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Les prêtres en couple sont généralement renvoyés lorsque leur relation se sait.

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"J'ai failli me retrouver à la rue": la difficile reconversion des prêtres qui ont quitté l'Église par amour

Le recteur de la cathédrale d'Orléans a récemment quitté les ordres par amour. D'autres prêtres qui ont brisé l'obligation de célibat racontent leurs difficultés après avoir renoncé à l'Église.

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En 2017, le père David Gréa a rencontré le pape François. Tous les prêtres ne peuvent pas en dire autant, mais cette rencontre n'avait pas pour but de le mettre à l'honneur. David Gréa était envoyé par son évêque, car il avait une relation amoureuse.

Il a rencontré en 2016 sa conjointe Magalie, "une protestante qui venait à l'église", explique-t-il à BFMTV.com. Ordonné prêtre à 31 ans, en 2000, il affirme en réalité avoir toujours eu des questionnements au sujet du célibat imposé aux prêtres par l'Église catholique latine.

"J’avais un problème avec le célibat, mais on m’a dit: 'ce n'est pas un souci, à partir du moment où Dieu appelle quelqu'un, il lui donne les moyens de vivre son ministère'", décrit David Gréa aujourd'hui.

"On nous dit que cette question sera résolue si on a un appel sincère", poursuit-il.

Cette question, il l'enfouit pendant plusieurs années car il s'épanouit dans son activité, mais trois ans avant de rencontrer Magalie, il se rend compte qu'il est "heureux comme prêtre, mais pas comme homme".

David Gréa, ancien prêtre, pose lors d'une séance photo à Lyon, le 5 avril 2018.
David Gréa, ancien prêtre, pose lors d'une séance photo à Lyon, le 5 avril 2018. © JEFF PACHOUD / AFP

C'est aussi ce qui a poussé, fin janvier, le recteur de la cathédrale d'Orléans à quitter les ordres, ne parvenant plus à supporter les "frustrations liées au ministère presbytéral, et plus particulièrement au célibat".

"Au cœur des épreuves traversées ces dernières années, le hasard de la vie a voulu que je trouve le réconfort dont j’avais besoin auprès d’une amie qui m’a écouté et soutenu", a-t-il expliqué dans un message adressé aux fidèles. "Aujourd’hui, je ne peux pas envisager l’avenir sans elle."

Des relations cachées

Ce sentiment qu'il "manque quelque chose", Marc Fassier l'a également ressenti. Devenu prêtre à 27 ans, il a donné 15 ans de sa vie à l'Église. "Ce qui m’attirait, c’était le côté relationnel, la conjonction entre la relation à Dieu et la relation aux autres, la quête d’absolu", explique-t-il à BFMTV.com.

Il est prêtre dans une paroisse des Lilas, en Seine-Saint-Denis, lorsqu'il rencontre Ingrid en 2017. Elle prépare le baptême de sa dernière enfant avec lui, "et au fur et à mesure, une relation d’amitié se construit" entre eux deux. "On échange beaucoup", raconte Marc Fassier.

Fin 2018, cette relation franchit un cap. "Je l’invite un jour chez moi pour prendre un thé et à la fin de cette rencontre, (...) elle m’embrasse", se rémémore-t-il. "C’est une surprise et en même temps une forme de révélation. Je me dis qu’il y a plus que de l’amitié, qu’il y a de l’amour. Elle a peur de casser notre amitié. Je lui dis 'accueillons ça, c’est ce qu’on doit vivre et avançons'."

"Je réalise que ce qu’il m’arrive, c’est ce que je cherchais depuis longtemps, la forme d’absolu après laquelle je courais: aimer et être aimé, de manière incarnée", ajoute l'ex-prêtre.

