Daniel MIHAILESCU / AFP
"J'ai dit oui pour que ça se termine": quand les demandes en mariage publiques tournent au malaise
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Demandée en mariage en public, Claire Calligaro s'est "sentie prise en otage". Voltigeur dans un haras, son compagnon lui a posé la grande question devant les quelque 350 personnes présentes dans le public. Un moment dont la jeune femme de 36 ans, responsable d'un restaurant à Paris, se souvient avec précision.
"À la fin du spectacle, lors des saluts, le maître de cérémonie a dit qu'il y avait une dernière chose à faire avant de partir et il m'a appelée", relate-t-elle. "C'est là que j'ai vu Yassine (son compagnon, NDLR) commencer à frétiller."
Claire Calligaro comprend ce qui est en train de se passer - le couple avait déjà parlé mariage. Mais cela ne la réjouit pas. "On s'imagine un truc très romantique mais en fait, quand on le vit, ce n'est pas du tout agréable", poursuit-elle.
"J'étais en jogging, pas coiffée, je me suis retrouvée sur scène, sous les projecteurs, avec tout le monde qui me regardait. J'étais mortifiée."
Au rayon lingerie d'un hypermarché
Un militaire avant de défiler sur les Champs-Élysées pour le 14-juillet, un fan du Seigneur des anneaux lors d'une rétrospective de la saga au cinéma, mais aussi un client d'un hypermarché au rayon lingerie ou même un député australien lors de son premier discours au Parlement... Les exemples de demandes en mariage publiques se multiplient.
Largement mise en scène dans les comédies romantiques américaines, la pratique n'est aujourd'hui plus réservée au cinéma: les vidéos de demande en mariage publique d'anonymes sont massivement relayées sur les réseaux sociaux.
"Nous vivons dans l'idée que les choses se font forcément dans l'exposition", analyse Sophie Cadalen, psychanalyste et spécialiste du couple, interrogée par BFMTV.com. "Pour être valables et validées, elles réclament des traces."
Un rapport aux autres et à soi qui bouleverse les frontières du privé et de l'intime. "C'est comme si nous n'avions plus d'impératif à préserver un espace où les autres sont absents", observe encore Sophie Cadalen, auteure de L'Aventure du divan (éditions Philippe Rey). "Même l'intimité devient spectacle. Mais cela pose la question: fait-on les choses pour soi ou pour les montrer aux autres?."
"C'était surtout très gênant"
Le compagnon de Claire Calligaro a fait sa demande au micro, après s'être mis à genoux. "Tout le monde criait", continue-t-elle, évoquant son malaise.
"J'ai dit 'oui' bien sûr parce que j'ai envie de partager ma vie avec lui mais j'ai surtout dit 'oui' pour que ça se termine et qu'on rentre à la maison."
"En plus, il a galéré à sortir la bague de son gilet", poursuit-elle. "J'ai eu l'impression que ça durait des heures. J'étais très émue évidemment mais c'était surtout très gênant et désagréable."
Une fois la demande acceptée, ce n'est pas fini pour autant. "Les personnes du public sont venues nous féliciter. J'étais mal fagotée, en plus il fallait avoir l'air heureux." "C'était affreux", résume-t-elle.
Aujourd'hui, la jeune femme n'en tient pas rigueur à son futur époux - leur mariage est d'ailleurs prévu au printemps. "Ça nous fait une anecdote marrante à raconter", relativise-t-elle. "C'est un homme de scène, il n'a pas pensé que je serai mal à l'aise." Même si, après coup, le cavalier s'en est voulu.
La demande en tête-à-tête préférée
Le dénouement n'est pas toujours aussi heureux. Sur les réseaux, les vidéos de demande en mariage publiques à l'issue négative sont peut-être aussi nombreuses que celles à l'issue positive. "Quand on convoque un public, cela impose de le satisfaire", pointe la psychanalyste Sophie Cadalen. "Dans les films, la réponse est forcément 'oui', tout le monde applaudit et happy end. Mais dans la vie, ça ne se passe pas toujours comme ça."
Et les commentaires ne sont pas tendres avec ceux et celles - le plus souvent des femmes - qui refusent.
"Il faut beaucoup de courage pour dire 'non' et décevoir le marié comme le public", ajoute Sophie Cadalen.
Ces demandes publiques interviennent dans un contexte où le mariage a de moins en moins la cote. Leur nombre est en baisse depuis une vingtaine d'années, passant de plus de 305.000 en 2000 à 244.000 en 2022, pointe l'Insee. "Le peu de personnes qui se marient encore en font un acte symbolique fort", analyse pour Le Monde Florence Maillochon, directrice de recherche au CNRS spécialisée dans l'étude des relations interpersonnelles.
"Autant que ce soit visible et démonstratif", analyse l'experte. "Le public sert de caisse de résonance à cette volonté de s'engager, il atteste que ce ne sont pas des paroles en l'air."
Pourtant, les couples eux-mêmes ne semblent pas si friands de ces démonstrations d'amour publiques. Pour 79% des personnes interrogées par le site spécialisé Mariages.net, la demande en mariage idéale, c'est celle qui se fait en tête-à-tête, sans amis ni famille.
"Veux-tu m'épouser?" dans l'assiette
C'était ce que voulait Julie, 38 ans, responsable d'un service administratif dans la Loire. En couple depuis cinq ans, elle et son compagnon avaient eux aussi déjà sérieusement discuté de leur projet de mariage. La date était même déjà fixée - "mais je ne voulais pas commencer les préparatifs sans demande", explique la jeune femme à BFMTV.com.
"À chaque fois, il parlait de faire les choses en grand et moi, je lui disais que je voulais plutôt quelque chose d'intime, que tous les deux."
Le message n'est visiblement pas passé. Le 31 décembre dernier, le couple est au restaurant sur son lieu de vacances, à la montagne. Peu avant minuit, le compagnon de Julie lui fait sa demande au dessert. "Les gens ont applaudi, j'étais très gênée", se souvient-elle.
Julie accepte même si les choses ne se sont pas exactement passées comme prévues. Ni pour elle ni pour son compagnon - il avait demandé à ce que la question "veux-tu m'épouser?" soit écrite dans l'assiette de la jeune femme. Le restaurateur a oublié.
Il arrive en effet que ces demandes en mariage publiques déçoivent, reconnaît Fiona Elbaz, wedding planner pour l'agence Superplanner. Certains lieux sont particulièrement prisés: les quais de Seine face à la tour Eiffel, le Trocadéro ou un petit balcon "à la Roméo et Juliette" dans le XVIe arrondissement de Paris.
Sauf que dans ces spots au décor de rêve privilégiés pour les demandes en mariage, "ça s'enchaîne", concède Fiona Elbaz. "On se retrouve avec plusieurs demandes au même endroit les unes après les autres, voire en même temps. C'est un peu le salon de la demande en mariage." Avec tapis rouge, lettres gigantesques lumineuses et pétales de fleurs.
"Je me suis senti un peu obligé"
Certains ont même l'impression qu'on leur a forcé la main. "J'ai dit 'oui' mais je me suis senti un peu obligé", reconnaît pour BFMTV.com Alain Mazain, 48 ans, demandé en mariage par son compagnon lors de l'anniversaire de ce dernier. Une demande devant les 150 invités de la fête à laquelle le quadragénaire ne s'attendait absolument pas - le couple n'avait encore jamais évoqué le fait de passer devant le maire.
"J'étais bouche bée. Je me suis dit: 'Mais qu'est-ce qu'il me fait devant tout le monde?'"
Une demande en mariage qui n'était d'ailleurs pas préméditée - le futur marié s'est décidé à la fin d'un diaporama, embarqué par l'ambiance et l'enthousiasme de leurs proches lors de la projection des photos du couple. Il a pris le micro, s'est mis à genoux et a lancé: "Veux-tu devenir mon mari?" "J'étais très embarrassé", se remémore Alain Mazain. "Je ne savais pas où me mettre, tout le monde me regardait."
Une vingtaine de secondes de réflexion, sous les cris et les applaudissements des invités, avant de répondre "oui". "Me demander en mariage devant nos familles, nos amis, c'était quand même un bel acte d'engagement", salue-t-il finalement.
Cédric Cazalets, l'heureux marié, se défend d'avoir involontairement mis son conjoint mal à l'aise: "C'est l'homme de ma vie", proclame-t-il pour BFMTV.com. Il se souvient de cette demande en mariage comme "le moment le plus magique de sa vie": "Je voulais crier mon amour."
Les deux hommes se sont mariés un an et demi plus tard dans leur gîte des Landes. Devant plus de 700 invités.
