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Le gouvernement va saisir l'Anses sur la possible dangerosité des pelouses synthétiques

Un enfant joue au football sur du gazon artificiel en Croatie en avril 2016

Un enfant joue au football sur du gazon artificiel en Croatie en avril 2016 - Stringer-AFP

INFO BFMTV. Alors que les gazons synthétiques suscitent de plus en plus d'inquiétudes, le gouvernement va saisir l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation. Dans le viseur: les billes de pneu qui les composent, accusées d'être toxiques.

Tout joueur de football pratiquant sur pelouse artificielle connaît ce désagrément. Des petites billes noires qui se glissent dans les chaussures, les vêtements et même les cheveux. Au-delà de l'aspect agaçant, voire collant par temps humide, de ces granulats qui garnissent les gazons synthétiques, la question sanitaire se pose. Issus de pneus usagés, ces billes noires contiendraient de nombreux produits toxiques. Certains craignent qu'elles soient responsables de cancers.

Le gouvernement s'apprête ainsi à saisir officiellement l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) sur le sujet, selon des informations de BFMTV.com. L'Anses confirme qu'elle n'a encore jamais mené d'étude sur l'innocuité ou la toxicité de ces gazons. Et indique à BFMTV.com avoir eu "des remontées d'alerte". L'une d'entre elle émane de l'association de défense de l'environnement Robin des bois. Elle s'inquiète d'une possible dispersion dans l'environnement.

"Nous voulons savoir si ces pelouses synthétiques et ce type de revêtement ont des effets sanitaires aussi bien en milieu fermé qu'ouvert, assure à BFMTV.com Jacky Bonnemains, son porte-parole. Et puis, que deviennent-elles en fin de vie? Comment sont-elles détruites ou recyclées?"

200 nouveaux terrains par an

Selon les chiffres d'Aliapur, la principale filière chargée de collecter les pneus usagés en France, 334.597 tonnes de pneus ont été collectés dans l'Hexagone en 2016. Sur l'ensemble de cette "valorisation", 28,5% ont été recyclés en granulat et poudrette. Ce qui signifie que 95.260 tonnes de pneus ont été réduits en tout petits morceaux pour garnir les terrains de sport synthétiques. Mais aussi composer les dalles des aires de jeux pour enfants ou encore constituer certaines routes, des pistes d'athlétisme, des sols équestres et des pièces automobiles.

Chaque année, quelque 200 nouveaux de ces terrains - qui représentent chacun 25.000 pneus - voient le jour ou sont rénovés (la durée de vie moyenne de ces pelouses synthétique étant de dix ans), assure à BFMTV.com Hervé Domas, le directeur général d'Aliapur. 

Mais un pneu, au fait, c'est fait avec quoi? Selon Michelin, second fabricant mondial de pneumatiques, "60% des caoutchoucs utilisés sont des caoutchoucs synthétiques fabriqués à partir d'hydrocarbures d'origine pétrolière". Le service communication de la multinationale assure à BFMTV.com que 200 matériaux entrent dans la composition du pneu. Mais impossible d'en connaître la liste exacte en raison du "secret industriel".

Selon le quotidien régional La Montagne, qui a décortiqué son processus de fabrication, les produits chimiques peuvent représenter jusqu'à 10% des substances qui entrent dans sa composition.

Des substances cancérogènes

Mais la multinationale ne précise pas que certaines de ces substances chimiques sont plus problématiques et connues pour être dangereuses pour la santé. Comme les hydrocarbures aromatiques polycliniques, issus du pétrole et du charbon, ou encore le cadmium, l'arsenic ou le benzène, classés cancérogènes avérées par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ).

Autant de substances qui se retrouvent ensuite sous forme de granulat. Car entre le pneu de voiture et son format en billes, aucune transformation: seules les fibres textiles et les fils métalliques sont retirés. Ce que confirme Hervé Domas.

"Le processus de fabrication est relativement simple. Le pneu est constitué de caoutchouc, d'acier et de textile. Lors d'opérations de broyage successives, le textile et le métal sont extraits. Il ne reste plus que les petites billes de caoutchouc, sans aucun traitement additionnel."

