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Mort de Benoît XVI: la fin d'une cohabitation inhabituelle mais sans accrocs avec le pape François

Le Pape François et l'ex-pape Benoît XVI au Vatican, le 21 décembre 2018

Le Pape François et l'ex-pape Benoît XVI au Vatican, le 21 décembre 2018 - Handout / VATICAN MEDIA / AFP

C'est Benoît XVI qui décida d'être pape "émérite". "Il n'y a qu'un seul pape", avait toujours proclamé celui qui n'avait toutefois pas choisi d'être un "ex-souverain pontife". Des membres de l'Église appellent depuis lors à mieux définir ce nouveau statut, pour le moins flou.

Il était le premier pape à avoir démissionné depuis Grégoire XII en 1415. Le pape émérite Benoît XVI est mort ce samedi à l'âge de 95 ans. Le 11 février 2013, Joseph Ratzinger, de son vrai nom, annonçait qu'il renonçait à être pape, à cause d'une santé fragile.

Conséquence, alors que le pape François lui succède quelques mois plus tard, commence une insolite cohabitation entre le 265ème et le 266ème pape. Théologien très conservateur, Benoît XVI a souvent été opposé à son successeur, décrit comme plus progressiste, plus moderne et plus hardi.

"Benoît XVI est arrivé avec son monde, celui de l’écrit. Quand le pape François est arrivé, on est passé à l’oral", explique à BFMTV.com Bernard Lecomte, journaliste, écrivain, auteur d'une biographie de Benoît XVI.

Des écrits polémiques

Durant environ cinq années, cette cohabitation s'est déroulée sans accrocs. S'il avait promis de se montrer discret après sa retraite, Benoît XVI a néanmoins écrit, donné des interviews et, volontairement ou non, est devenu une figure de référence pour les conservateurs opposés au pape François.

En février 2020, ce dernier avait fermé la porte aux prêtres mariés et aux femmes diacres en Amazonie. Ne retenant ainsi pas les changements audacieux proposés par une assemblée régionale d'évêques (synode) des neuf pays amazoniens, désespérés par une criante pénurie de prêtres sur ce territoire.

Or la sortie à la mi-janvier 2020 d'un livre fustigeant les conclusions du synode et défendant mordicus le célibat des prêtres, co-signé par Benoît XVI et le cardinal guinéen ultra-traditionaliste Robert Sarah, avait donné l'impression d'une tentative de pression sur François juste avant une décision phare de son pontificat.

Le secrétaire particulier du pape émérite, l'archevêque allemand Georg Gänswein, avait finalement expliqué que Benoît XVI avait "envoyé un de ses articles" au cardinal africain "en lui permettant de l'utiliser comme bon lui semblait", sans jamais approuver un projet de livre à quatre mains. Mgr Gänswein, visiblement écarté suite à ce couac de l'entourage de François (dont il organisait les audiences), avait été invité à mieux s'occuper du pape retraité.

Auprès de BFMTV.com, Christophe Dickès, spécialiste de la papauté, voit toutefois davantage le trait d'union que le hiatus entre les deux papes, notamment dans leur engagement contre la pédophilie dans l’Église et les dérives financières. Il admet néanmoins une différence:

"François est un homme de pouvoir, au sens noble, c’est un gouvernant, pas Benoît XVI. François, quant à lui, n’est ni un théologien, ni un penseur."

"Un grand-père à la maison"

En avril 2019, Benoît XVI avait déjà pris le contre-pied de François sur la question des scandales des violences sexuelles du clergé, dans un long texte où il expliquait le phénomène par la révolution sexuelle des années 1960. À l'été 2018, un essai beaucoup plus théologique sur l'Eglise et le judaïsme avait aussi suscité des réserves, notamment de la part de rabbins allemands.

"Ça suffit de parler de deux souverains pontifes, parce qu'il y a un seul pape, celui qui est investi de l'autorité papale, c'est-à-dire François", a dû stipuler le cardinal Pietro Parolin, numéro deux du Vatican, las des divisions dans l'Eglise.

En 2016, le conservateur Mgr Gänswein avait notamment estimé: "Il n'y a pas deux papes, mais de facto un ministère élargi, avec un membre actif et un membre contemplatif".

De tels propos ambigus étaient du pain bénit pour une frange traditionaliste virulente, qui juge François "illégitime" et interprète tous les écrits du théologien allemand comme des critiques contre son successeur.

En 2016, François avait pourtant mis les points sur les "i". "C'est un pape émérite et non pas le second pape", avait-il dit, comparant son aîné de dix ans à "un grand-père à la maison".

Un statut "flou"

Le cinéma s'est aussi emparé de la thématique de cette forme de cohabitation. À l'instar du film "Les deux papes", qui imagine une joute oratoire entre un pape allemand beaucoup plus autoritaire que son timide modèle, et un futur pape argentin qui veut lui apprendre le tango.

"Benoît XVI est resté très traditionnel, François y va franco", explique Bernard Lecomte.

C'est Benoît XVI qui décida d'être pape "émérite" (comme les évêques retraités) tout en continuant à porter une soutane blanche dans les murs du Vatican. "Il n'y a qu'un seul pape", avait toujours proclamé celui qui n'avait toutefois pas choisi d'être un "ex-souverain pontife". Des membres de l'Eglise appellent depuis lors à mieux définir ce nouveau statut, pour le moins flou.

Salomé Robles avec AFP