BFMTV
Société

Pourquoi les buffets à volonté nous rendent fous

BFMTV
Vous avez déjà eu du mal à vous contrôler face à un buffet de fromages, charcuterie et pâtisseries dans un restaurant qui propose une formule à volonté? Vous n'êtes pas le/la seule.

Des sushis, des pizzas, de la raclette ou encore des brunchs à volonté. Que les prix défient toute concurrence ou qu'ils soient plus sélectifs, les buffets à volonté ont le vent en poupe, preuve en est du nombre de restaurants qui s'y sont convertis après avoir été cantonnés aux seuls traiteurs asiatiques.

"Le concept du buffet à volonté n'avait pas une super image", explique à BFMTV.com une représentante du restaurant parisien Boulom où tous les produits sont à volonté. Ce n'est plus le cas. Et qu'il s'agisse de plats classiques ou de recettes plus originales, de formules simples ou de produits haut de gamme, c'est souvent la même bousculade devant les étalages de victuailles.

La peur de manquer

Maïlys*, ancienne serveuse, atteste de l'appétit insatiable de ces clients. L'établissement parisien où elle travaillait proposait le samedi et le dimanche un brunch à volonté pour 29 euros composé exclusivement de produits frais, de saison et faits maison. Mini burger, œuf parfait au saumon fumé, salades composées de quinoa ou de grenade, plateau de charcuterie et de fromages ou encore crème brûlée et fondant au chocolat, ils n'en avaient jamais assez. "Certains se servent démesurément", témoigne-t-elle pour BFMTV.com.

"La plupart des clients des brunchs à volonté mangent plus ou en tout cas ont l'intention de plus manger. Ils mettent plein de choses d'un seul coup dans leur assiette au lieu d'aller se resservir plusieurs fois. Du coup, l'assiette déborde, les tables débordent, il y en a partout. C'est comme si on ouvrait les vannes, les clients se servent, se resservent, se resservent encore."

Pour Jean-Louis Lambert, économiste et sociologue de l'alimentation, ce type de comportement relève d'un réflexe humain et ancien.

"La contrainte économique empêche ce réflexe de s'exprimer. Mais dans le cas de buffets à volonté, c'est la résurgence de la peur de manquer, de la pénurie qui a dominé l'histoire de l'humanité pendant des siècles et qui concerne encore une partie de la population mondiale", analyse-t-il pour BFMTV.com.

Manger jusqu'à ce que mort s'en suive

Et selon ce spécialiste des pratiques alimentaires, cette mémoire serait intégrée à nos gènes. "Aussi bien dans les régions qui connaissent des pénuries que chez nous, faire la fête est synonyme de grande bouffe (référence à ce film culte qui met en scène un groupe d'amis qui décident de manger jusqu'à la mort, NDLR). C'est le contraire du quotidien où l'on se prive, c'est l'occasion de se gaver." Ce qui dépasse largement le cadre des buffets à volonté, estime Jean-Louis Lambert.

"La moitié de la population française est en surpoids ou obèse. Si les causes sont multiples, on peut affirmer sans se tromper que l'on mange plus que ce dont notre corps a physiologiquement besoin."

Maïlys a été témoin de cette crainte qu'il n'y ait plus ou pas assez de ces délicieux petits feuilletés ou de cet excellent tiramisu. "Certains clients se considèrent comme dans un club 'all inclusive', poursuit la jeune femme. Quand les plats commençaient à se vider, on avait droit à des réflexions. Si visuellement le saladier n'était pas rempli à ras bord ou si un plateau était vide, ils nous disaient qu'ils n'en avaient pas pour leur argent. Ils étaient même parfois impolis."

Avec en plus le côté promotionnel de la formule à volonté qui pousse les clients à vouloir la rentabiliser. 

"Un lâcher de fauves"

Pour Maïlys, il y a pourtant une attitude du buffet à volonté. Avec un comportement différent de celui du reste de la semaine, où l'on paie ce que l'on consomme. "Le week-end, les clients considèrent que tout leur est dû. Ils sont plus exigeants qu'en temps normal, comme si le fait de payer un peu plus cher un forfait leur donnait droit à tout. Un peu comme un lâcher de fauves."

