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Comment l’entreprise Fazup effraie les jeunes mères pour vendre ses patchs anti-ondes

Fabricant suisse de patchs anti-ondes à coller sur son smartphone, Fazup met en avant la protection de la santé des plus jeunes. Sans la moindre preuve scientifique.

"Cette maman ne sait pas que son bébé est en danger." A l'image, une femme enceinte, le ventre parfaitement en évidence, les yeux rivés sur son smartphone. La publicité, diffusée par l’entreprise Fazup sur Facebook et Instagram, vise les futures mères en leur proposant une solution clé en main: un patch anti-ondes, à coller à l’arrière de son mobile, pour se prémunir contre les effets de ces ondes électromagnétiques sur la santé. Et le tout au prix fort: 34,90 euros pour la version “Silver”, 39,90 euros pour la version “Gold” (totalement identique en dehors de la variation esthétique).

Publicités diffusées par Fazup sur Facebook
Publicités diffusées par Fazup sur Facebook © BFMTV.COM

Peur de la fausse couche

Malgré l’absence totale de preuves scientifiques sur les effets positifs de ces patchs sur la santé, Fazup communique massivement depuis le début de l’année 2020. En quelques semaines, des dizaines d'influenceuses ont fait la promotion de la marque, qui s'est par ailleurs offert des campagnes publicitaires sur Facebook. A ce jour, une vingtaine sont toujours actives, comme le montre l’outil de transparence du réseau social.

Il n'y a pas besoin d'être expert en communication pour comprendre la stratégie de l’entreprise basée à Delémont, en Suisse. Des éléments de langage récurrents apparaissent, concernant les effets des ondes sur la santé. Fazup évoque pêle-mêle des maux de tête, des troubles du sommeil, de la fatigue, des fausses couches, de l’infertilité et des tumeurs cérébrales. En mettant régulièrement l'accent sur les dangers de ces ondes pour les enfants et sur le rôle de la mère pour les protéger.

Une publicité diffusée par Fazup sur Facebook
Une publicité diffusée par Fazup sur Facebook © BFMTV.COM

Une préoccupation qui n’est pas dénuée de fondement, puisque l’OMS rappelle l’absence de consensus scientifique autour des risques à long-terme de l'usage massif du téléphone portable dans le monde, notamment concernant le développement de tumeurs ou la fertilité.

Mais pour vendre ses patchs anti-ondes, Fazup ne va pas seulement plus loin que l’OMS - par exemple en parlant "d'ondes nocives": elle sous-entend que ses produits vont protéger la santé de la mère et de son enfant. Franchissant la ligne rouge aux yeux de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), qui a analysé les récentes campagnes de Fazup.

"Sensation de maux de tête"

"Il en ressort que le dispositif promu est un objet qui se présente comme bénéfique pour la santé, relevant ainsi de catégorie des Objets, Appareils, Méthodes (OAM) encadrée par le Code de la Santé Publique (Art. L5122-15 du Code de la Santé Publique). Dès lors, l’ensemble des allégations doivent être prouvées scientifiquement", rappelle l'ARPP auprès de BFM Tech.
"En tout état de cause, lorsque des professionnels allèguent des effets bénéfiques liés à l’utilisation de leurs produits, il doivent être en mesure d’en apporter la démonstration" complète la DGCCRF, qui avait épinglé en 2016 les fabricants de patchs anti-ondes, accusés "d’exploiter l’anxiété des consommateurs". "Les allégations s’appuient, souvent, sur un vocabulaire fantaisiste ou entièrement inventé” expliquait alors la répression des fraudes.

Sur son site, Fazup n’apporte en effet aucune preuve concernant les effets de ses produits sur la santé, en dehors d’un visuel basé sur le ressenti d’utilisateurs. Ce qui n’empêche pas la marque de promettre une élimination ou une réduction des sensations de maux de tête ou de troubles du sommeil, toujours sur Facebook.

"Evidemment que non", répondent Antoine et Mathieu Samakh, co-fondateurs de Fazup, lorsqu'on leur demande s'il est prouvé que leur produit peut avoir un bénéfice sur la santé. "Nous écrivons par exemple que notre produit élimine la sensation de maux de tête, non qu'il élimine les maux de tête", précisent-ils, avant de conclure: "Si les gens le comprennent autrement, c'est leur problème". Toujours auprès de BFM Tech, ils évoquent "des milliers de retours positifs", et assurent être sur le point de mener une étude clinique sur le sujet.

La démonstration de l’efficacité de ces patchs anti-ondes - via l'ajout d'une mention "scientifiquement prouvé" - ne repose en fait que sur un principe simple, et connu de longue date: le déphasage des ondes. En un mot, il s'agit de placer un circuit métallique pour "annuler" une onde. "Le principe du déphasage de signal a été observé au siècle dernier" rappelle Stéphane, ingénieur en micro-électronique, à la tête de la chaîne YouTube Deus Ex Silicium.

Or, comme le notait l’Anses en 2013, après avoir mené des tests sur des patchs anti-ondes, cette technologie modifie les performances des smartphones, et peut se montrer contre-productive en incitant la machine à émettre encore davantage d’ondes pour compenser ce blocage artificiel. Interrogé par BFM Tech, Fazup regrette que l'Anses ne produise pas de preuve que ses produits puissent avoir un quelconque effet négatif.