"Un produit propre"

Aucun risque, a conclu "l'évaluation sanitaire et environnementale des matériaux de remplissage en gazons synthétiques" réalisée par Aliapur, fondée par sept grands fabricants mondiaux de pneumatiques. "Les éventuelles émissions dans l'air relarguées par les élastomères utilisés comme matériaux de remplissage n'engendrent aucun risque pour la santé." Aucun danger non plus quant à une éventuelle pollution de l'environnement: "Les eaux de pluie ayant transité au travers des sols sportifs en gazons synthétiques installés en extérieur sont peu chargées en composés organiques ou en éléments métalliques."

C'est également ce qu'affirme Jean-Philippe Faure, le responsable recherche et développement d'Aliapur, sur son site internet. La petite bille de pneus des terrains synthétiques est "un produit qui est propre", "pur" ajoute-t-il. "Ces gommes de caoutchouc sont neutres pour l'environnement", assure-t-il encore.

"On fait du sport sur du pneu", résume cependant pour BFMTV.com Annie Lahmer, conseillère régionale EELV d'Île-de-France. L'élue regrette qu'il n'y ait "rien de récent ou d'abouti" dans la recherche scientifique concernant les effets de ces particules de pneus. "On ne peut pas dire que ces matériaux soient bénins, c'est du bon sens." Annie Lahmer dénombre "environ 400" terrains de ce type dans la région francilienne.

"Les miettes de caoutchouc ne sont pas inertes"

Difficile en effet de trouver des études scientifiques sur la sûreté ou la toxicité de ces billes de pneus. Certaines publications ont pourtant pointé le risque de toxicité de ces terrains. En France, les rares études souvent partielles se veulent rassurantes. Une étude réalisée en 2008 a conclu à "un bilan favorable aux gazons synthétiques", selon le ministère des Sports, interpellé sur le sujet en 2013.

Mais à l'étranger, on est moins optimiste. Dès 2007, un rapport du bureau californien d'évaluation des risques en santé environnementale sur les effets sur la santé de l'utilisation de pneus usagés recyclés dans les produits de pistes et plateaux sportifs concluait que 49 produits chimiques pouvaient être libérés. La même année, une étude réalisée pour l'ONG Environment and Human Health, Inc. arrivait aux mêmes conclusions. "Il est clair que les miettes de caoutchouc recyclé ne sont pas inertes; ni une température élevée, ni une extraction par solvant ne sont nécessaires pour libérer les métaux et les composés organiques volatils, ou semi-volatils", assurait David Brown, le directeur du département toxicologie de l'association.

Une autre étude réalisée à l'Université Yale en 2015 a identifié 96 produits chimiques dans le gazon synthétique et le paillis de pneu utilisé comme revêtement dans les aires de jeux pour enfants. Sur ces 96 produits chimiques, l'étude pointait que la toxicité de la moitié d'entre eux n'aurait jamais été évaluée. 

"Le risque d'exposition est plus élevé au contact d'un granulé"

Vasilis Vasiliou, toxicologue et professeur d'épidémiologie à cette prestigieuse université, est l'auteur d'une nouvelle étude à paraître sur le sujet. Il a assuré au magazine So Foot avoir retrouvé la trace de 190 substances cancérigènes. Selon lui, "en broyant le pneu, on augmente considérablement les risques d'exposition. Le risque d'exposition est des milliers de fois plus élevé au contact d'un granulé qu'au contact d'un pneu". Il ne laisse plus ses enfants jouer sur ces surfaces.

Hervé Domas, le directeur général d'Alipur, reconnaît qu'il y a "effectivement des substances utilisées dans le pneu qui peuvent être nocives pour la santé" mais "à certains niveaux d'exposition". Pas de souci, donc, avec le granulat, il s'agit selon lui "de quantités infinitésimales". "Du noir de carbone, vous en trouvez dans votre téléphone et dans de nombreux produits de consommation courante", se défend-t-il. "Les pneumatiques produits sont surveillés et conformes à la législation européenne", ajoute-t-il encore.

En France, c'est le désert. L'agence Santé publique France "ne dispose pas d'éléments d'informations" pour répondre aux questions que BFMTV.com. Du côté du CNRS, le chercheur recommandé spécialiste en chimie des matériaux "n'a pas connaissance au niveau français" d'études sur le sujet.