Suivent de longs mois de relation cachée, au cours desquels ils se retrouvent le plus loin possible de leur paroisse, de peur d'être dénoncés. En janvier 2020, le prêtre estime que cette situation n'est plus tenable, mais sa décision est accélérée par l'envoi d'une lettre anonyme à son évêque évoquant cette relation. Son supérieur décide de l'éloigner de sa paroisse, mais un peu plus d'un an après, à la suite de la participation d'Ingrid et Marc à un podcast, il le suspend de son ministère.

Le célibat, "un don pour les autres et pour Dieu"

Ce type de situation n'est pas si rare, pour le sociologue Josselin Tricou. En travaillant sur le genre et la sexualité au sein du clergé catholique, il constate que "souvent, ce qui fait le départ du prêtre, ce n'est pas le couple mais le fait qu'il se sache". Même s'il est "très compliqué de savoir combien de prêtres ont une vie sexuelle active", l'auteur du livre Des soutanes et des hommes estime que "dire que c'est le cas de 50% d'entre eux tient la route".

Pour le recteur du séminaire de Paris, le père Olivier de Cagny, "il faut faire la différence avec le prêtre qui tombe une fois dans un péché, qui demande pardon, se relève et repart". "Mais la double vie cachée, je n’ai pas l’impression que ça existe tant que ça", assure-t-il. "Je suis sûr qu’il y beaucoup de prêtres qui n’ont jamais de relations sexuelles, je suis sûr aussi que beaucoup sont tentés."

"Le premier motif" du célibat obligatoire des prêtres, "qui existe depuis toujours, depuis Jésus et l’Evangile, est qu’il y ait des gens qui soient entièrement donnés à l’Église", rappelle à BFMTV.com celui qui forme de futurs prêtres.

"C'est un signe d’une disponibilité totale, d’un don pour les autres et pour Dieu", résume-t-il.

Il y a également une dimension sacrificielle. "En célébrant la messe, on célèbre le don de Jésus qui donne aussi son corps", expose le père de Cagny. "Comme nous, prêtres, nous présidons cette célébration, nous voulons vivre concrètement ce qu’on célèbre dans la liturgie."

Un départ souvent contraint

Quitter son ministère n'est pas exactement comme une démission dans une entreprise classique. Lorsque le départ suit une relation amoureuse, il se fait plutôt sous la contrainte: quand l'évêque de Bernard Chalmel a découvert en 2005 que le prêtre - entré au séminaire à l'âge de 18 ans - avait deux enfants, il lui a donné un mois pour quitter le diocèse.

Il avait alors 57 ans. "Quand on est prêtre, on n'est pas assez entouré", estime-t-il. "Souvent, on est invités aux baptêmes, aux mariages. Et ensuite, on rentre chez soi et on se sent seul. On n’a personne avec qui le partager."

"On ne parle que d’histoires d'Église avec les autres, comme si notre humanité n’existait pas, les gens nous désincarnent", déplore l'ex-prêtre.

Le père de Cagny reconnaît que les prêtres traversent "des crises et des épreuves" et assure que l'Église est "aujourd'hui très attentive à leur solitude".

Remercié de l'Église, Bernard Chalmel reçoit en compensation un an de "salaire". À la fin de cette année, il s'inscrit en tant que demandeur d'emploi. "Ils ont rigolé", se souvient-il. "Des curés, il n'y en a pas beaucoup qui se pointent à Pôle emploi. Ils ne savaient pas dans quelle case me mettre."

"D’un seul coup, on revient à zéro"

David Gréa dit avoir "failli se retrouver à la rue" après son départ de l'Église. Grâce à un bilan de compétences payé par son diocèse, il a toutefois pu se reconvertir en tant que coach en management et dirige aujourd'hui une entreprise dans ce domaine avec Marc Fassier. Ce dernier a également mal vécu le fait de quitter un travail qu'il aimait profondément:

"Notre vie, c’est prêtre... Notre statut social, c’est prêtre... D’un seul coup, on revient à zéro."

"Il y a une mythologie catholique qui veut que l'entrée dans le sacerdoce soit un énorme sacrifice", commente le sociologue Josselin Tricou. "Mais le vrai coût est celui du départ, qui entraîne la perte de l'aura de prêtre, d'un métier à vie, d'une sécurité économique… Ils ne quittent que quand ils y sont obligés."

