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A Plague Tale, Assassin's Creed Black Flag, Park Beyond: comment Olivier Derivière travaille la musique de jeux vidéo

Park Beyond

Park Beyond - Bandai Namco

On lui doit A Plague Tale ou encore Assassin's Creed Black Flag. Olivier Derivière est le compositeur de musiques de jeu vidéo que tout le monde s'arrache. Et c'est derrière la bande-son de Park Beyond qu'on le retrouve.

Son nom ne vous dit peut-être rien. Pourtant, si vous êtes joueur, il y a des chances que la musique d’Olivier Derivière soit arrivée jusqu’à vos oreilles. Il est l’un des compositeurs que le jeu vidéo s’arrache depuis 20 ans, derrière les musiques de Alone in the Dark, Assassin's Creed IV Black Flag, Vampyr ou plus récemment Streets of Rage 4 ainsi que A Plague Tale: Innocence (pour lequel il a été nommé aux BAFTA) et Requiem. Et il est désormais aussi derrière la bande-son de Park Beyond, qui sort ce vendredi 16 juin.

Mettre côte à côte les envolées musicales orchestrales de A Plague Tale ou Assassin’s Creed et l’idée qu’on se fait des musiques dans les parcs d’attractions montre le large éventail créatif de l’intéressé. Mais Olivier Derivière, récemment honoré par la ministre de la Culture lors de la cérémonie des Pégases, se plaît à passer d’un univers à l’autre.

"Chaque jeu invente une forme musicale imposée par le rythme de l’histoire", explique le musicien français. "Dans A Plague Tale, c’est très séquencé, beaucoup plus long et large. Il faut anticiper le narratif, le fait que le joueur puisse s’arrêter à tout moment, changer de voie. Dans Park Beyond, on a le temps de s’installer, de créer quelque chose, car c’est un jeu de gestion. La musique va concourir à une sorte de satisfaction. Le joueur est plus au cœur du fonctionnement pour la musique."

Park Beyond se veut dans la lignée des Rollercoaster Tycoon et autres Planet Coaster. Le but est simple: donner vie (et fantaisie) au parc d’attractions de vos rêves. Il propose un mode campagne dans lequel le joueur incarne un jeune créateur de montagnes russes qui doit éviter à l’entreprise Cloudstormer de la faillite. Il est donc temps de reprendre le parc en main, de le gérer, l’améliorer et attirer les foules de visiteurs. Pour cela, huit missions (dont deux tutoriaux) sont à réussir pour devenir le roi de la fête avant de s’attaquer au mode bac à sable bien fourni pour laisser la place à sa folie créative et à son imagination débordante.

Une recette simple qui fonctionne toujours et à laquelle le studio Limbic Entertainement apporte son grain de folie: l’impossification ou l’art de porter ses manèges à un autre niveau. Soit du grand n’importe quoi dépassant toute loi de la physique, mais c’est aussi ça qui apporte à ce Park Beyond son petit plus et le distingue du simple jeu de simulation.

Park Beyond laisse place à la créativité la plus folle
Park Beyond laisse place à la créativité la plus folle © Bandai Namco

Et pour accompagner cette folie ambiante, la musique était indispensable.

"Ils m’ont dit: 'On a envie de donner une personnalité au jeu'", se rappelle Olivier Derivière de ses premiers échanges avec Bandai Namco, éditeur du jeu. "On a envie de quelque chose qui soit plus que juste un jeu de management et on va partir dans un gros délire d’impossification".

Et pour lui, cela avait quelque chose de logique et follement créatif: "Le but, c’était de créer cette atmosphère, de suivre ce côté un peu fou sur un jeu de parc d’attractions. On se dit que la musique va être secondaire, mais il n’y a pas d’endroit où il y a plus de musique dans la réalité. Plus de bruit aussi."

