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25 ans après la brebis Dolly, pourquoi le clonage n'intéresse-t-il plus les scientifiques?

La brebis Dolly photographiée en février 1997.

La brebis Dolly photographiée en février 1997. - COLIN MCPHERSON / AFP

Il y a eu la brebis Dolly puis des vaches, des chats et des singes. Certains se sont même targués d'avoir cloné des bébés. Mais vingt ans plus tard, les scientifiques se sont détournés du clonage.

Il y a vingt-cinq ans des scientifiques écossais annonçaient la naissance de la brebis Dolly, tout premier mammifère cloné au monde à partir d'une cellule adulte. Le 23 février 1996, la révélation de ce clonage - l'animal était né sept mois plus tôt en toute discrétion - fait le tour du monde et l'événement est salué comme une prouesse scientifique. Une grenouille avait déjà été clonée avec la même technique et d'autres espèces l'avaient été auparavant, mais à partir de cellules embryonnaires.

Pierre Savatier, directeur de recherche à l'Inserm au sein de l'institut cellule souche et cerveau de Lyon, se souvient de ce qu'il présente comme "une découverte majeure".

"À l'époque, je faisais partie d'un consortium de chercheurs européens dirigé par Ian Wilmut (l'un des deux chercheurs écossais qui a donné vie à Dolly, NDLR), raconte-t-il à BFMTV.com. "Il nous avait annoncé ses travaux lors d'une réunion un peu avant la publication officielle. On ne s'y attendait pas du tout."

Pour parvenir à ce double quasi parfait (un animal cloné n'est pas une copie conforme, il y a tout de même de petites variations dans l'expression des gènes), pas besoin de spermatozoïdes ni de fécondation. Le noyau d'une cellule de glande mammaire d'une brebis donneuse a suffi: transféré dans un ovocyte, il est devenu un embryon qui a été implanté dans l'utérus d'une brebis receveuse. En clair: le patrimoine génétique de Dolly est identique à celui de la brebis donneuse.

Deux ans après, l'Inra annonce la naissance de Marguerite, le premier veau européen cloné avec la même technique. Les années et décennies suivantes, d'autres mammifères sont clonés: porc, cheval, chien, chat ou encore singe. Un succès que relativise Pierre Savatier, de l'Inserm:

"En réalité, les taux de réussite sont faibles. Et cela dépend des espèces. Si chez certaines, notamment les bovins, cela peut monter à 10%, chez les primates, le taux de réussite avec naissance d'un animal vivant est de 1%."

Chiens policiers et mammouth

Si dès lors le clonage divise - certains s'inquiètent des dérives potentielles de la technologie - il fascine tout autant. Et ne se cantonne plus aux laboratoires. Aujourd'hui, il est par exemple possible de cloner son animal de compagnie.

En Chine ou en Corée du Sud, des entreprises proposent ainsi, pour plusieurs dizaines de milliers d'euros, de vous livrer une copie flambant neuve de votre chien ou de votre chat. Des chiens policiers ont ainsi été clonés pour faciliter leur dressage, des dromadaires ou des chevaux de course pour améliorer les lignages quand d'autres voudraient faire revivre le mammouth.

Les perspectives sont également alimentaires. Une société chinoise ambitionne même de devenir le plus grand centre de clonage animal au monde pour produire 100.000 embryons de bœuf par an. Dans certains pays, il est en effet possible de manger de la viande issue du clonage (associée à des modifications génétiques, pour produire davantage de masse musculaire ou obtenir une croissance plus rapide), notamment aux États-Unis, au Canada, au Brésil, en Argentine ou en Australie.

Ce qui n'est pour l'heure pas le cas au sein de l'Union européenne. Le Parlement européen interdit l'élevage et la consommation d'animaux clonés, une interdiction qui s'étend également à leur descendance.

Évidemment, la question qui se pose, c'est le clonage de l'être humain. Peu après Dolly, certains chercheurs annoncent publiquement y travailler. C'est pour cela qu'en 1997, une vingtaine de pays - dont la France - signent un protocole international interdisant le clonage d'êtres humains, prévoyant des sanctions pénales et des interdictions d'exercice. En 2000, l'UE signe la Charte des droits fondamentaux qui interdit le clonage reproductif des humains. Cinq ans plus tard, c'est l'Assemblée générale des Nations unies qui l'interdit, y compris à des fins thérapeutiques.

Eve, premier bébé cloné?

Mais le sujet continue de susciter et déchaîner les passions. Au Noël 2002, Raël et sa secte suscitent l'émoi en annonçant la venue au monde d'Eve, le premier "bébé cloné". La société Clonaid, fondée par Raël, annonce même ensuite d'autres bébés clonés, avant que la supercherie ne soit découverte. À la même époque, un chercheur sud-coréen annonce être parvenu à cloner des cellules souches embryonnaires humaines. Un peu plus tard, on découvrira que ce n'était qu'une vaste fraude.

