Tech&Co
Actualités

"Il faut arriver à sentir la bonne donnée": quand la data se met au service des champions de biathlon

Temps de ski, vitesse de tir, positions en temps réel: le biathlon offre depuis des années des centaines de données à chaque course. De quoi aider les entraîneurs et athlètes, et parfaire les analyses des fans d'année en année.

Télévision allumée, téléphone à la main et yeux qui passent d’un écran à l’autre: Christophe a ce qu’on peut communément appeler un comportement presque "normal". A un détail près: sur son téléphone, les données défilent sans discontinuer. Les minutes qui s’égrènent, les cibles qui basculent (ou pas), les écarts entre chaque coureur: le développeur web observe en effet avec attention le "data center", interface regroupant en temps réel toutes les données liées aux courses de biathlon, ce sport alliant ski de fond et tir à la carabine.

Avec un objectif: trouver la donnée insolite ou inédite qui permettra d’alimenter son compte Twitter dédié @biathstats où le toulousain de 48 ans s’amuse chaque jour à dévoiler des statistiques liées à ce sport d’hiver.

Sur ce site ouvert à tous, on peut en effet retrouver quantités de renseignements, que ce soit pendant la course avec les indicateurs en temps réel (écarts avec le premier, nombre de fautes au tir, position de l'athlète sur la piste...) mais aussi après les courses (pourcentage de réussite sur les deux positions de tir, classement par discipline, meilleurs performances par athlète, etc.).

"J’ai réuni deux choses: mon métier passion de développeur web- qui travaille beaucoup sur les statistiques- et ma passion personnelle qui est le biathlon. Mon but est surtout de chercher dans le passé les réponses des questions que je me pose pendant les courses", explique ce fan de biathlon depuis 6 ans.

Temple des données

Et pour ce faire, Christophe fait appel à son recueil de données cumulées course après course et qu’il récupère auprès de "realbiathlon", Mecque des données liées à ce sport. Le site recense des milliers de données de l'IBU, fédération internationale de biathlon, des années 50 aux courses de la saison en cours, qui permettent d’offrir tableaux, graphiques et classements accessibles à tous.

Le site realbiathlon offre des milliers de données relatives aux courses de biathlon.
Le site realbiathlon offre des milliers de données relatives aux courses de biathlon. © Capture d'écran

Un site qui offre même plusieurs abonnements mensuels de 1 à 7 euros par mois pour récupérer de manière efficiente les données (en langage de programmation) et parfaire les statistiques et analyses des fans, mais surtout des coachs et athlètes de toutes les équipes du circuit, comme l’équipe de France.

Vincent Vittoz, entraîneur de l’équipe de France masculine de biathlon, utilise par exemple les datas de l'IBU en temps réel pendant les courses afin de noter les écarts entre chaque athlète puis celles de "realbiathlon" pour les debriefs. Une façon pour lui de voir les évolutions tour après tour, jauger les gestions de courses mais surtout aider les biathlètes à aller vers une bonne performance.

"Ça peut être un élément de motivation pour nous en bord de piste. Il faut arriver à sentir la bonne donnée qui peut faire repartir l’athlète dans le bon sens", explique Vincent Vittoz à Tech&Co.

Utiliser ces données reste toutefois un défi de taille, avec une mise en contexte permanente selon les conditions de chaque course: soucis de matériel, conditions météorologiques ou conditions physiques des athlètes. "C’est un outil mais il faut savoir l’utiliser. Il faut qu’on arrive à isoler ce qui est important. Il faut surtout savoir gérer l’humain", souligne ainsi l'entraîneur des Bleus, interrogé en amont de l’avant-dernière étape de la saison à Östersund (Suède) et de l'annonce de son départ du staff de l'équipe.

"Les datas aident à montrer les progrès et mieux comprendre certains points mais la haute performance se fait souvent plus avec de la simplicité et de la gestion humaine", précise Vincent Vittoz.

4000 données par course

Récupérer les données reste bien beau, mais encore faut-il les calculer. Et c’est là qu’intervient l’un des prestataires de l’IBU, Siwidata, spécialiste des chrométrages dans plusieurs sports, comme le canoë ou le ski alpin. L’entreprise allemande basée en Italie offre ainsi ses services au biathlon depuis plus de deux décennies.