Avec, évidemment, beaucoup de gâchis. Car que ce soit à volonté ou non, l'estomac peut difficilement absorber un tel surplus de nourriture. Le reste finit donc à la poubelle. "En réalité, la plupart ne mangent pas tout ce qu'ils prennent et on jette beaucoup", ajoute Maïlys, qui déplore ce gaspillage alimentaire. Du côté du restaurateur, il faut prévoir des quantités astronomiques de nourriture afin de ne pas être en rupture de quoi que ce soit, "sinon c'est le risque que le client ne soit pas content et qu'il publie un avis négatif sur Tripadvisor".

"Quand tout est frais et fait maison, que rien n'est congelé, on se retrouve avec des stocks de nourriture sur les bras. Du coup après le service, on en distribuait aux employés des restaurants d'à côté. J'avais parlé au patron de faire payer au client ce qui restait dans l'assiette, comme dans certains restaurants asiatiques. Mais il m'a dit que ce serait mal vu."

"On ne jette rien"

C'est pourtant le choix qu'a fait Boulom, une boulangerie et un restaurant du 18e arrondissement de la capitale. Pour éviter le gaspillage, les restes dans l'assiette sont facturés 2 euros les 100g. "Les clients sont prévenus, tout le monde joue le jeu", témoigne une représentante de cet établissement.

Boulom fait d'ailleurs la chasse au gaspillage: les baguettes invendues de la boulangerie sont transformées en dessert pour le restaurant (du pain perdu) et la viande qui n'a pas été servie devient des rillettes ou du hachis parmentier vendus en barquette côté traiteur. "On ne jette rien", assure Boulom, malgré les quelque cinquante entrées, plats et desserts proposés quotidiennement.

"Bien sûr les clients mangent plus qu'avec une formule entrée-plat-dessert. Mais on sait ce qui va être plus consommé, comme nos ribs de bœuf, et on sait ce qui marche moins bien. On prévoit en conséquence."

111 fromages

Aux Grands Buffets, une institution installée depuis trente ans à Narbonne, dans l'Aude, les pertes sont minimes. "Les clients finissent leurs assiettes", assure à BFMTV.com Louis Privat, son fondateur et dirigeant.

Car dans cet établissement, le buffet à volonté est synonyme de raffinement: homards, huîtres et plats signatures de la haute gastronomie. Ce restaurant de tous les superlatifs - un millier de clients par jour, 111 sortes de fromages - est même devenu le premier restaurant de France en terme de chiffre d'affaires (14,5 millions d'euros).

Un restaurant à l'opposé de l'esprit cafétéria parfois associé à la formule à volonté. Mobilier XVIIIe, chandeliers en argent, nappes brodées, mur végétal créé par un célèbre paysagiste: cet établissement a fait du haut de gamme accessible sa marque de fabrique (tarif unique de 37,90 euros et grands vins au prix du producteur). Pourtant, aux Grands Buffets, pas de "lâcher de fauves" décrit un peu plus haut. 

"Nos clients réservent plusieurs mois à l'avance, explique Louis Privat. Certains viennent de l'étranger spécialement pour manger chez nous. Ils sont élégants, courtois, s'habillent, on les installe à leur table, le vin est mis en carafe. Les clients se lèvent pour aller se resservir mais ils sont comme dans un palace. On a créé une formule qui n'existait pas: le luxe à portée de tous."

"Je finis toujours mon assiette"

Mélanie*, une trentenaire qui réside à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, a une certaine expérience dans le domaine. Et n'hésite pas, lors de grandes occasions, à casser sa tirelire pour s'offrir des brunchs à volonté hauts de gamme, comme certains particulièrement réputés de la capitale autour d'une cinquantaine d'euros. Mais elle est aujourd'hui contrainte de se "censurer" faute d'être en mesure de se contrôler face à la tentation. Et doit limiter ses visites dans les restaurants qui proposent des formules à volonté.

"J'ai du mal à me retenir, confie-t-elle à BFMTV.com. On est un peu toujours dans l'excès quand c'est à volonté. Il y a cette profusion de plats qui donne envie de goûter à tout."

Et pour une gourmande aussi curieuse qu'elle, plus besoin de faire de choix cornélien. "Cela permet aussi de tester des choses que l'on n'a pas l'habitude de manger." Mais pour Mélanie, pas question de faire du gâchis. "Ma politique, c'est que tout ce que je prends, je le mange. Je finis toujours mon assiette, c'est d'ailleurs tout le problème."

Tous les témoins marqués d'une * ont demandé à n'être présentés que par leur prénom.

Céline Hussonnois-Alaya