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Big Bang, exoplanètes... À quoi va servir le télescope James Webb, le plus perfectionné jamais envoyé dans l'espace

Ce télescope a pour ambition d'éclairer plus avant l'humanité sur deux questions qui la taraudent: "d'où venons-nous?" et "sommes-nous seuls dans l'Univers?"

Le télescope spatial James Webb (JWST), attendu depuis trente ans par les astronomes du monde entier pour examiner l'Univers avec des moyens inégalés, a décollé ce samedi, pour rejoindre son poste d'observation, à 1,5 million de km de la Terre, grâce à une fusée Ariane 5.

Après le décollage depuis le Centre spatial guyanais, prévu sur une fenêtre de 32 minutes à partir de 12h20 GMT, le JWST deviendra l'instrument d'observation du cosmos le plus perfectionné jamais envoyé dans l'espace.

"On va avoir des informations sur la formation de notre univers"

Cet instrument a l'ambition d'éclairer plus avant l'humanité sur deux questions qui la taraudent: "d'où venons-nous?" et "sommes-nous seuls dans l'Univers?". Et apercevoir ainsi les lueurs de "l'aube cosmique", quand les premières galaxies ont commencé à éclairer l'Univers depuis le Big Bang, il y a 13,8 milliards d'années.

"C'est de la lumière que l'on va réussir à capter, c'est à dire des informations que l'on va récupérer qui ont 10, 12, 13 milliards et demi d'années", explique sur BFMTV Marie-Ange Sanguy, rédactrice en chef du magazine "Espace et Exploration". "Quand la lumière se déplace, elle met du temps, même si elle va très vite, et c'est ce temps-là que l'on va pouvoir remonter au maximum, et donc on va pouvoir anticiper ce déplacement, et rechercher encore plus loin. On va avoir des informations sur la formation de notre univers, comment les premières étoiles sont nées, qu'est ce qu'il s'est passé, et c'est comme cela qu'on remonte dans le temps".

"Ce sera l'instrument qui permettra de voir le plus loin, donc le plus en arrière dans le temps et ainsi qui permettra de percer un peu les secrets de la naissance de l'univers, de la naissance des étoiles", explique sur BFM Business Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.

Il permettra aussi de mieux comprendre la formation des étoiles et des galaxies, et observer les exoplanètes dont les astronomes découvrent toujours plus de spécimens, pour y identifier peut-être un jour d'autres Terres.

"On va pouvoir comprendre un petit peu mieux, et surtout détailler un petit peu plus de quoi sont faites certaines atmosphères d'exoplanètes et savoir si elles ont tous les éléments nécessaires pour la vie", explique Marie-Ange Sanguy, par exemple "éliminer des candidats, c'est à dire des exoplanètes qui vivent dans une zone habitable mais qui n'ont pas tous les éléments pour créer la vie, et garder celle qui sont le plus dans les rails pour créer la vie."

Plus précis qu'Hubble

Le James Webb va marcher dans les pas du télescope Hubble, qui a révolutionné l'observation de l'Univers: c'est grâce à lui que les scientifiques ont découvert l'existence d'un trou noir galactique au centre de toutes les galaxies, ou de vapeur d'eau autour d'exoplanètes. Imaginé par la Nasa dès le lancement de Hubble en 1990, et construit à partir de 2004, avec la collaboration des agences spatiale européenne (ESA) et canadienne (CSA), le JWST s'en distingue à plus d'un titre.

La taille de son miroir, de 6,5 mètres d'envergure, lui procure une surface et donc une sensibilité sept fois plus grande, suffisante pour détecter la signature thermique d'un bourdon sur la Lune.

Ce télescope "va permettre d'observer des corps dans notre système solaire, des corps qui sont au-delà de Pluton on va pouvoir les voir avec un détail qu'on avait jamais eu auparavant", déclare sur BFMTV Stefan Barensky, rédacteur en chef d'Aerospatium.

Autre différence: son mode d'observation. Là où Hubble observe l'espace essentiellement dans le domaine de la lumière visible, James Webb s'aventure dans une longueur d'onde échappant à l'oeil: l'infra-rouge proche et moyen. Un rayonnement que tout corps, astre, humain ou fleur, émet naturellement.

"En regardant les mêmes objets, on verra de nouvelles choses"

Cette lumière sera étudiée par quatre instruments, munis d'imageurs et de spectrographes pour mieux la disséquer. Leur développement a mobilisé une pléthore d'ingénieurs et scientifiques, sous la houlette de laboratoires et industriels américains et européens.

Grâce à cela "en regardant les mêmes objets (qu'avec Hubble), on verra de nouvelles choses", expliquait à Paris l'astronome Pierre Ferruit, co-responsable scientifique du télescope pour l'ESA.

Par exemple les premières galaxies, des objets dont l'éloignement a fait virer leur lumière vers le rouge. Ou les jeunes colonies d'étoiles, qui grandissent masquées dans les nuages de poussière de leurs pouponnières. Ou encore l'atmosphère des exoplanètes. La condition impérative au bon fonctionnement du JWST est une température ambiante si basse qu'elle ne trouble pas l'examen de la lumière.

Hubble est en orbite à quelque 600 km au-dessus de la Terre. À cette distance, le JWST serait inutilisable, chauffé par le soleil et sa réflexion sur la Terre et la Lune. Il va être placé à l'issue d'un voyage d'un mois à 1,5 million de km de là. Et sera protégé du rayonnement solaire par un bouclier thermique de cinq voiles souples qui dissipera la chaleur, abaissant la température (qui est de 80°) à -233 degrés côté télescope.

En place d'ici un mois

Mais avant d'en arriver là, la machine et ses concepteurs vont devoir réaliser un véritable exploit: son déploiement sans failles, avec une série d'opérations impliquant par exemple pour le seul bouclier 140 mécanismes d'ouverture, 400 poulies et presque 400 mètres de câbles.

Car l'observatoire, avec ses 12 mètres de haut et un bouclier équivalant à un court de tennis, a dû être plié pour se glisser dans la coiffe d'Ariane 5. "L'encapsulage" s'est effectué avec guidage laser pour éviter tout dommage à l'instrument, dont le développement a coûté quelque dix milliards de dollars. Pour ces manoeuvres, la Nasa a aussi imposé des mesures draconiennes de propreté pour éviter toute contamination du miroir du télescope, par des particules ou même une haleine chargée...

Enfin, un système de dépressurisation sur mesure de la coiffe a été installé par Arianespace pour qu'à la séparation d'avec le lanceur, à 120 km d'altitude, aucun changement brutal de pression n'endommage la bête. "A 'client' exceptionnel, mesures exceptionnelles", a expliqué jeudi un responsable de l'ESA à Kourou.

On saura après 27 minutes si la phase propulsée du vol s'est bien déroulée. Ce qui scellerait un peu plus la coopération entre la Nasa et ses partenaires européens. Il faudra cependant plusieurs semaines pour savoir si le télescope est prêt à fonctionner. Avec une entrée officielle en service prévue en juin.

"On estime qu'on a fait le maximum qu'on pouvait, toutes les anomalies ou les difficultés qu'on a pu avoir on été résolues, donc on se sent très très confiant pour le vol", déclarait samedi sur BFMTV Daniel de Chambure, responsable Ariane 5 à l'Agence Spatiale Européenne. "On stressera tant qu'on n'aura pas mis le satellite en orbite, c'est à dire 27 minutes après l'heure zéro".
Salomé Vincendon
Salomé Vincendon avec AFP Journaliste BFMTV