Car on ne clone pas aussi facilement un humain qu'une brebis. "Quand on met le noyau d'une cellule adulte dans un ovocyte, il faut l'activer", explique à BFMTV.com Christelle Monville, enseignante-chercheuse au sein de l'I-Stem, l'Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des maladies monogénique, à l'Université d'Évry. Si, pour certaines espèces, il suffit de piquer l'ovocyte ou d'une stimulation électrique, cette étape n'était pas maîtrisée chez l'humain.

Aucun scientifique n'y parvient véritablement jusqu'en 2013, lorsque l'équipe de Shoukhrat Mitalipov, aux États-Unis, réussit ce qui sera considéré comme le premier clonage humain... grâce à un bain de caféine. Mais leur publication restera longtemps confidentielle - la communauté scientifique est devenue prudente sur le sujet après les précédentes tromperies.

Il faut cependant préciser qu'aucun bébé cloné n'a jamais vu le jour. Mais les chercheurs américains sont parvenus à réaliser ce qu'aucun n'avait réussi avant eux: cloner un embryon humain jusqu'au stade de blastocyste - le stade cellulaire après cinq ou six jours de développement - avec la même technique que celle utilisée pour Dolly.

"Il y a eu, dans d'autres laboratoires, des lignées de cellules souches pluripotentes humaines clonées, notamment porteuses de maladies, comme la mucoviscidose", rappelle Pierre Savatier, le directeur de recherche de l'Inserm. "Mais c'était une technique difficile et peu efficace."

La révolution des cellules IPS

Entre temps, une découverte majeure a fait prendre un nouveau virage à la recherche scientifique: les cellules souches pluripotentes induites, dites cellules IPS. En 2006, l'équipe japonaise de Shinya Yamanaka - qui décrochera pour cela le prix Nobel de médecine - parvient à développer des lignées de cellules souches embryonnaires à partir de cellules adultes, sans avoir besoin de recourir à des embryons. Une véritable révolution biologique et scientifique, estime Pierre Savatier.

"C'était encore plus fort que la naissance de Dolly", se souvient-il. "C'était totalement inattendu et ce qui nous a le plus surpris, c'est la simplicité de la procédure. Quatre gènes suffisaient, maintenant c'est même encore moins."

La technique est en effet beaucoup plus simple que le clonage et fonctionne beaucoup mieux. "On obtient facilement des cellules IPS, une prise de sang suffit et la technique s'est largement démocratisée", indique Christelle Monville, la chercheuse de l'I-Stem de l'Université d'Évry. Concrètement, de quoi s'agit-il? De reprogrammer des cellules.

"Les cellules sont en quelque sorte rembobinées, rajeunies pour devenir des cellules pluripotentes, l'équivalent des cellules souches embryonnaires qu'on cherchait à obtenir par clonage", poursuit Christelle Monville. "Cela permet in fine de fabriquer tous les tissus de l'organisme. On sait même fabriquer des gamètes (les cellules reproductrices mâle ou femelle, NDLR) à partir de cellules IPS."

Le clonage devenu obsolète

Il faut tout de même préciser que le clonage humain n'a jamais été envisagé par les scientifiques à des fins reproductives - à l'exception de quelques illuminés et des auteurs de science-fiction - mais dans une perspective thérapeutique. Avec l'arrivée des cellules IPS, le clonage est devenu un sujet obsolète.

"L'idée même de clonage thérapeutique s'est révélée totalement inutile", pointe Pierre Savatier, de l'Inserm. "Sans compter l'obstacle éthique et la difficulté pour obtenir des ovocytes. Les cellules IPS ont fait avancer la recherche de manière phénomènale."

Grâce à ces cellules IPS, il est désormais possible de produire des cellules de cœur, de cerveau ou de pancréas et d'envisager plus globalement la thérapie cellulaire. "Maintenant, la technique est maîtrisée", s'enthousiasme Pierre Savatier. Dans une boîte de culture, on arrive à obtenir un morceau de rétine de plusieurs centimètres. C'est remarquable."

Des essais cliniques sont en cours pour soigner Parkinson, la DMLA, le diabète mais aussi pour réparer une moelle épinière sectionnée. "Des tests ont été faits chez le rat, explique Pierre Savatier. Et ça a marché. Je suis convaincu qu'on qu'on refera marcher des gens paraplégiques."

Pour ce chercheur, les cellules IPS sont "le point de départ d'une nouvelle ère de la médecine", d'une médecine "du XXIe siècle" qui soignera des pathologies dégénératives jusqu'ici incurables. Il en est certain: "C'est juste une question de temps."

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV