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"Pourquoi s'embêter à faire ça?": comment le repassage est passé de mode

Les Français délaissent de plus en plus le repassage.

Les Français délaissent de plus en plus le repassage. - PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV

Nouveaux textiles, techniques d'étendage, gain de temps, plus grande acceptation des vêtements un peu froissés, réorganisation du partage des tâches domestiques... Beaucoup de Français, notamment les jeunes, renoncent au repassage des vêtements. Est-il en passe de devenir anecdotique et réservé à quelques vêtements occasionnels?

Repasser, c'est dépassé? Louis a toujours vu sa mère s'occuper avec soin des affaires de toute la famille, et ce, plusieurs fois par semaine. "Même les caleçons ou les draps!", s'exclame-t-il. "Ça me paraissait impensable d'avoir un habit un peu froissé", confie le jeune homme, aujourd'hui âgé de 25 ans.

Lorsqu'il est parti faire ses études loin du foyer familial, sa mère lui a appris à bien repasser son linge. "Du coup, j'ai gardé cette habitude mais rapidement je me suis aperçu que ça me prenait beaucoup de temps, je ne me voyais plus faire comme elle", raconte-t-il. "J'ai tenu quelques mois puis je me suis rendu compte que je pouvais largement m'en passer."

Le jeune homme n'est pas le seul à progressivement délaisser le fer. Contacté par BFMTV.com, le Groupement des marques d'appareils pour la maison (Gifam) observe ainsi "un changement structurel qui témoigne de l'évolution des consommations".

"Le marché était déjà déclinant avant la crise du Covid mais il y a eu une accentuation à partir de là", détaille Émilie Pin, responsable statistiques et études de l'organisation.

En 2022, les ventes de fers à repasser ont baissé de 3,3% et celles des centrales vapeur de 6,9%. Un déclin du secteur du soin du linge qui s'opère depuis plusieurs années maintenant: -7,3% en 2018, -2,4% en 2019, -4,9% en 2022.

Un style "informel et sportif"

"Ça fait partie des tâches ménagères qu'on peut éliminer", justifie Louis. Ce gain de temps s'accompagne, en contrepartie, d'une plus grande tolérance aux plis parfois tenaces. "J'ai accepté que si c'était un peu froissé, c'était pas bien grave", poursuit le jeune homme. "Surtout que chez les jeunes, c'est répandu… même dans le milieu professionnel maintenant."

"Les normes et contraintes vestimentaires se sont peu à peu réduites", confirme Frédéric Godart. "Il n'est plus inacceptable dans beaucoup de contextes sociaux de porter des vêtements froissés, mais la nécessité de repasser ce qui peut l'être est toujours comprise: ce qui est plus acceptable, c'est la transgression."

Le docteur en sociologie de la mode voit en cette diminution du repassage "la montée en puissance d'un style plus décontracté dans toutes les circonstances de la vie en société". Un style "plus informel et sportif", résume-t-il, illustré également par le déclin du costume, des chemises ou des chemisiers.

Le moment crucial de l'étendage

Choisir de laisser le fer à repasser au placard requiert tout de même quelques ajustements à la sortie de la machine à laver. Circée, autrice du blog "Je Suis Débordée", repassait le matin en regardant les infos ou le dimanche, toujours devant la télé. Pour cette mère de famille, le déclic a été un "plieur à linge", un objet plastique pour faciliter le pliage des vêtements, offert par un ami, qui permet "un rangement impeccable" dans l'armoire.

Mais selon elle, tout se joue avant, au moment de l’étendage du linge. "Par exemple, il faut étendre les pantalons à l'envers car la partie la plus lourde en bas va permettre de tendre un maximum le vêtement", assure-t-elle.

"La technique, c'est aussi de moins bourrer la machine pour que les habits en ressortent moins froissés", ajoute Dominique, retraitée de 61 ans.

L'adaptation passe aussi par des achats différents. "Depuis que j'ai arrêté de repasser, je porte beaucoup moins de chemises car c'est le seul vêtement qui se froisse beaucoup trop", illustre Louis. "Le lin, j'évite", confie Circée, qui préfère "les matières proches du corps comme le coton ou synthétique". "Avec la chaleur du corps, une fois sur soi, ça donne un effet repassé", affirme-t-elle.

En outre, comme le note le spécialiste de la mode Frédéric Godart, "la recherche a fait de gros progrès ces dernières années" sur les textiles et matières qui n'ont plus vraiment besoin d'être repassés.

Le partage inégal des tâches domestiques

Depuis sa prise de conscience sur le repassage, Louis a demandé à sa mère "pourquoi elle s'embêtait à faire ça". "Elle m'a confié qu'elle avait récemment arrêté de repasser les caleçons", sourit-il.

Aujourd'hui en France, à l'image de la mère de Louis, les tâches domestiques sont toujours largement effectuées par les femmes. Elles y passent en moyenne chaque jour trois heures quand les hommes y consacrent 1h45, selon l'Observatoire des inégalités.

Il y a environ cinq ans, Dominique a arrêté "presque d’un coup" de repasser. "Je me suis dit 'mais à quoi ça sert en fait?'", raconte-t-elle. Elle a fini par ne plus sortir la table à repasser que pour s'atteler aux chemises et aux pantalons de costume que son mari portait au bureau.

"C'est depuis que je suis séparée que j'ai remarqué que je ne repassais plus", détaille Dominique.

"Comme la tâche ménagère du repassage a longtemps été quasi-exclusivement la charge des femmes - et elle l'est encore largement aujourd'hui -, leur entrée massive dans le monde du travail, et une opposition grandissante aux rôles conventionnels de genres, a conduit à une réduction du temps disponible pour une telle tâche", explique dans ce sens Frédéric Godart.

"Seulement deux fois par an"

Si 70% des foyers utilisent toujours leur fer à repasser chaque semaine, selon le Gifam, la tendance est clairement au déclin. Aujourd'hui, Dominique ne le sort que de temps en temps pour "repasser un ou deux cols qui se froissent facilement". "Finalement, je repasse un peu plus en été pour les tissus fins comme les petits t-shirts ou les robes légères", confie-t-elle.

"C'est vraiment seulement pour les grandes occasions: deux fois par an pour une chemise et une robe pour aller à un mariage", abonde Circée.

Reste pour les fabricants un nouveau marché: celui des défroisseurs, même si leur succès ne compense pas la chute de ventes des fers et des centrales à vapeur. Longtemps réservés aux professionnels, ils permettent d'éliminer les plis à l'aide d'un diffuseur de vapeur sans contact avec le vêtement, et sans le besoin d'utiliser la table à repasser.

Ces appareils attirent désormais "des profils plus jeunes, CSP+ et urbains", précise Émilie Pin du Gifam. Avec succès: 3 million de foyers étaient équipés de défroisseurs en 2022, contre seulement 1 million deux ans plus tôt.

Salomé Robles