Difficile d’imaginer un parc d’attractions sans brouhaha, dans un calme olympien. Le réalisme en prendrait forcément un coup. Alors celui que l’on connaissait sur des musiques plus symphoniques et soignées avoue avoir pris un plaisir fou à composer. "Dans le jeu vidéo, on fait de la musique un peu au pif pour associer au gameplay, car on n’a jamais l’image avant de composer. Il faut toujours visualiser même inconsciemment un rendu", explique-t-il.

"Il y a forcément un décalage parfois entre ce qu’on imagine et le rendu une fois qu’on a l’image. C’est aussi le rôle du directeur créatif du jeu de donner la direction et on échange beaucoup là-dessus."

Park Beyond
Park Beyond © Bandai Namco

Ne vous attendez pas à n’avoir que des musiques un peu sirupeuses et naïves dignes de la fête foraine. Olivier Derivière s’est attaché à donner à chaque attraction sa couleur.

"Le jeu apporte quelque chose de plus par rapport aux autres, c’est sa capacité à changer pendant que le joueur crée", analyse le créatif. "Il y a ces fameuses deux dimensions qui sont intéressantes musicalement avec Park Beyond. On va pouvoir habiller la musique comme on veut, car chaque attraction, chaque action choisie peut changer la musique en évoluant."

Il conseille donc d’écouter les évolutions sonores avec attention.

Son but: que les joueurs se souviennent de la musique, pas de lui

S’il est devenu incontournable dans la création vidéoludique, Olivier Derivière n’est pas une star pour autant par rapport à d’autres créateurs de jeux vidéo, même si on s’arrache son talent. "Ce qui m’intéresse le plus, ce n’est pas le fait que les gens aiment ma musique, c’est tellement subjectif. Mais c’est de lire les articles et qu’on dise que la musique illustre magnifiquement le jeu", confie-t-il. "Ça fait 20 ans que je me bats pour ça, c’est ce qui m’intéresse avec les joueurs, c’est la manière dont ils perçoivent la musique dans un jeu. S’ils l’affectionnent parce qu’ils ont aimé le jeu, c’est génial."

Pour lui, les choses évoluent avec la génération actuelle. Il y a davantage d’attention portée à la musique dans le jeu vidéo, comme ce fut le cas au cinéma. "On sent que la musique prend plus de place. C’est une partie intégrante", se félicite le Sudiste qui faillit partir travailler avec John Williams au début des années 2000 avant que le projet ne soit abandonné à cause des attentats du 11 septembre.

"La génération qui arrive est composée de joueurs. Ça peut provoquer des musiques plus dynamiques, car ils auront compris le langage du jeu vidéo et pourront mieux discuter avec un développeur, un directeur artistique. Mais on n’en est pas encore là à avoir des gens qui veulent véritablement composer au service du jeu vidéo."

Il reconnaître qu’être "un gros joueur" l’aide dans son métier. Il "grignote partout" et trouve ainsi son inspiration. "En tant que joueur, j’ai envie d’être surpris. En tant que créatif, j’ai envie de surprendre", résume Olivier Derivière. Quand on lui parle de parallèle entre la composition musicale pour un film et pour un jeu vidéo, ce féru de cinéma y voit de multiples points communs, même s’il reconnaît que le jeu vidéo "apporte plus de liberté sans doute que le cinéma" au niveau de la création.

"On m'a donné les moyens de cette liberté, on m'a offert des projets incroyables, même si personne n'a joué à certains jeux. Ce n'est pas grave, c'était fabuleux à faire", se rappelle le quadragénaire.

Il va désormais se consacrer à un projet de musique de film. Une nouvelle façon de travailler, glisse-t-il. "Ça va beaucoup plus vite et c’est peut-être beaucoup plus simple", s’amuse le compositeur, reconnaissant aussi que c’est "beaucoup plus d’énergie en terme créatif". Mais il assure qu’il ne délaissera pas le jeu vidéo pour autant. Et il y a tellement de grands jeux qui arrivent qu’il espère encore avoir l’occasion d’être surpris et de surprendre.

Park Beyond est disponible sur PlayStation 5, Xbox Series X|S et PC.

Melinda Davan-Soulas