"Quand on parle de données et de leur utilisation, le biathlon est sans aucun doute l'un des plus complexes. Sans outils de chronométrage précis, ce sport, et l'évènement qu'il suscite, ne serait pas au niveau où il est aujourd'hui. Le public obtient des connaissances qu'il n'a pas normalement à la maison avec un autre sport", admet Siwidata à Tech&Co.

Et pour offrir ces données, l'entreprise s'appuie sur une technologie qui fait désormais partie de l’attirail du biathlète: le transpondeur. Cet outil qui s’accroche à la cheville fonctionne grâce à des envois de signaux en réseau sans fil et permet ainsi en temps réel de récupérer toutes les informations sur chaque athlète.

On peut apercevoir le boîtier noir sur la cheville du Français Quentin Fillon Maillet, lors de l'épreuve de l'individuel, comptant pour la Coupe du monde de biathlon, le 20 janvier 2022 à Antholz-Anterselva (Italie)
On peut apercevoir le boîtier noir sur la cheville du Français Quentin Fillon Maillet, lors de l'épreuve de l'individuel, comptant pour la Coupe du monde de biathlon, le 20 janvier 2022 à Antholz-Anterselva (Italie) © Marco BERTORELLO © 2019 AFP

Sur un sprint par exemple, où plus de 100 biathletes s’élancent, ce sont 39 paramètres qui sont comptabilisés, soient près de 4000 données sur l’ensemble de la course. Pour l'épreuve du relais mixte avec environ 20 nations au départ, 100 paramètres différents sont étudiés. Autant dire qu’avec 68 courses par saison (chacune ayant ses spécificités, son nombre de tirs et sa distance à ski), le total de données enregistrées par saison a de quoi donner le tournis.

Sur un sprint de biathlon, une quarantaine de paramètres sont recensés, offrant des centaines de données au total.
Sur un sprint de biathlon, une quarantaine de paramètres sont recensés, offrant des centaines de données au total. © Capture d'écran / IBU

Plus de précision à l’avenir?

Pas de quoi toutefois affoler Siwidata qui compte bien améliorer son dispositif encore davantage, après avoir par exemple ajouté cette saison plus d’intermédiaires sur les tours à ski sur le data center, en open-source depuis la saison 2016-2017.

"Nous travaillons en permanence sur des mises à jour pour expliquer le biathlon de la meilleure manière possible. Mais comme nous travaillons sur un sport extérieur avec du tir, toutes les nouvelles idées doivent être vérifiées pour résister à la météo et ne pas interférer avec les performances des athlètes", explique Siwidata.

Une des innovations envisagées pourrait être de connaître l'impact exact des balles sur les cibles. A l'heure actuelle, les coachs de tir sont encore dans l'obligation d'analyser ces tirs avec des jumelles spéciales, en reportant l'impact via des aimants sur des tablettes. Mais des cibles entièrement électroniques sont actuellement en développement et phase d'homologation et devraient permettre à terme de détecter avec précision le tir. Des systèmes avec caméras thermiques pour détecter les tirs sur les traditionnelles cibles mécaniques ont aussi aussi été testés.

"D'autres types de données comme le suivi de l'athlète en direct sur la piste, la vitesse à ski, la fréquence cardiaque ou la visée en direct (où la carabine pointe sur la cible avant le tir) ont également été mis au banc d'essai", nous informe Siwidata.
Siwidata travaille sur un suivi en temps réel des biathlètes sur la piste, encore en phase d'expérimentation.
Siwidata travaille sur un suivi en temps réel des biathlètes sur la piste, encore en phase d'expérimentation. © Capture d'écran / IBU

Des futures données qui devraient encore donner un peu plus le tournis mais également satisfaire les passionnés de biathlon, toujours plus friands de datas supplémentaires. "C’est un volume énorme de données mais c’est ce qui est intéressant aussi quand on cherche des choses insolites. Quand les gens rentrent dans l'univers biathlon, il y a tellement d’infos et de passé. Il y a donc une vraie curiosité d’avoir de nouveaux éléments, connaître un peu mieux ce sport. C'est un énorme domaine à explorer", affirme Christophe, qui évite désormais au maximum de regarder une course sans sa série de chiffres en perpétuel défilement.

Julie Ragot