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Suicide d'un ado à Poissy: la lettre du rectorat, symbole de la mauvaise prise en charge du harcèlement scolaire?

Pour plusieurs associations de lutte contre le harcèlement scolaire, la lettre envoyée en mai par le rectorat aux parents de l'adolescent qui s'est est suicidé à Poissy est révélatrice de défaillances.

"Ce courrier est une honte (...) Mettez-vous à la place des parents qui ont écrit à l'institution pour les informer de la détresse qui était vécue par leur enfant et qui ont reçu ce type de réponse", a déclaré Gabriel Attal, le ministre de l'Éducation nationale, ce samedi, en réaction à la réponse du rectorat de Versailles aux parents de l'adolescent de 15 ans qui s'est suicidé, début septembre, à Poissy dans les Yvelines, dévoilée par BFMTV.

En avril, la famille du jeune homme, élève de troisième en prépa professionnelle au lycée Adrienne-Bolland de Poissy, alerte l'établissement sur des faits de harcèlement scolaire. Déplorant l’absence de "réponse" de la communauté éducative, les parents de l'adolescent déposent une main courante au commissariat de Poissy. Dans sa réponse, envoyée deux semaines plus tard, le rectorat de Versailles demande aux parents "d’adopter une attitude constructive et respectueuse", tout en leur rappelant les risques en cas de dénonciation calomnieuse.

"Nous ne sommes pas au rendez-vous"

Pour la Première ministre, Élisabeth Borne, le courrier est "décalé par rapport à la douleur des familles", a-t-elle déclaré au micro de BFMTV, ce samedi après-midi. "Manifestement, il y a une défaillance sur le type de réponse adressé à des parents extrêmement inquiets", a-t-elle ajouté. Il faut "qu’on soit beaucoup plus attentif à la parole des enfants", a insisté la cheffe du gouvernement.

"Cela passe par la formation de tous les adultes qui peuvent être en contact avec ces enfants pour comprendre la difficulté, la douleur qu'ils peuvent ressentir. L'objectif est que cela ne se reproduise plus et que tous les intervenants soient formés", a-t-elle ajouté.

"Ce courrier est à l'image de ce rôle manqué des adultes, c'est une déclamation de la non-volonté d'entendre que le harcèlement scolaire, c'est le quotidien des élèves. Si Nicolas est passé à l'acte, c'est sûrement un trop-plein, il n'a pas été écouté par les adultes", a réagi Hugo Martinez, président de l’association Hugo, victime du harcèlement scolaire.

"Dans ce combat contre le harcèlement scolaire, on a beaucoup demandé aux enfants de parler quand ils étaient victimes. En échange de quoi ? Normalement, de l'aide. C'est un contrat moral entre les enfants et les adultes. Nous ne sommes pas au rendez-vous", s'est-il insurgé.

Parmi les pistes évoquées pour le plan de lutte interministériel contre le harcèlement scolaire, qui doit être présenté à la fin du mois de septembre, Gabriel Attal souhaite que les adultes soient mieux formés à la détection de ces situations potentiellement dramatiques.

"100% prévention, 100% détection et 100% réaction"

Pour Nora Fraisse, dont la fille Marion, victime de harcèlement scolaire, s'est suicidée en 2013, c'est d'abord le délai qui pose problème: "Je suis profondément choquée. La réponse, elle arrive trois semaines après le courrier des parents, c'est extrêmement long", a expliqué à BFMTV la fondatrice de l'association "Marion La Main Tendue", qui lutte contre les violences et le harcèlement en milieu scolaire.

Pour Jean-Pierre Bellon, fondateur d'Aphee (Association pour la prévention de phénomènes de harcèlement), le courrier est révélateur "d'un certain état d'esprit qui existe encore chez certains cadres éducatifs qui semblent avoir plus de soucis à défendre l'institution qu'à défendre les enfants et les adolescents qui leur sont confiés", a-t-il analysé auprès de BFMTV.

"On paye encore très cher le retard français, cette époque où on minimisait, on sous-estimait le harcèlement scolaire", a ajouté Jean-Pierre Bellon.

D'autant que le courrier du rectorat de Versailles, envoyé aux parents, évoque "un supposé harcèlement". "C'est d'une extrême violence pour la famille. Ce qui a été écrit n'est pas à la hauteur de l'institution. On a un protocole et on écrit 'harcèlement supposé'. La parole des parents est mise en doute", s'est insurgé la fondatrice de l'association "Marion La Main Tendue".

"À partir du moment où, en tant que parent, vous révélez des violences à l'égard de votre enfant, ces violences doivent s'arrêter et être prises en charge", a réclamé Nora Fraisse.

"Je veux 100% prévention, 100% détection et 100% réaction", a promis Gabriel Attal, ce samedi, pour le futur plan de lutte interministériel contre le harcèlement scolaire. Mais les quelques mesures déjà annoncées par le gouvernement sont loin d'être suffisantes pour Hugo Martinez: "Les mesures déjà annoncées par le ministère de l'Éducation parlent de prévention, de sensibilisation, de questionnaire d'auto-évaluation des élèves victimes. On nous avait promis un grand plan interministériel, on nous annonce des bouts de ficelle pour lutter contre ce fléau".

Manon Aublanc