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Certaines femmes témoignent de leur regret d'avoir été mère, un phénomène plus répandu qu'il n'y paraît (illustration).

PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV

"Je regrette d'avoir été mère": si c'était à refaire, elles n'auraient pas d'enfant

Elles ont eu des enfants mais a posteriori, elles regrettent. BFMTV.com a recueilli le témoignage de mères qui brisent un tabou et libèrent une parole encore souvent incomprise.

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"Si je n'avais pas eu d'enfants, j'aurais été beaucoup plus heureuse", confiait en 2011 l'actrice Anémone, l'une des premières personnalités publiques à briser le tabou. Elle expliquait qu'ils avaient "ruiné" son existence et l'avaient "empêchée de vivre". Mais elle ajoutait aussi qu'elle n'avait "pas eu besoin de les désirer pour les aimer".

Elle déclarait ainsi à L'Obs: "Quand je les ai en face de moi, je ne peux pas les regarder en me disant que je les regrette, cela n'a pas de sens, mais je regrette d'avoir été mère. Si c'était à refaire, je ne le referais pas."

Après la mort de l'actrice en 2019, son fils Jacob avait assuré que lui et sa sœur avaient eu "une enfance et une adolescence très agréables", qu'ils ne s'étaient "pas sentis délaissés ou abandonnés" par leur mère et qu'elle avait fait "son devoir".

Les propos d'Anémone avaient suscité l'incompréhension, voire choqué - une sortie parfois associée à une nouvelle provocation de l'actrice connue pour son franc-parler. Pourtant, d'autres parents ont déja éprouvé et éprouvent ce regret d'avoir mis au monde des enfants.

"Si c'était à refaire, non"

Brigitte, 68 ans, mère d'une fille et d'un garçon aujourd'hui trentenaires et parents à leur tour, a voulu "à tout prix" ses enfants. Mais elle regrette. Cette retraitée de la communication qui vit en Guadeloupe explique avoir été "trop fragile" pour assumer cette "responsabilité".

"Quand on a des enfants, il faut complètement s'oublier pour tenir bon", témoigne-t-elle.

"Je suis une grande mélancolique et j'ai eu des accidents de la vie. Je les ai fait passer au second plan et je les ai entraînés dans mes désordres." Au moment du divorce avec leur père, Brigitte sent qu'elle est en train de sombrer dans la dépression. Elle les lui confie. Deux ans plus tard, elle va mieux et les récupère.

"Ça a été une joie immense", se souvient la sexagénaire. "On a eu une parenthèse enchantée mais nos conditions de vie n'étaient plus les mêmes, je me suis retrouvée seule avec eux. Et puis ils sont devenus adolescents, je n'étais pas à même de gérer ça. Ça a été très difficile."

Une mère emmène son enfant à l'école lors de la rentrée le 4 septembre 2017, à Vertou, en Loire-Atlantique (photo d'illustration)
Une mère emmène son enfant à l'école lors de la rentrée le 4 septembre 2017, à Vertou, en Loire-Atlantique (photo d'illustration) © Loïc Venance-AFP

Aujourd'hui, Brigitte n'a quasiment plus de relations avec eux. Si son fils l'a remerciée de lui avoir donné une bonne éducation, il ne veut plus la voir. Quant à son aînée, la sexagénaire a bien tenté de renouer le lien dans une lettre, mais sa fille lui a répondu qu'elle était "folle" et qu'elle ne pouvait pas "la prendre en charge".

"Quand j'ai eu des enfants, je pensais que ça allait remplir ma vie, que quoi qu'il arrive, ils seraient avec moi. J'ai tellement misé là-dedans, tellement investi, je me suis tellement battu pour rester debout et leur donner une vie."

"Au final, j'ai l'impression d'avoir vécu pour eux et à travers eux", poursuit-elle.

"Et je n'ai jamais guéri. Si c'était à refaire, avec tout ce que je sais de la vie maintenant, je me dirais: 'non, ce n'est pas pour toi'."

"Quelque chose de douloureux"

Le sujet reste encore peu étudié. Ce n'est qu'en 2015, avec les travaux - qui ont fait date - de la sociologue israélienne Orna Donath que la question s'est davantage imposée. Le sentiment semble en tout cas bien plus partagé qu'on ne pourrait le croire, selon une étude récemment publiée dans la revue scientifique Plos One.

