vous connaissez peut-être", présente à la fois sur Facebook et sur Instagram, était le moyen le plus utilisé par les prédateurs sexuels pour trouver des enfants.

"C'était une centaine de fois pire que ce que l'on imaginait. Il y avait des millions de pédophiles ciblant des dizaines de millions d'enfants", a déclaré David Erb auprès du quotidien financier.

Selon d'autres anciens employés qui se sont entretenus avec le Wall Street Journal, il a été question un temps de ne pas proposer aux comptes de mineurs le chiffrement de bout en bout. Pour plusieurs raisons, notamment de moyens financiers et humains, la mesure a finalement été rejetée.

Meta n'a pas encore précisé quand sera effectivement appliqué le chiffrement de bout en bout sur Instagram. Mais cette initiative pourrait ne pas être étrangère à la nouvelle législation européenne, qui imposera en mars 2024 de rendre Messenger et Whatsapp compatibles. Le second étant déjà chiffré de bout en bout, Meta a donc décidé de chiffrer également Messenger. Le chiffrement d'Instagram pourrait ainsi permettre à Meta de mettre en place des utilisations croisées des différentes messageries, avec un même protocole de sécurité.

Victoria Beurnez