"L'absence d'études scientifiques approfondies"

En 2013, Pascale Boistard, l'ancienne secrétaire d'État chargée des Personnes âgées qui était à l’époque députée PS de la Somme, dénonçait déjà "l'absence d'études scientifiques approfondies sur d'éventuels risques sur la santé liés à l'inhalation, l'ingestion ou le contact avec les éléments constituant ou fixant les gazons synthétiques".

Le ministère des Sports lui avait alors répondu, mettant en avant une norme Afnor et assurant que les seuils de toxicologie satisfaisaient "à des critères quantifiés quant aux taux maximum de re-largage de substances toxiques dans l'environnement". "La toxicologie des granulats réalisés en caoutchouc recyclé a fait l'objet de plusieurs études scientifiques, notamment celle d'une filière (Aliapur) de valorisation des pneus usagés."

En ce qui concerne cette norme, elle se contente de spécifier les conditions de réalisation des terrains de sports en gazon synthétique. Quant à Aliapur, si cette entreprise a tranché en faveur de leur innocuité, c'est grâce aux conclusions rendues en 2005 par l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris). Mais ce rapport, qui n'a pas été rendu public, ne permet pas de juger de la sûreté de ces gazons synthétiques, assure pour BFMTV.com Martine Ramel, la responsable du pôle risques et technologies durables à l'Ineris.

"À partir de données qui nous ont été fournies, nous avons réalisé des calculs. Mais ces calculs ne permettent pas de répondre aux questions qui sont aujourd'hui posées sur ces gazons synthétiques. Nous n'avons travaillé que sur les émissions de composés organiques volatiles."

Des travaux qui ont plus de dix ans

Aliapur assure dans une plaquette, réalisée avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (l'Ademe, qui n'a pas répondu aux sollicitations de BFMTV.com), avoir "engagé dès 2005 un programme d'études scientifiques évaluant les impacts environnementaux et sanitaires des différents matériaux de remplissage". Des études confiées au Groupement d'intérêt scientifique français (EEDEMS).

Cette étude conclut que "d'un point de vue écotoxicologique, la nature des eaux ayant traversé un gazon synthétique de troisième génération se révèle sans impact sur l'environnement quel que soit le type de granulats de remplissage". Emmanuel Vernus, directeur technique de Provademse, un laboratoire d'innovations technologiques, a supervisé ces études. Durant huit ans, la qualité des eaux d'infiltration a été suivie sur un stade en gazon artificiel. Hydrocarbures aromatiques polycycliques, aluminium, arsenic, mercure, cuivre, cadmium, ou encore cyanure ont été recherchés dans les eaux de pluie ayant percolé sur ces sols. "Tout ce qu'on a observé permet de vérifier qu'ils n'engendrent pas d'effet sur la qualité des eaux souterraines du fait de l'infiltration des eaux de pluie", assure-t-il à BFMTV.com. Les teneurs étaient selon lui faibles, voire proche des limites de la détection.

Mais aucune évaluation n'a été réalisée sur les éventuelles émissions de particules fines ou de microparticules. La spécialiste assure que l'Ineris n'a pas été sollicité depuis. "Ce sont des travaux qui ont plus de dix ans et qui répondaient aux préoccupations d'alors. Mais les préoccupations ont changé. Il faudrait mettre en place un nouveau protocole, avec des prélèvements et des analyses, et avec des moyens techniques qui n'existaient pas à l'époque."

Des "fake news"

Hervé Domas, le directeur général d'Alipur, reconnaît que ces travaux sont anciens mais assure que "toutes les études en notre possession montrent que les granulats sont tout à fait conformes aux réglementations draconiennes en matière d'émissions polluantes". Et ajoute: "les quelques études épidémiologiques réalisées par des organismes indépendants ne montrent aucune raison de penser qu'il y a un lien entre granulats et maladies qui seraient contractées par des joueurs".

Il cité une étude néerlandaise menée en 2016 par l'Institut national de santé publique qui a conclu que "pratiquer des sports sur des terrains synthétiques avec du remplissage en caoutchouc venant de pneu est tout à fait sécurisé". Et une autre de l'agence européenne des produits chimiques qui est parvenue aux mêmes conclusions. Et dénonce la propagation de "fake news".