Le chercheur Konrad Piotrowski a interrogé un peu plus de 2400 parents polonais. D'après son enquête, quelque 13% de ceux âgés de moins de 40 ans regrettent d'avoir eu des enfants. Des chiffres à nuancer: en Pologne, l'interruption volontaire de grossesse est quasi-interdite. De précédentes études menées aux États-Unis et en Allemagne évoquaient respectivement 7% et 8% des parents.

En France, un livre de témoignages - Mal de mères de Stéphanie Thomas (ed. Jean-Claude Lattès) - sort ce mercredi, mais aucune étude scientifique de ce genre n'a été menée. Mais au printemps dernier, le hashtag #RegretMaternel a essaimé sur les réseaux sociaux, avec de multiples récits de mère. Pour Élise Marcende, présidente de l'association Maman blues qui pilote un site du même nom consacré au soutien et à l'écoute en cas de difficultés maternelles, le regret parental ne relève pas de l'exceptionnel.

Les témoignages en ce sens sont même de plus en plus fréquents. "Ces mères font tout ce qu'il faut pour cet enfant, elles sont conscientes que de leurs soins dépend son développement", assure-t-elle à BFMTV.com.

"Mais pour certaines femmes, cela restera toujours en toile de fond comme quelque chose de douloureux."

Dans leurs échanges, elles évoquent le regret de leur vie d'avant, d'une liberté qu'elles n'ont plus mais aussi une perte de confiance en elles. Le sentiment est souvent associé à une perte d'identité, voire une crise identitaire.

"Elles disent ne plus se reconnaître, ne plus être la femme qu'elles étaient et regretter cette femme forte, capable de gravir des montagnes."

"Ce qu'elle regrette, c'est le statut de mère"

Zoé*, une dessinatrice de 23 ans qui réside à Paris, sait que sa mère regrette d'avoir eu des enfants - trois en l'occurrence, Zoé est la benjamine. Mère et fille en parlent d'ailleurs très librement. "Si elle le pouvait, elle me l'a dit, elle ne redeviendrait jamais mère", confie-t-elle à BFMTV.com.

"Ce n'était pas fait pour elle, même si je suis convaincue qu'elle nous a toujours aimés."

Pour Zoé, sa mère ne correspond pas au "modèle traditionnel". "C'est une femme très indépendante. Elle n'a jamais arrêté de travailler. Avoir des enfants ne l'a pas empêchée de faire la fête et elle a continué de vivre sa vie très librement. Elle n'a jamais ralenti parce qu'elle était mère. Ce qu'elle regrette, c'est le statut de mère."

Élise Marcende, de l'association Maman blues, pointe l'idéalisation de la maternité, pour partie responsable de ce sentiment. "La maternité est mise sur un piédestal, on nous fait croire que c'est que du bonheur et on passe sous silence toutes les désillusions et les souffrances qui vont avec." Et quand l'enfant arrive, la réalité rattrape les mères.

"Elles me disent qu'elles n'avaient pas imaginé ça. Elles ne se retrouvent pas dans ce rôle."

"Mais c'est ce rôle et ce que cela implique qui est remis en question, pas les sentiments qu'elles éprouvent pour leur enfant", insiste-t-elle.

Sans compter qu'avec l'éclatement de la famille, les mères manquent souvent de relais et se retrouvent isolées. "Je sais que ma mère s'est sentie très seule", abonde Zoé. "Elle me disait qu'elle n'avait pas été aidée. Et puis elle a eu l'impression que le fait d'être mère donnait aux gens, ses proches, ses conjoints, un moyen de pression pour l'exploiter d'une façon ou d'une autre."

La "charge" maternelle

Héloïse Simon, enseignante et écrivaine de 37 ans, est mère de de trois enfants - 5 ans, 3 ans et 7 mois. Si, elle assure les "adorer" mais évoque néanmoins son "ambivalence" vis-à-vis de la maternité. "On peut passer d'un extrême à l'autre en une minute", confie-t-elle à BFMTV.com.