"Le fait de prêcher me manque, c’est quelque chose que j’ai toujours en moi", déclare par exemple David Gréa. "Je continue à aller à l’église et ça m’arrive de penser que j’aurais des trucs à dire."

"Ma vie de prêtre me manque beaucoup, j’en fais encore des cauchemars", dit aussi Bernard Chalmel. "Mon regret, c'est toutes les relations humaines que j'ai pu tisser, mais par rapport à l'institution, qui pour moi évolue très mal, je n'ai pas de regrets."

Un sentiment "d'abandon"

Ces difficultés matérielles et psychologiques se conjuguent avec un sentiment d'exclusion et d'injustice. Marc Fassier dit ainsi se sentir "excommunié". "Mettre dehors des prêtres qui vivent sainement leur amour est une incohérence que je ne supporte pas", dénonce-t-il, faisant le rapprochement avec les révélations, ces dernières années, d'agressions sexuelles et de viols commis par des membres de l'Église catholique et parfois couverts par cette dernière.

"Je me suis senti trahi", déclare de son côté Bernard Chalmel. "Je savais qu’on s’engage au célibat en étant prêtre, mais le fait de ressentir un amour humain n’empêche pas de faire du bon travail auprès des gens".

"J’ai ensuite vécu ça comme un abandon", poursuit celui qui est ensuite devenu chauffeur de bus. "Personne ne pose la question de comment vous vivez, comment vous reconstruisez votre vie, on est lâchés dans la nature."

"Ensuite vient le sentiment de rejet", puis "la colère, on se dit qu'ils ne changeront jamais", conclut-il.

Olivier de Cagny admet qu'"il y a une question économique et une question du point de vue de l’humanité, de la fraternité" dans l'accompagnement de ces ex-prêtres. "On devrait pouvoir garder une relation fraternelle et c’est difficile, des deux côtés on se sent trahi."

"En même temps comme le choix (de devenir prêtre et donc célibataire) a été fait librement, on assume les choix qu’on fait, ça ne peut pas être une surprise d'être renvoyé de l'état clérical. De notre côté, il faut aussi qu’on veille à ne pas être méprisant", ajoute-il.

Vers un assouplissement de la règle?

La remise en question du célibat obligatoire des prêtres est-elle si lointaine? Le sociologue Josselin Tricou observe que "la question n'est pas complètement fermée", même si "le temps de l'Église n'est pas forcément le temps de l'actualité". En 2019, lors d'un synode (une assemblée ecclésiastique) sur l'Amazonie, l'idée d'ouvrir la prêtrise aux hommes mariés avait été suggérée, pour pallier un manque d'abbés dans la région. Une proposition qui n'avait finalement pas été retenue par le Vatican.

Le pape François lors de l'ouverture d'un synode sur l'Amazonie au Vatican, le 7 octobre 2019.
Le pape François lors de l'ouverture d'un synode sur l'Amazonie au Vatican, le 7 octobre 2019. © Andreas SOLARO / AFP

Pour le père Olivier de Cagny, "le débat est ouvert, mais on n'y arrive pas vite" non plus. Le recteur souligne que "l’enseignement du dernier concile (Vatican II, de 1962 à 1965, NDLR) et les derniers papes ont redit leur attachement à cette obligation en Occident".

Lorsque David Gréa et sa conjointe Magalie ont rencontré le pape en 2017, "cela s’est très bien passé, c’était un homme très simple, accueillant, respectueux": "Il a dit qu’il reconnaissait la sincérité de notre démarche et son courage. Il avait une conviction fidèle à celle de l’évangile, que le célibat est un appel et pas quelque chose d’automatique."

David Gréa n'avait visiblement pas reçu cet appel et a été réduit à l'état laïc lors d'un procès canonique, après 17 ans de prêtrise.

Sophie Cazaux