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D'un vieux mail à Tim Cook à l'interdiction de l'Apple Watch: pourquoi une entreprise médicale fait trembler Apple

S'il a été mis en lumière depuis le dépôt de plainte de Masimo à destination d'Apple, en janvier 2020, le contentieux entre les deux entités remonte en 2013.

Apple a (presque) sauvé ses deux dernières montres connectées. L’entreprise américaine a obtenu la remise en vente des Apple Watch Series 9 et Ultra 2 (sorties en septembre dernier) aux États-Unis, par une juridiction fédérale. Du moins, temporairement. Car cette dernière a décidé que la mesure d'interdiction ne serait pas appliquée le temps que la procédure d'appel arrive à son terme.

En octobre dernier, le Centre du commerce international (ITC) avait ordonné à Apple de retirer du marché ses deux derniers modèles de montres connectées. Le tout pour une histoire de violation de brevets.

À l’initiative de cette accusation, Masimo. Un géant - discret - de la technologie médicale qui proclame l’invention de l’oxymètre connecté, du moins tel qu'il est intégré à la montre d'Apple. Un dispositif qui permet de calculer le taux d’oxygène dans le sang.

Joe Kiani, son fondateur, accuse Apple d'avoir utilisé, pour tous les modèles d'Apple Watch depuis la Series 6, une technologie similaire à un brevet qu'elle avait déposé. Il a attaqué Apple en justice en 2020.

2013: un homme au cœur de l’affaire

Mais le litige remonte bien plus loin qu’en 2020. En 2013, l’emblématique directeur général d’Apple, Tim Cook, reçoit un mail d'un spécialiste de la santé connectée. Ce dernier travaille pour Cercacor, une filiale de Masimo.

"Je crois fermement que nous pouvons développer la nouvelle vague technologique qui fera d'Apple la première marque sur le marché de la médecine, du fitness et du bien-être", stipule, ambitieux, le mail du scientifique, que Bloomberg rapporte.

Dès le lendemain, un recruteur d’Apple prend contact avec l'expéditeur du mail, un certain Marcelo Lamego, un ingénieur spécialisé dans les technologies médicales. Docteur en ingénierie, diplômé de la prestigieuse université de Stanford, il fut embauché quelques semaines plus tard chez Apple.

Commença, dès lors, un travail de longue haleine durant lequel Marcelo Lamego demanda à Apple de déposer une douzaine de brevets liés à des capteurs et des algorithmes, permettant de déterminer le niveau d’oxygène dans le sang d’une personne à partir d’un appareil portable (un oxymètre, ndlr).

2013/2014: Rencontre et démission

Avant d’arriver chez Apple, Marcelo Lamego travaille chez Masimo en tant que chercheur scientifique de 2003 à 2006. Il devient ensuite directeur technique des laboratoires Cercacor - pionniers de la surveillance non invasive des patients.

Masimo affirme, qu’en plus de Marcelo Lamego, une vingtaine d’employés ont rejoint Apple, dont son ancien médecin en chef. Une rencontre avait même eu lieu entre Apple et Masimo en 2013. À l’époque, Apple cherchait à développer et renforcer son travail autour d’une montre connectée.

Les deux entités, pas sur la même longueur d’onde, n’ont pas réussi à trouver un accord. Dans son dossier d'accusation en 2020, Masimo évoquait qu'Apple avait "utilisé" à son profit la réunion pour “soutirer des informations” sur la technologie de l'oxymètre.

Quelques mois, seulement, après son arrivée, Marcelo Lamego démissionne d’Apple, jugeant que l'entreprise avait obtenu tout ce dont elle avait besoin. Une hypothèse contestée par Steve Hotelling, un ancien cadre d’Apple qui a travaillé sur l’iPhone, l’iPad et le Vision Pro. "Lamego ne s’intégrait pas dans l’entreprise", a-t-il affirmé dans une déposition sur l’affaire opposant Masimo à Apple.

"Il s’est heurté aux dirigeants, a exigé des budgets de plusieurs millions et souhaitait pouvoir embaucher ses propres ingénieurs sans autorisation."

Une courte expérience pour Marcelo Lamego, qui aurait suffi pour divulguer tout le savoir-faire de Masimo à Apple. Les avocats de Masimo affirment que l’ingénieur manquait de "connaissances préalables sur la façon de développer l’oxymètre (puisque ses études portaient sur des capteurs neuronaux plutôt que sur des capteurs de santé, ndlr)" et qu’il avait appris à "développer la technologie" chez Masimo.

L’Apple Watch sort au printemps 2015. Bien qu’en avance sur son temps, elle n'offre pas la possibilité de mesurer son taux d’oxygène dans le sang.

2020/2023: des plaintes dans tous les sens

Jusqu'en janvier 2020, date à laquelle Masimo a décidé d'attaquer Apple en justice, cette dernière n'avait pas dévoilé de technologie plus ou moins proche de l’oxymètre. Mais huit mois plus tard, l’Apple Watch Series 6 était dévoilée au grand public. Une fonction phare? Sa capacité à mesurer le taux d’oxygène dans le sang.

Le coup de grâce pour Masimo qui, dans la foulée en 2021, va adresser une nouvelle plainte à l’encontre d’Apple, cette fois-ci auprès du Centre du commerce international (ITC) pour "violation de brevets".

En 2022, Masimo a dévoilé au public sa "W1". Une montre connectée qui reprend les lignes d’une Apple Watch, mais bourrée de capteurs en tous genres, dont l’oxymètre. Apple y voit là une forme de provocation et intentera une action en justice contre Masimo. Apple accusait Masimo d’avoir enfreint cinq de leurs brevets.

Dans une interview donnée à Bloomberg, Joe Kiani, le PDG de Masimo, a déclaré qu’Apple "aurait dû faire les choses différemment". "Ils (les employés d’Apple, ndlr) ont été pris les mains dans le pot de confiture et, au lieu d'être embarrassés et de faire ce qu'il faut, ils blâment tout le monde et se battent contre tout le monde".

“Il est peut-être temps qu’ils pensent différemment", avait-il déclaré.

2023/2024: le dénouement…ou presque ?

L’ITC a tranché en faveur de Masimo en octobre dernier, ordonnant à Apple de retirer ses montres de la vente. Concrètement, l’Apple Watch Series 9 et l’Apple Watch Ultra 2 ne devaient plus être vendues en ligne à partir du 21 décembre et à partir du 24 décembre dans les points de ventes physiques.

Une décision qui arrivait au pire des moments pour Apple, avec l’approche des fêtes de Noël et de fin d’année. Le média Business Insider évaluait entre 300 et 400 millions de dollars (entre 275 et 365 millions d'euros) de perte. Un déficit colossal.

Apple se disait “en profond désaccord avec ces décisions” et promettait de continuer "d'analyser des options juridiques et techniques", permettant de garantir la vente des Apple Watch Series 9 et Ultra 2.

Jusqu’alors, seul un droit de véto de l’administration du président américain, Joe Biden, pouvait annuler la décision de l’ITC. Mais la Maison Blanche, qui avait jusqu’au 25 décembre pour s’exprimer, n’a pas donné de décision.

Dans une voie sans issue, Apple a dégainé sa dernière carte: faire appel de la décision prise par l’ITC. En attendant que la procédure d'appel arrive à son terme, l’entreprise américaine a été autorisée, par une cour fédérale américaine, à remettre en vente ses deux montres connectées.

La décision finale est toujours en suspend. Les avocats d'Apple ont déclaré à Reuters qu'une "décision sur les versions revues des modèles" d'Apple Watch sera prise le 13 janvier prochain par les autorités américaines, pour savoir si Apple aura, de nouveau la possibilité de vendre ses montres connectées, de manière continue, aux Etats-Unis.

Willem Gay