"Ce qui est prouvé scientifiquement (d'après leurs propres tests, NDLR) c'est la réduction des ondes. Si cette réduction a un impact, ce sont nos consommateurs qui en attestent. C'est comme une étude clinique, sauf qu'il manque le placebo et le double aveugle", résument Antoine et Mathieu Samakh, auprès de BFM Tech.

Un bataillon d’influenceuses Instagram

Parallèlement à ses campagnes Facebook, Fazup vise les jeunes mères par le biais des influenceuses Instagram. Sur le réseau social, au moins une quinzaine de comptes ont fait la promotion de ces patchs depuis le début de l’année, par l’organisation de jeux concours ou par le partage de codes de réduction. Avec à chaque fois la reprise à l’identique des différents éléments de langage de la marque.

Pour cause, d’après un document que s’est procuré BFM Tech, l’entreprise Fazup fait parvenir aux influenceuses - rémunérées par une commission sur les ventes - une longue liste d’arguments à mettre en avant. Elles sont ainsi invitées à rappeler que les enfants absorbent dix fois plus d’ondes que les adultes (sans partager la source de l’information), qu'il faut "protéger ses proches et sa famille" face aux ondes électromagnétiques, et que l’efficacité de Fazup est prouvée "scientifiquement" (malgré, encore une fois, l’absence réelle de preuve).

En caractères rouges, Fazup incite les influenceuses à préciser les effets de ses patchs sur leur santé, en leur demandant de mettre l’accent sur la réduction de maux de tête, d’acouphènes, de troubles du sommeil, de picotements, d’échauffement de l’oreille, ou encore de vertiges. Autant d’éléments que l’on retrouvera dans les différentes publications, ou stories.

"C'est une population qui est particulièrement à risque. Le problème des femmes enceintes, c'est qu'elles posent tout le temps le téléphone sur leur ventre pour parler à leurs copines. Nous recevons des témoignages d'enfants qui ont des maux de tête", se défend Fazup.
Captures d'écran Instagram
Captures d'écran Instagram © BFMTV.COM

“Le Fazup (sic) sera bénéfique sur votre santé et bien-être car il réduit/élimine les maux de tête, les acouphènes, les échauffements de l’oreille, les troubles du sommeil” ose même la chaîne de distribution d’accessoire pour mobile The Kase, partenaire de Fazup. Le compte Instagram Leon's Corner, qui réalise une sélection “d’objets tendances et originaux”, va jusqu’à évoquer un produit capable de “sauver la vie” de son client.

Fazup, comme Petit Bateau

Toujours auprès de BFM Tech, l’ARPP est également interpellée par l’absence de la mention de partenariat dans de nombreuses publications. "Ne pas mentionner l’intention commerciale d’un contenu est considéré comme une pratique commerciale trompeuse, punie par la loi. Les pratiques commerciales trompeuses sont punies d’une amende pouvant aller jusqu’à 300.000 euros et jusqu’à deux ans d’emprisonnement", rappelle l’organisme, qui a récemment développé un système d’intelligence artificielle spécifiquement dédié à la détection de certaines publicités frauduleuses.

Fazup répond à ce titre que cette mention n'est pas de sa responsabilité, tout en assurant demander à toutes les influenceuses rémunérées de préciser le caractère publicitaire de leur contenu. "Ca nous embête quand elles ne le mentionnent pas", assurent les frères Samakh.

L'entreprise suisse n'est pas la seule à miser sur la fibre maternelle pour vendre des produits anti-ondes. Petit Bateau commercialise également des solutions pour “prendre soin de bébé dans un monde ultra connecté”, grâce à un bonnet (19,90 euros) ou une couverture (89 euros) contenant du fil d’argent et destinés à bloquer “les ondes émises par la wifi (sic)”. Là encore, sans preuve scientifique.

Capture d'écran du site Petit Bateau
Capture d'écran du site Petit Bateau © BFMTV.COM

Face à ce marketing jouant sur l’anxiété autour de la question des ondes, dont l'innocuité à long-terme divise toujours la communauté scientifique, il est cependant possible d’appliquer un principe de précaution pour compléter les normes imposées aux différents fabricants, par exemple en utilisant un kit main-libre, ou le haut-parleur de son mobile.

Le meilleur réflexe reste de faire attention à la qualité du réseau et de limiter les appels dans de mauvaises conditions. Ce qui permet, d’après l’Agence nationale des fréquences (ANFR), de diviser son exposition par 32.000, donc d’éviter plus de 99,99% des ondes émises par son smartphone. Sur son site, Fazup affiche quant à lui une baisse d’exposition de 30% à 80% pour l’iPhone X, le dernier modèle testé, selon les fréquences utilisées par les opérateurs pour nos appels téléphoniques.

Interrogés par BFM Tech, notamment concernant l’absence de preuves scientifiques sur les bénéfices des patchs et produits anti-ondes sur la santé, Petit Bateau, The Kase et Leon's Corner n’ont pour l’heure pas donné suite.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co