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Société

"Un choix de modèle de société": pourquoi les agriculteurs bio sont absents de la mobilisation

Avec une filière en crise, les agriculteurs bio demandent également de meilleures rémunérations. Toutefois, alors que les autres manifestants veulent un allègement des normes environnementales, les producteurs bio demandent des aides pour accélérer la transition écologique.

"On est clairement solidaire du mouvement", affirme Thomas Lafouasse, céréalier et maraîcher bio en Essonne. Depuis près de deux semaines, les agriculteurs se mobilisent partout en France pour exprimer leur colère et demander des meilleures conditions de travail et de rémunération.

Pourtant, sur les points de blocages, on trouve très peu d'agriculteurs bio. "On est raccord avec une grande partie des revendications et du constat, mais on ne partage pas la méthode", explique Thomas Lafouasse.

"S'il y a une agriculture qui est en crise, c'est bien le bio", avance Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB).

Toutefois, il estime "ne pas partager suffisamment de revendications pour être présent" dans les cortèges d'agriculteurs. "On ne peut pas risquer d'amalgamer", justifie-t-il.

"On n'est pas au Far West"

Le point de divergence principal est la contestation des normes environnementales jugées trop contraignantes par une large partie des agriculteurs. La FNSEA demande ainsi "une sortie des incohérences du Green deal et de la planification écologique". "Nous, on est fier de respecter les normes et les règles: on n'est pas au Far West", lance Philippe Camburet.

"Certains subissent la norme, nous en bio, la norme nous la dépassons pour produire dans le respect de la nature", explique la FNAB.

Pour les agriculteurs bio, au contraire, "le problème vient d'un refus de penser la politique de la transition agricole en acceptant qu'on doive renoncer à des choses pour en créer de nouvelles".

Thomas Lafouasse souhaite "qu'on donne les moyens de faire la transition écologique". "C'est un choix de modèle de société", affirme-t-il. Ces agriculteurs demandent, eux, d'être "rémunérés pour respecter les normes". "Le problème, c'est qu'on voit que de le faire actuellement ça ne nous fait pas mieux gagner notre vie", déplore Philippe Camburet.

Ce mercredi 31 janvier, des agriculteurs bio d'Île-de-France se rassemblent. "C'est une mobilisation parallèle qui ne prône pas un retour en arrière", indique Thomas Lafouasse.

La problématique de la rémunération en commun

Les agriculteurs bio partagent, en revanche, de nombreuses revendications entendues dans les cortèges depuis plusieurs jours. Comme les autres, ils subissent de plein fouet l'inflation et la hausse des charges, dont le prix du carburant.

"Pendant dix ans, je vendais ma tonne de céréale à 450€ avec des coûts de production de 400€. Aujourd'hui, on me l'achète à 200€ la tonne", raconte Thomas Lafouasse. "Je vide mon compte pour pouvoir produire", déplore-t-il. La FNAB appelle à une revalorisation urgente du revenu agricole biologique.

En outre, ils demandent également le respect de la loi Egalim, l'une des principales revendications des agriculteurs en colère, visant à mieux valoriser la production agricole et à la transparence des prix. Cette loi prévoit aussi qu'il y ait 20% de produits biologiques dans la restauration collective. "Aujourd'hui, on ^n'est même pas à 10%", souligne Philippe Camburet.

Le choix d'un modèle de société

Alors que la nouvelle Politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne et ses objectifs de verdissement de l'agriculture sont dans le viseur de nombreux agriculteurs, ceux installés en bio demandent de meilleures aides pour la transition écologique.

Parmi leurs revendications: la mise en place d'un "paiement pour services environnementaux" c'est-à-dire pour les agriculteurs ayant des pratiques respectueuses de l'environnement. "Ce n'est même pas une aide mais un investissement pour les externalités positives que ça a sur la société", justifie Thomas Lafouasse.

"On ne produit pas bio pour une élite, c'est une question de santé publique", ajoute Philippe Camburet.

"Si on ne finance pas le bio et la transition écologique, les agriculteurs n'iront pas: il faudrait être suicidaire pour s'installer aujourd'hui", poursuit-il.

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En outre, ces agriculteurs bio appellent les autorités à mettre en œuvre un véritable "plan de relance pour l'agriculture biologique", notamment pour relancer la demande pour ces produits.

"Nous sommes à un moment où il faut faire des choix, soutenir l'ancien modèle libéral et exportateur ou soutenir le nouveau qui vise à nourrir les Français avec des produits qui protègent notre eau, notre climat, notre biodiversité et notre santé", écrit ainsi dans un communiqué la FNAB.

Le président de la fédération critique également ceux qui se placent vent debout "contre les importations étrangères". "Dans ce cas-là, il faut accepter de ne plus exporter et aussi réaliser que nos exportations peuvent être gênantes pour l'agriculture locale d'autres pays", détaille-t-il.

Une filière en difficulté

"On est également révolté et en grande difficulté financière", assure Thomas Lafouasse.

La filière biologique est en crise depuis plusieurs années. Le total des ventes est en baisse depuis 2020, selon les données de l'Agence bio. Face à l'inflation, la part du bio dans la consommation des ménages chute. "Il y a une grande difficulté à retrouver une image de marque du bio", observe aussi le producteur.

"Aujourd'hui, il y a un risque de déconversions massives", abonde dans le même sens Philippe Camburet, qui craint "un recul du bio" dans le pays.

Le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé avoir l'intention de "remettre 50 millions d'euros sur la filière bio". Une mesure bien insuffisante pour la FNAB, qui estime que cela revient à 833 euros par ferme biologique. "Ce n'est même pas le prix d'un pneu", déplore Philippe Camburet.

Salomé Robles