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Élections, guerre: les deepfakes représentent-ils une menace pour l'information?

Ces fausses vidéos peuvent semer le trouble sur les réseaux sociaux en imitant, parfois à la quasi-perfection, des personnalités.

"Peuple de l'Ukraine, rendez les armes". Voici la phrase qu'aurait prononcée Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, dans une prétendue vidéo diffusée sur le site de la chaîne nationale Ukraine 24. Pourtant, il n'en est rien: il s'agit d'un deepfake, une vidéo montée de toute part grâce à l'intelligence artificielle.

Cette vidéo n'est ni la première, ni la dernière vidéo truquée qui est apparue sur les réseaux sociaux ces dernières années. Depuis 2019, la technologie des deepfakes suscite des craintes: elle permet de prêter à n'importe qui des propos inventés.

Pour les fabriquer, il faut compiler des centaines, voire des milliers d'images et de vidéos d'une seule et même personne afin d'entraîner un algorithme à la reconnaître, puis à l'imiter.

Les deepfakes ont initialement eu un retentissement inquiétant pour de nombreuses célébrités. Plusieurs actrices américaines ont vu leur visage apposé dans des contenus peu flatteurs, dont une majorité de vidéos pornographiques. C'est le cas, par exemple, de Scarlett Johansson, Jessica Alba ou encore de Daisy Ridley. En 2019, une étude estimait d'ailleurs que les contenus sexuels non-consentis représentaient 96% des deepfakes.

Manipulation politique

Mais les deepfakes ont aussi rapidement montré leur potentiel dans des enjeux politiques. Lors de la dernière élection présidentielle américaine, de nombreuses fausses vidéos des candidats de l'époque, Joe Biden et Donald Trump, se sont répandues sur les réseaux sociaux. On trouvait, parmi de nombreux exemples, une vidéo de Joe Biden affirmant "nous ne pouvons pas gagner cette élection, nous devons réélire Donald Trump". Il s'agissait d'un faux.

En France, le président, et actuel candidat, Emmanuel Macron a fait l'objet d'un deepfake très populaire, réalisé par French Faker, et dont la qualité est troublante.

Apanage de la désinformation par excellence, le deepfake a aussi, en contrepartie, été utilisé pour sensibiliser le public aux fausses informations. C'est notamment le cas d'une fausse vidéo de l'ancien président des Etats-Unis, Barack Obama, où il insulte Donald Trump, avant d'expliquer qu'il ne faut pas croire tout ce que l'on entend sur le web.

Dans le cas plus spécifique de l'actuelle guerre entre la Russie et l'Ukraine, et ici de la vidéo truquée du président ukrainien Zelensky, la supercherie était facilement identifiable. Dans un premier temps, en raison des lacunes techniques qu'elle présentait, mais également parce que les autorités avaient prévenu, en amont, que ce type de manipulation pouvait survenir dans le contexte actuel.

Cela étant, l'utilisation des deepfakes, dont la qualité est grandissante au fil des années, semble vouée à se répandre. Le milieu du cinéma s'y intéresse de plus en plus: en juillet 2021, le studio Lucasfilm avait recruté un talent de YouTube spécialisé sur la question.

"La technologie n'a de cesse de s'améliorer, et nous devons nous préparer à ce qu'elle soit utilisée plus régulièrement dans un contexte politique et social. Il faut s'assurer que les journalistes, et plus généralement le grand public, ait les clés pour distinguer le vrai du faux", prévient, auprès de BFMTV, Sam Gregory, directeur de programme dans l'ONG Witness, qui a pour objectif de sensibiliser le grand public à l'utilisation de la vidéo pour la protection des droits humains.

En termes de réalisation, ces vidéos ne sont toutefois pas à la portée de tout le monde. Compétences techniques, matériel informatique adapté et une très grosse base de données sont nécessaires pour une simple vidéo de quelques secondes. "Disons qu'une personne lambda ne pourra pas en faire, pas encore du moins", précise Sam Gregory.

Question de confiance

Toutefois, si les deepfakes sont -encore- bien souvent facilement repérables, ils ont apporté un problème d'une autre nature. "Désormais, tout est devenu sujet à manipulation", explique Sam Gregory. Le fait que certaines vidéos soient manipulées instille l'idée qu'elles soient, de fait, toutes manipulables: le public peut perdre confiance.

"Nous ne sommes pas préparés pour cette possibilité nouvelle de remettre en cause n'importe quelle vidéo, même si elle est totalement réelle et authentique. Cela peut avoir des conséquences sur la confiance envers les journalistes, les politiques ou encore les activistes", alerte-t-il.

L'inquiétude ne vient donc pas nécessairement des "fausses vidéos", mais plutôt de la traînée de poudre que répand une telle technologie. Un paramètre qui prend, d'ailleurs, son sens dans la guerre informationnelle entre la Russie et l'Ukraine.

Pour lutter contre les deepfakes, il vaut mieux, pour un oeil non averti, de remonter à la source plutôt que de vouloir identifier des soucis techniques et visuels. La qualité des deepfakes pourrait atteindre un point les rendant quasiment indétectables.

Pour cette raison, il est préférable de comprendre le contexte du contenu. Que cela soit en identifiant le média qui l'a diffusée, en croisant la vidéo avec d'autres, dans le but de déterminer s'il s'agit ou non de l'originale. Enfin, dans le cadre de conflit ou encore d'enjeux politiques, la vigilance est de mise pour les contenus trouvés sur les réseaux sociaux.

Victoria Beurnez