"Parfois, on en a absolument marre de ses enfants, on les déteste. On ne veut juste plus les voir. Et puis la minute d'après, ils font quelque chose de très mignon."

Elle pointe aussi les "difficultés" de son rôle de mère mais aussi les "inégalités" avec celui du père. Le confinement au Chili, où elle vit, a exacerbé ce sentiment. "Les écoles ont été fermées pendant presque un an", explique-t-elle. "D'un coup, je me suis retrouvée avec toute la charge parentale."

Cette charge mentale est régulièrement évoquée dans les échanges sur le site d'Élise Marcende. "Entre le travail, la maison, le bébé, ça fait un gros magma dans lequel elles disparaissent complètement et qui impacte leur capacité à faire et à penser." "Il y a plus de pression à être une bonne mère qu'un bon père", analyse Véronique Borgel Larchevêque, psychologue clinicienne.

"C'est le principe du mom-shaming et du dad-blessing: ce que fait le père avec ses enfants est encensé alors que pour la mère, c'est normal."

"On demande beaucoup aux mères", poursuit-elle. "Allaiter mais reprendre vite le travail tout en allant chercher son enfant pas trop tard à la crèche, être bienveillante et cuisiner bio tout en s'épanouissant. Si on en demandait moins aux femmes, si les pères prenaient leur part et si les politiques étaient plus favorables aux parents, il y aurait moins de regrets."

L'ombre d'une femme tenant son enfant par la main (photo d'illustration).
L'ombre d'une femme tenant son enfant par la main (photo d'illustration). © Janek Skarzynski - AFP

Cette psychologue constate que le sujet est de plus en plus souvent abordé en consultation. Une de ses patientes lui expliquait notamment que, depuis qu'elle avait des enfants, elle ne pouvait plus courir le matin comme elle aimait le faire alors que son conjoint, lui, faisait toujours son jogging matinal. "Ce n'est qu'un exemple mais c'est comme s'il fallait faire un choix entre prendre soin de leurs enfants ou d'elles-mêmes alors que les pères, eux, semblent avoir davantage la possibilité de passer avant."

Si elle reçoit des couples hétérosexuels, le regret d'avoir eu des enfants n'a d'ailleurs pour l'heure été émis que par des femmes. "C'est aussi associé à beaucoup de culpabilité", poursuit Véronique Borgel Larchevêque. "Quand elles parviennent à le verbaliser, elles me disent: 'mais c'est horrible de dire ça, je ne veux pas que mon enfant meure!'"

"Obligées" d'avoir un enfant

Anémone expliquait qu'elle ne voulait pas d'enfants, que c'était "la société" qui les lui avait faits. Si Brigitte, évoquée au début de l'article, assure avoir désiré ses enfants, elle se demande rétrospectivement si ce désir était véritablement le sien. "Je crois que j'ai voulu faire comme ma mère. Je pensais qu'avoir des enfants ferait de moi une femme complète, que ça me donnerait de la force. En fait, je n'étais pas du tout préparée à ça." Un impératif à la maternité que dénonce Élise Marcende, de l'association Maman blues.

"Dès l'enfance, on dit aux petites filles qu'elles deviendront mères. Puis on fait comprendre aux femmes qu'elles s'épanouiront en devenant mères. Cette pression devient une injonction."

"Et ce choix de devenir mère, finalement, n'en est pas vraiment un. Certaines me disent qu'elles se sont senties obligées d'avoir un enfant."

Une double injonction pour les femmes: avoir des enfants et être heureuse d'en avoir. "Dire 'je regrette d'avoir des enfants', c'est ne pas correspondre à cette idéalisation maternelle", déplore la psychologue Véronique Borgel Larchevêque. "Ce qui suscite l'incompréhension de leurs proches: ne risque-t-elle pas de faire du mal à ses enfants?"

Sans surprise, ces femmes sont souvent incomprises, voire qualifiées de folles ou de dépressives par leurs proches. "Regretter d'avoir eu des enfants, ça n'a rien de pathologique", insiste Véronique Borgel Larchevêque. Pour la psychologue, "entre la maternité merveilleuse ou dépressive, il y a un entre-deux". Et il est "d'ailleurs souvent majoritaire".

* Le prénom a été modifié, à la demande de l'intéressée.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV