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Réseaux sociaux

Rentrée: comment le gouvernement veut priver les cyberharceleurs de réseaux sociaux

Le gouvernement entend suspendre de réseaux sociaux les harceleurs, en faisant peser la responsabilité sur les plateformes. Avec malgré tout de nombreux obstacles à prévoir.

Emmanuel Macron l’a réaffirmé ce 4 septembre lors d’une interview accordée au journaliste Hugo Décrypte: il veut "éloigner en ligne" les cyberharceleurs, en "les interdisant de réseaux sociaux" pendant six à douze mois. Le chef de l’Etat fait référence à un texte qui sera débattu dans les prochaines semaines à l’Assemblée nationale, le "projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique".

La mesure, déjà mentionnée au printemps 2023, vise à forcer les plateformes en ligne à supprimer les comptes des internautes qui se rendent coupable de cyberharcèlement.

Avec ou sans décision d’un juge

Pour l’heure, le texte évoque ainsi une suspension de réseaux sociaux en cas de condamnation pour harcèlement en ligne, pouvant être ordonnée par le juge. Mais Emmanuel Macron souhaite aller plus loin, en permettant aux autorités de faire suspendre un compte, sans même passer par la justice.

"Ce qu’on propose, c’est que sur la base d’une procédure graduée, le juge puisse tout à fait le faire (suspendre un compte, ndlr), mais que [...] quand les autorités compétentes le signalent aux réseaux, ils puissent aussi le décider" précise-t-il.

"Une obligation de suspension en dehors de toute décision judiciaire sur simple notification risque de ne jamais passer le filtre constitutionnel" tempère Alexandre Archambault, avocat en droit numérique, auprès de Tech&Co.

Il évoque par ailleurs un risque de censure du texte au niveau européen, les initiatives nationales concernant des géants du numérique opérant au niveau de l’Union européenne n’étant pas du goût de Bruxelles.

"La Commission européenne a rappelé que toute disposition nationale venant à créer à la charge des intermédiaires techniques (les plateformes, ndlr) une obligation supplémentaire (à la réglementation européenne, ndlr) était à proscrire", rappelle-t-il.

Nombreuses limites techniques

Ce 5 septembre au matin, Jean-Noël Barrot, secrétaire d’Etat au numérique, est revenu sur le texte lors d’une interview accordée à Sud Radio. Il a notamment rappelé qu’en cas de décision d’interdiction de réseaux sociaux, ce sera aux plateformes "de prendre tous les moyens nécessaires pour veiller à ce que la personne condamnée ne puisse pas se réinscrire sur le réseau social en question, en utilisant des données de connexion."

Le terme de données de connexion fait référence à toute information permettant de tracer une activité en ligne: une adresse IP, ou un numéro de série d’un appareil (smartphone/ordinateur).

De telles informations sont en effet conservées par les réseaux sociaux, qui pourraient alors les utiliser pour éviter à un internaute "banni" de se créer un nouveau compte. Par exemple, en bloquant toute tentative de création de compte liée à une adresse IP ou à un smartphone/ordinateur en particulier.

En pratique, un tel système comporte de nombreux trous dans la raquette, par exemple pour un internaute se connectant depuis un réseau qu’il n’est pas le seul à utiliser, ou tout simplement depuis le réseau mobile (qui mutualise les adresses IP).

Si le texte final était adopté, puis passait les obstacles européen et constitutionnel, tout en imposant la décision d’un juge, les victimes devraient faire face à un nouvel obstacle de taille: les délais de la Justice, avant de pouvoir, éventuellement, se débarrasser de leurs cyberharceleurs.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co