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Séries, investissements… les plateformes de streaming sont devenues incontournables en Europe

Capture d'écran du compte Twitter de Netflix France

Capture d'écran du compte Twitter de Netflix France - BFMTV

Au festival Séries Mania, à Lille, les plateformes de streaming ont une nouvelle fois été au centre de l'attention. Au-delà des séries populaires qu'elles diffusent, elles représentent désormais un quart des investissements dans l'audiovisuel en Europe.

C'était il y a dix ans: Netflix arrivait en France. En 2014, la plateforme de streaming américaine était encore un "petit" acteur venu de la location de DVD pour tenter de bouleverser le monde de la télévision. En une décennie, le paysage a radicalement changé. Ce sont les services de vidéo à la demande par abonnement (Svod) qui dictent les tendances et le tempo de la production.

Il suffit de se promener dans les allées du festival Séries Mania, dont la 15e édition s'est tenue à Lille du 15 au 22 mars, pour s'en rendre compte. Même si ce sont les producteurs et les diffuseurs qui sont installés sur les stands du Forum, la partie consacrée aux conférences et aux rencontres professionnelles, ce sont bel et bien les keynotes et les showcases des "streamers" qui remplissent le grand théâtre du Grand Palais.

Pendant trois jours, des responsables nationaux, européens voire mondiaux de Netflix, Disney+, Prime Video et Max (la très attendue plateforme de Warner Bros. Discovery qui en a profité pour annoncé son lancement en Europe le 21 mai… mais plus tard en France) se sont succédés sur scène face à un public déjà conquis pour présenter leur stratégie et leurs nouveautés.

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Netflix et les autres (mais de moins en moins)

Il faut dire que les "streamers" sont désormais incontournables pour l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel. Ils représentent 24% des investissements dans les contenus originaux européens, soit environ cinq milliards d'euros en 2022, selon les chiffres fournis par l'Observatoire européen de l'audiovisuel en ouverture de Séries Mania Forum. Ce chiffre affiche une hausse impressionnante sur un an, +70%, qu'il faut toutefois relativiser puisqu'elle est en partie liée à des reports d'investissements dûs au Covid.

Sans surprise, Netflix, devenu le 6e groupe audiovisuel mondial en termes de revenus (11e en 2021), est encore et toujours le vaisseau amiral du streaming globalisé. Le groupe représentait 45% des investissements des plateformes en Europe, en 2022. Mais les temps changent. Un an plus tôt, Netflix pesait pour 58% des investissements dans les contenus originaux européens.

De fait, derrière le géant du streaming, la concurrence prend de plus en plus de place. Prime Video et Disney+ multiplient les productions locales, notamment en France. Et Max a profité de Séries Mania pour présenter trois séries françaises à venir.

Signe de cette accélération, en tout, les plateformes de streaming ont produit 186 fictions originales européennes en 2022, contre 137 en 2021. Netflix représentait 62% de ces créations, loin devant Prime Video (20%).

Les coproductions européennes, parade au streaming global

Dans les faits, malgré cette percée continue du streaming depuis dix ans, les trois quarts des investissements dans les contenus originaux européens restent l'oeuvre d'acteurs "traditionnels" (chaînes de télévisions gratuites ou payantes, sociétés de production, studios…). Ce sont eux qui se partagent majoritairement le gâteau des 130 milliards d’euros du marché audiovisuel européen (en 2022).

Mais pas question pour autant de rester attentiste face à la multiplication des plateformes de streaming. La solution se situe à l'échelle européenne avec des coproductions de séries entre producteurs et/ou diffuseurs de plusieurs pays. Certes, leur nombre stagne entre 70 et 80 par an depuis cinq ans. Mais un phénomène émerge: la part des coproductions "interlinguistiques" augmente par rapport aux coproductions de même langue (France-Belgique, Allemagne-Autriche, etc.).

Les coproductions interlinguistiques représentent désormais les trois quarts des coproductions européennes sur les séries courtes (moins de 13 épisodes). "Tout ce que je sais de la production, je l’ai appris de la coproduction. Pour un petit pays c’est essentiel de coproduire", résume Pandora Gagnon da Cunha Telles, PDG d'Ukbar Filmes, une des principales sociétés de production au Portugal.

"Mais les séries sont différentes des films, il faut aller plus vite. On a parfois juste six mois de développement. On ne peut pas se permettre d’être ralenti par la bureaucratie. Et il faut que l’histoire parle à tous les pays impliqués."
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14.000 heures de programmes par an

Cette concurrence crée une dynamique de production inédite sur le vieux continent. 873 séries ont été produites en Europe en 2022, en augmentation de 12% sur un an. Les séries sont en revanche plus courtes. Les formats de moins de 13 épisodes représentent plus de la moitié des séries produites en 2022 (en hausse de 105% par rapport à 2015).

En moyenne, 1.200 titres, 23.000 épisodes et 14.000 heures sont produits chaque année en Europe, selon les chiffres de l'Observatoire de l'audiovisuel européen. De quoi ressortir des cartons un des serpents de mer du secteur: y a-t-il trop de films et de séries?

"Il faudrait 350 ans pour regarder l’ensemble du contenu disponible sur les plateformes", ironise Lucia Recalde, cheffe de l'unité Industrie audiovisuelle et programmes de soutien média à la Commission européenne.

"Peut-être que le rythme de production des dernières années n’était pas réellement soutenable. Les streamers sont plus prudents dans leurs décisions d’investissement. Les chaînes souffrent aussi d’une baisse des revenus publicitaires mais restent les premiers commanditaires en Europe. C’est donc plutôt un ajustement du marché", estime-t-elle.

"Pourquoi toujours considérer qu’il y a trop de contenus? On ne dirait pas ça de la production militaire ou de médicaments", rétorque la productrice portugaise Pandora Gagnon da Cunha Telles.
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Reste que, si le marché audiovisuel européen pesait 130 milliards d’euros en 2022, en hausse nominale par rapport à 2021, il était en réalité en repli en prenant en compte l’inflation. Assiste-t-on à un essouflement dû à la surproduction? "Il y a des signes que le marché se contracte dans certains pays mais pas en France où au Portugal, des pays qui imposent aux plateformes des contraintes de production locale. C’est plutôt signe d’espoir", veut croire Pandora Gagnon da Cunha Telles.

Réponse avec le bilan 2023. Les États-Unis ont déjà fait le leur et ont observé une baisse de la production de séries l'an dernier, une première dans l'histoire de la télévision américaine (hors Covid).

Clément Lesaffre