Aux États-Unis pourtant, cela fait plusieurs années que les terrains synthétiques inquiètent. En 2014, la chaîne de télévision américaine NBC dénombrait 38 cas de cancers chez des enfants et adolescents pratiquant le football sur terrains synthétiques, dont 34 gardiens de but. NBC pointait alors l’absence d’études scientifiques faisant le lien entre ces billes de pneus et le cancer. En 2016, trois agences fédérales ont décidé de mener une vaste étude scientifique.

"Il ne faudrait pas qu'on se retrouve avec un scandale sanitaire"

Des inquiétudes que partage Françoise Cartron, sénatrice socialiste de Gironde et vice-présidente du Sénat. "J'ai été élue locale, cela fait des années que je me pose des questions", confie à BFMTV.com l'ancienne maire d'Artigues-près-Bordeaux, en Gironde. Elle dit avoir été interpellée par "des signes extérieurs".

"Des sportifs m'avaient alertée. On m'avait rapporté que ces billes se désagrègent avec le temps et les aléas météorologiques. Je m'interroge pour les enfants qui y jouent. Ils sont en pleine croissance. Ils les ramassent, jouent avec, peuvent les mettre à la bouche ou les inhaler. Des parents m'avaient déjà rapporté des cas de brûlures qui cicatrisaient difficilement. Est-on sûr que c’est sans danger? Cette question tourne dans ma tête."

Elle aimerait que les autorités sanitaires lui répondent et demande à ce que des investigations soient menées. "On ne sait même pas s’il y a des études. Mais celles qui nous sont rapportées des États-Unis sont inquiétantes."

C'est pour cela que Françoise Cartron a interpellé au mois de novembre dernier la ministre des Sports, Laura Flessel. La sénatrice évoque dans une question écrite une "problématique de possible grande ampleur". "D'autres élus partagent mes inquiétudes, assure-t-elle à BFMTV.com. Car c'est aussi souvent pour eux beaucoup d'argent investi." Des installations qui sont souvent subventionnées par les collectivités, "parfois à hauteur de 30%". C'est, pour elle, une question de santé publique.

"Cela part d'une bonne intention d'équiper les communes en installations pour les activités et les clubs sportifs. Mais il ne faudrait pas qu'on se retrouve dans vingt ans avec un scandale sanitaire."

Laura Flessel lui a assuré que "la question était à l'étude dans ses services". La ministre n'a toujours pas officiellement répondu. Elle n'a pas non plus répondu aux sollicitations de BFMTV.com. Pareil pour le ministère de la Santé et celui de la Transition écologique et solidaire.

"On doit appliquer le principe de précaution"

"S'il y a vraiment un problème, il faut le savoir", insiste Annie Lahmer. Le groupe écologiste de la région Île-de-France demande un moratoire et veut arrêter de subventionner ces terrains. "Nous avons écrit aux ministères de la Santé, de l'Éducation nationale, de l'Environnement, au Premier ministre et à l'Élysée pour les alerter. Nous n'avons aucune réponse."

Nantes compte une quinzaine de ces terrains synthétiques. Catherine Bassani-Pillot, élue municipale EELV, plaide elle aussi pour une étude scientifique indépendante. Interpellée par plusieurs clubs sportifs de sa ville, elle avait remarqué que les brûlures que son petit garçon se faisait sur ces terrains synthétiques mettaient plus de temps à guérir. "On en est au début de la prise de conscience", assure-t-elle à BFMTV.com. Pas question, selon elle, d'effrayer ou de faire déserter ces pelouses, mais "on doit au minimum informer le public" sans attendre les résultats d'une éventuelle étude à venir. Elle prône l'organisation de réunions publiques avec des chercheurs, élus, pratiquants et fabricants, "pour savoir où on en est, quelles sont les préconisations, les mesures de précaution et les alternatives".

"Car, en matière de santé, il vaut mieux prévenir que guérir. Les fabricants en sont arrivés à nous faire croire que c'est la solution miracle. Or, à aucun moment, l'argument santé n'a été pris en compte. On doit appliquer le principe de précaution."

Céline Hussonnois-Alaya