Tech&Co
Instagram

Décapitations, tortures: sur Instagram, des comptes utilisent le gore pour gagner de l'argent

Pour générer plus d’engagements, et maximiser leurs bénéfices, certains utilisateurs d’Instagram n’hésitent pas à publier des vidéos choquantes de meurtres, de torture ou d’agressions sexuelles.

"Si j’ouvre Instagram et que je déroule mon fil pendant cinq secondes, il y a 50% de chance que je tombe sur une vidéo gore d’un compte de mèmes", regrette Jackson Weimer. Depuis l’an dernier, le créateur de mèmes (des vidéos humoristiques virales) installé à New York a remarqué une prolifération des contenus extrêmement violents sur Instagram. L’arrivée d’images de plus en plus explicites coïncide avec la mise en avant des Reels sur la plateforme, pointe le Washington Post.

Le média américain cite notamment des vidéos mettant en scène une femme sur le point d'être décapitée, un homme torturé, une agression sexuelle ou encore des scènes de maltraitance animales particulièrement choquantes. Une séquence mettant en scène une femme brûlée vive a ainsi été partagée par un compte cumulant plus de 560.000 abonnés.

Le Washington Post mentionne par ailleurs la vidéo, toujours au format "Reels" (créé pour concurrencer TikTok), d'un enfant touché par une balle en pleine tête, vue 83.000 fois. Avec, dans les commentaires, des témoignages d'utilisateurs choqués.

Un public jeune et masculin

Si le groupe Meta (propriétaire d’Instragram) est bien alerté du problème, il assure que ces vidéos ne représentent qu’un faible pourcentage du contenu présent sur la plateforme. Selon le dernier rapport sur le respect des règles communautaires, ces contenus ne représentent qu’environ trois vidéos pour 10.000 publiées.

Néanmoins, certaines scènes choquantes sont vues des dizaines (voir des centaines) de milliers de fois sur Instragram. Ainsi, les images d’un cochon ensanglanté jeté dans un hachoir à viande ont totalisé plus de 223.000 vues.

Dans la plupart des cas, ce sont des comptes de mèmes qui alimentent les algorithmes avec ce nouveau type de contenu. Ils regroupent de nombreux utilisateurs, pouvant cumuler plus d’un million d’abonnés. Seul problème, ce sont avant tout des jeunes adolescents qui suivent ces comptes, d’après une étude réalisée par YPulse. 43% des 13-17 ans suivent au moins un compte de mèmes.

"A l’origine, ces pages se servaient de contenu sexuel pour se développer, mais elles ont fini par utiliser pour du contenu gore afin de faire croître leurs comptes encore plus rapidement", explique Jackson Weimer.

La promotion de modèle OnlyFans

La publication de ces Reels permet d’accumuler de nombreux engagements. Car même négatif, un commentaire reste comptabilisé comme une interaction, qui favorise la recommandation par l’algorithme du réseau social. Et ce, même auprès d'un utilisateur ne suivant pas le compte émetteur.

Avec de telles statistiques, les comptes de mèmes peuvent proposer des contenus sponsorisés, et ainsi gonfler leur chiffre d'affaires. Le Washington Post note que les publications rémunérées servent principalement à promouvoir des comptes OnlyFans, une plateforme où les contenus pornographiques (et payants) sont autorisés. Et plus les engagements sont élevés, plus les prix s’envolent.

Des agences spécialisées s’occupent d’acheter des publications auprès de ces comptes influents. Mais "elles achètent tellement de publicités auprès des comptes de mèmes, qu’elles ne font pas de vérification pour l’ensemble", détaille Sam Betesh, un consultant en marketing d’influence.

C’est ainsi que certains modèles OnlyFans sont mis en avant entre une vidéo d’une femme battue à mort et brûlée vive et une autre montrant des personnes se faisant écraser par une voiture ou un train.

L'écosystème Instagram pointé du doigt

Dans l’agence de gestion de comptes OnlyFans qu’il dirige, Nick Almonte reçoit ainsi des plaintes de clientes "toutes les semaines". Ces dernières ne veulent pas être associées aux comptes propageant des images de violence.

Sarah Roberts est professeure assistante à l’université de Californie. Spécialisée dans les réseaux sociaux et la modération des contenus, elle appelle le groupe Meta à agir. "Bien sûr, les comptes de mèmes sont coupables, mais ce qui est fondamentalement responsable, c’est l’écosystème qui fournit un terrain si fertile pour que ces métriques aient une telle valeur économique intrinsèque", assure-t-elle.

Malgré les constatations du Washington Post, un porte-parole de Meta rappelle que ce type de contenu n’est pas éligible à la recommandation et que les vidéos enfreignant les règles sont retirées. Il indique également que le groupe travaille à l’amélioration de la façon d’empêcher les mauvais acteurs d’utiliser de nouvelles tactiques pour éviter la détection et échapper au dispositif de l’application.

Pierre Monnier