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Raoult contre les hôpitaux de Marseille: à la retraite, le professeur veut garder la tête de l'IHU

Le microbiologiste de 69 ans est rattrapé ce mardi soir par la retraite universitaire. Il souhaite en revanche se maintenir à toutes forces à la tête de l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection, mais les institutions médicales ne l'entendent pas de cette oreille.

Lui parle de "putsch", assurant qu'il en a vu d'autres. En face, on se dit "étonné" voire "consterné" par ses propos. Ce mardi soir, Didier Raoult, le microbiologiste le plus célèbre de France, rendu fameux par son combat autour de l'hydoxychloroquine, son attitude de franc-tireur et ses positionnements volontiers tapageurs, est rattrapé par la retraite universitaire.

Alors que le professeur a atteint l'âge de 69 ans, l'événement peut sembler appartenir à l'ordre des choses. Seulement voilà, après un an et demi de tempête médiatique, et des années de relations pour le moins délicates avec les hiérarchies scientifiques, le praticien évoque un règlement de comptes plus politique.

Plus épineux encore: tandis que son sort de professeur des universités-praticien hospitalier au sein d'Aix-Marseille Université et des hôpitaux universitaires de Marseille est bien scellé, et qu'il n'a plus que quelques heures à y exercer, l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) ne fait pas mystère de sa volonté de l'écarter de la direction de l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection. Cet IHU qu'il a contribué à fonder voilà dix ans. Et non seulement, Didier Raoult ne s'imagine pas passer la main, mais il s'affirme, au contraire, tout prêt au bras de fer.

L'appel "au calme" de Didier Raoult

C'est le 18 août dans Le Monde que la nouvelle direction générale de l'AP-HM, intronisée en juin, a sonné la charge. "Il y a un besoin de tourner une page et d’organiser l’avenir de l’IHU pour les vingt ans à venir", a ainsi déclaré à l'époque François Crémieux, le directeur général. Et c'est donc lui que Didier Raoult a visé directement lundi soir en intervenant en duplex dans l'émission de Cyril Hanouna.

"En clair, il y a un directeur général qui était le directeur général adjoint de Paris qui est venu ici (à Marseille, ndlr) et qui a pensé qu'il n'avait pas besoin de mes services, ce qu'il a bien le droit de penser. Maintenant, il rêve un peu s'il est capable d'imposer ça, parce que l'IHU est créé par une loi, qui a un conseil d'administration dans lequel il y a 20 personnes qui s'expriment", a-t-il développé, livrant sa vision des choses, et faisant référence à la réunion cet automne du Conseil d'administration de l'IHU, seul à même de statuer sur l'avenir de cette institution éclose en 2011. Didier Raoult a poursuivi avec véhémence: "On ne fait pas de putsch sur une fondation de cette nature-là. Il faut se calmer."

Il a continué à dérouler les griefs l'opposant aux nouveaux visages du secteur hospitalier marseillais dans lesquels il voit les origines de sa disgrâce plutôt que dans les effets mécaniques de l'âge: "je ne fais pas de propagande non plus. C'est une des causes de mon désaccord avec mon directeur général. C'est qu'il voulait me faire signer une tribune (une tribune pro-vaccin, Didier Raoult ayant par ailleurs souligné à plusieurs reprises qu'il n'était pas opposé à la vaccination, NDLR) qui me paraît être de la propagande et que je ne veux pas faire parce que c'est pas mon rôle. Mon rôle c'est pas de dire ce que le gouvernement fait bien ou pas bien".

Toujours en direct du programme animé par Cyril Hanouna, il a même donné un tour plus musclé à son emportement à l'endroit de François Crémieux: "Si vous venez à Marseille, je serais plus inquiet pour lui que pour moi. Il devrait se calmer. J'ai testé un quart de la population marseillaise, ça laisse des traces".

La mairie aussi veut "passer à autre chose"

En dehors de cette hypothétique vox populi - qui ne siège pas, par définition, au sein de la séance appelée à décider de son destin professionnel - Didier Raoult va devoir compter ses soutiens s'il espère sortir des fourches caudines de la réunion du conseil d'administration avec son costume encore attaché sur le dos. Or, le salut de celui qui avait fait l'objet des éloges de Christian Estrosi, président du Conseil régional de Paca, au printemps 2020 pour son traitement à l'hydroxychloroquine, ne devrait pas venir cette fois de la classe politique.

Ce mardi matin, sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin, Benoît Payan, maire de Marseille, a d'abord introduit: "Sa direction lui demande de prendre sa retraite... Est-ce que je vais commenter ce genre de choses? Certains peuvent le regretter, d'autres non. La loi doit rester la loi, je la respecte." Didier Raoult avait bien proposé à l'AP-HM de lui accorder des vacations supplémentaires, qui l'auraient amené à travailler à son poste deux demi-journées par semaine. Une proposition rejetée.

"La décision a été prise qu'il ne cumule pas emploi et retraite. C'était compliqué pour Didier Raoult de diriger l'IHU à mi-temps ou à la retraite", a commenté Benoît Payan qui a ensuite laissé tomber sa sentence personnelle: "Objectivement, il faut que les uns et les autres, on passe à autre chose".

Difficultés de la vaccination: pour l'AP-HM, Raoult "porte une responsabilité"

C'est donc bien un face-à-face qui s'annonce entre l'AP-HM et Didier Raoult. Jean-Luc Jouve, président de la commission médicale d'établissement de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille, en a dévoilé les tenants et les aboutissants ce mardi sur BFMTV, séparant le "volet administratif" et le "volet médical". "Un grand chef de service arrive au terme de ses fonctions. Il a terminé son boulot, l'a bien terminé", a-t-il d'abord salué, relevant la compétence de l'équipe formée par Didier Raoult: "son équipe est largement à même - et c'est déjà le cas depuis pas mal d'années - d'assurer le fonctionnement médical".

Mais Jean-Luc Jouve ne s'est pas caché derrière la procédure au moment d'expliquer la position de l'instance qu'il représente. Il dit d'ailleurs avoir eu l'occasion de s'en ouvrir au principal intéressé: "Je lui ai dit que j'étais surpris et peiné des propos qu'il pouvait tenir et qui étaient sujets à caution et interprétation". Il ciblait ici, notamment, la phrase lâchée au milieu du mois d'août par le microbiologiste dans l'une des vidéos enregistrées par ce dernier depuis son bureau, à travers laquelle celui-ci brocardait "la protection modeste" offerte selon lui par la vaccination contre les variants du virus.

Des appréciations dangereuses d'après le président de la commission médicale d'établissement de l'AP-HM: "La couverture vaccinale des quartiers nord de Marseille est à l'heure où on se parle d'à peine 30%. Je pense qu'il porte une responsabilité." Après avoir détaillé les difficultés des soignants à déterminer les habitants de ces quartiers à se faire vacciner, il a continué: "Face à ça, on a dans les médias, le passage de quelqu'un qui est charismatique et va dire l'inverse... Il y a un peu de désespoir de notre part. Sa démarche n'est pas recommandable. Je lui en veux un peu, oui."

Fuite en avant

D'autant qu'à son goût, la posture de Didier Raoult sur ce point traduit une fuite en avant qui menace d'emporter avec elle, et au grand galop, le travail de l'IHU lui-même: "Les recherches de l'IHU, autant elles étaient porteuses d'espoirs et d'efficacité il y a un an, autant ces dernières semaines, elles laissent libre cours aux démarches les plus farfelues".

La sérénité n'est en tout cas plus franchement à l'ordre du jour à l'IHU. L'Agence du médicament a ainsi annoncé en juillet le lancement de deux enquêtes internes censées faire la lumière sur d'éventuels manquements à la réglementation lors d'essais cliniques chapeautés par l'Institut.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV