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"Ça n'apporte rien", "quelque chose de stressant": les enseignants divisés sur les évaluations en CM1 et 4e

Un élève lors de la rentrée des classes dans une école primaire de Bordeaux (Gironde), le 1er septembre 2016 (photo d'illustration)

Un élève lors de la rentrée des classes dans une école primaire de Bordeaux (Gironde), le 1er septembre 2016 (photo d'illustration) - MEHDI FEDOUACH / AFP

Le ministre de l'Éducation nationale a annoncé de nouvelles évaluations pour les classes de CM1 et 4e. Les enseignants sont partagés, pour ne pas dire sceptiques.

De nouvelles évaluations pour les élèves de CM1 et 4e. Lors de sa conférence de rentrée en début de semaine, Gabriel Attal, le ministre de l'Éducation nationale, a annoncé que ces deux niveaux feraient désormais l'objet de nouvelles évaluations en français et en mathématiques.

Du côté des personnels de l'enseignement, certains se montrent plutôt favorables. Comme Florence Comte, la secrétaire du Syndicat des directrices et directeurs d'école (S2DÉ). Pour cette directrice d'école, le principal avantage de ces évaluations, c'est de mesurer les compétences des enfants de manière uniforme, sans faire aucune différence d'une académie ou d'un établissement à l'autre.

"Ce sont des évaluations normées et nationales", pointe-t-elle pour BFMTV.com.

Avec une grille d'évaluation qui est la même pour tous les enfants, quel que soit "le niveau d'exigence" des enseignants. "Pour une même compétence, certains auraient pu considérer qu'elle était acquise pour tel élève alors que d'autres qu'elles étaient en cours d'acquisition. Avec ce type d'évaluations, le résultat est objectif", explique Florence Comte.

L'autre intérêt de ces évaluations, considère Philippe Ratinet, le président du Syndicat national des écoles (SNE), c'est de renforcer le lien entre les familles et les enseignants. "Il y a un rendu individuel des résultats qui sont communiqués aux parents", pointe-t-il pour BFMTV.com. "Cela permet d'impliquer davantage les familles dans la scolarité des enfants. Mais aussi de tisser un lien de confiance entre parents et enseignants."

"Pas besoin de ça pour connaître nos élèves"

Mais d'autres acteurs de l'enseignement se montrent beaucoup plus réservés. C'est le cas de Guislaine David, co-secrétaire générale et porte-parole du Snuipp-FSU, le syndicat majoritaire des professeurs du premier degré. "On n'est pas contre le principe des évaluations, c'est même notre cœur de métier d'évaluer nos élèves", assure-t-elle à BFMTV.com.

Elle explique ainsi que les enseignants évaluent leurs élèves dès la rentrée et tout au long de l'année scolaire "sur un certain nombre de compétences". Une pratique systématique qui leur permet "de savoir où ils en sont, de s'adapter et de les faire avancer".

"On n'a pas besoin d'évaluations standardisées pour connaître le niveau de nos élèves."

Ce que confirme Jérôme Fournier, professeur d'histoire-géographie et secrétaire national éducation du Syndicat des enseignants-Unsa (SE-Unsa). Dans le second degré, il rappelle qu'en 4e, l'emploi du temps des élèves compte 4h30 hebdomadaires de français ainsi que 3h30 en mathématiques.

"En deux ou trois semaines, les enseignants ont une idée assez précise des difficultés de chacun de leurs élèves et des compétences que ces derniers vont devoir travailler", affirme-t-il à BFMTV.com.

"Stressant" et "stigmatisant"

L'autre bémol, c'est le calendrier même de ces évaluations qui se tiennent en tout début d'année scolaire. Ce qui interviendrait bien trop tôt, juge encore Guislaine David, du Snuipp-FSU. "On le voit lors des évaluations de CP (qui se tiennent en début et en milieu d'année scolaire, NDLR): les élèves sont parfois surpris par des exercices auxquels ils n'ont jamais été confrontés avant dans leur scolarité."

Un point de vue que partage Laurent Gomez, professeur d'histoire-géographie et secrétaire national en charge des collèges au Sgen-CFDT. "Les collégiens n'ont pas encore repris leurs réflexes, ils ne se sont pas encore remis en marche", observe-t-il pour BFMTV.com.

Sans compter que ces évaluations pourraient même avoir des effets négatifs. "Elles n'évaluent pas toutes les compétences", pointe encore Guislaine David, la représentante du premier degré. Certains élèves pourraient ainsi présenter des difficultés dans les compétences évaluées "mais être très bons dans d'autres qui ne sont pas prises en compte".

"Il peut y avoir quelque chose de stressant et de stigmatisant pour les enfants."

"Ça n'apporte rien aux enfants"

Tous dénoncent également l'aspect chronophage de ces évaluations. "Pendant une semaine entière, ça nous prend une heure le matin, une heure l'après-midi", fulmine encore Guislaine David. "Autant de temps que les enseignants ne consacrent pas à faire progresser leurs élèves."

Et dans le second degré, l'organisation serait encore plus lourde. "En 6e, ça perturbe pendant dix jours la salle informatique" - dans le second degré, les évaluations se font sur un support numérique - regrette encore Jérôme Fournier, du SE-Unsa.

"Il faut diviser la classe par deux, mobiliser une personne supplémentaire pour surveiller les évaluations. Et si les ordinateurs ne fonctionnent pas, ce qui peut arriver, vous avez perdu votre temps."

Certains les jugent encore plus sévèrement. C'est le cas de Jérôme Fournier, le représentant du SE-Unsa, pour qui ces nouvelles évaluations sont inutiles et "ne riment pas à grand chose".

"Dans le second degré, on a des évaluations en 6e, en seconde (en CE1 également dans le premier degré, NDLR). On les multiplie sans savoir si ça a du sens. Or, sur le plan pédagogique, ça n'apporte rien aux enfants."

Un "pilotage" à des fins "statistiques"

Plusieurs des enseignants interrogés déplorent ainsi une visée "statistique" de ces évaluations, bien loin de la réalité de l'enseignement. "Nous sommes des ingénieurs pédagogiques mais le ministère veut nous transformer en exécutant et nous devrions nous contenter d'appliquer des recettes", s'indigne Laurent Gomez, du Sgen-CFDT.

"On nous explique comment faire notre métier. Cela pose vraiment la question de la confiance que le ministère nous accorde."

Pour Sophie Vénétitay, professeure de sciences économiques et sociales et secrétaire générale du Snes-FSU, le premier syndicat des enseignants du second degré, ces évaluations "s'inscrivent dans la logique politique du moment". Elle dénonce un "pilotage" dont le seul objectif serait de "redresser la place de la France dans les classements internationaux".

Pap Ndiaye, le précédent locataire de la rue de Grenelle, avait reconnu que les résultats aux évaluations nationales et internationales n'étaient "pas satisfaisants". Le dernier classement Timms, classement international sur l'enseignement des mathématiques, a placé la France dernière d'Europe et à l'avant-dernière place pour les pays de l'OCDE. "Si on ne donne pas les moyens aux enseignants de faire de la remédiation, à quoi et à qui servent ces évaluations?" se questionne Sophie Vénétitay.

"On a vraiment l'impression qu'elles sont au service d'un discours politique plutôt qu'un travail pédagogique de fond."
https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV