BFMTV
Santé

Malaise et fermetures de lits à l'hôpital: qu'est-ce qui a conduit à cette situation?

En raison de la fatigue, du manque de considération ou des salaires trop bas, une vague de départs a affaibli l'hôpital ces derniers mois. Et il semble difficile de trouver des remplaçants.

Un avis du Conseil scientifique a réveillé les débats sur l'hôpital public, notamment sur la fermeture de lits. Les scientifiques y notent "un pourcentage important de lits fermés chiffré à environ 20% et touchant tous les secteurs de soins". Cette situation "pourrait mettre les établissements sous forte tension, avec l’arrivée des autres pathologies hivernales et une éventuelle nouvelle vague, même si elle est limitée", poursuivent-ils.

Depuis, plusieurs hôpitaux ont alerté sur la pénurie de lits, mais surtout de soignants. "Des enfants en situation d'urgence ne peuvent plus être pris en charge par les services compétents", dénonçait déjà jeudi le Collectif Inter-Hôpitaux (CIH), parlant de "tri" et de "perte de chance", dans les services de pédiatrie. D'autres établissements ont alerté sur les déprogrammations de soins auxquelles ils étaient contraints, faute de place.

5700 lits supprimés en 2020

La fermeture des lits à l'hôpital public, conséquence de coupes budgétaires sur différents mandats, est un sujet qui est évoqué depuis plusieurs années par les soignants.

Ainsi, plus de 5700 lits d'hospitalisation complète ont été fermés en 2020 dans les établissements de santé français, même si dans le même temps, près de 1400 places d'hospitalisation partielle ont été créées selon une étude de la DREES (direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques) fin septembre. Et le Covid-19 n'a pas interrompu la réduction inexorable des capacités hospitalières. Au contraire, la crise sanitaire a en partie amplifié les fermetures de lits.

"Sous l'effet des réorganisations et des restructurations", 25 établissements publics et privés ont fermé l'an dernier, indique le rapport. Les 2983 structures encore ouvertes fin 2020 disposaient très exactement de 386.835 lits d'hospitalisation complète fin 2020, soit 5.758 de moins en un an - comparé au dernier bilan pour l'année 2019.

Évolution du nombre de lits et de places à l'hôpital de 2013 à 2020
Évolution du nombre de lits et de places à l'hôpital de 2013 à 2020 © DREES

Cette baisse est "un peu plus marquée" que les années précédentes, ce qui "pourrait s'expliquer par le contexte d'épidémie", avec "de nombreuses chambres doubles transformées en chambres simples pour limiter la contagion", ainsi que des déprogrammations massives pour réaffecter les personnels soignants dans les services de soins critiques, est-il expliqué.

"On a des lits mais personne à mettre autour"

Mais dans les services hospitaliers, on rappelle que la fermeture est actuellement, surtout due à une absence de personnel, après de nombreux départs. "On manque de personnel, on manque d'infirmiers, on a des lits aujourd'hui mais il n'y a personne à mettre autour" pour s'en occuper, explique sur BFMTV William Perel, infirmier à Paris, délégué du Syndicat national des professionnels infirmiers.

"Tout est prêt pour faire fonctionner, mais on n'a pas les infirmières", lance à BFMTV Pierre Amarenco, chef du service neurologie à l'hôpital Bichat (Paris), devant une salle pleine de matériel, mais sans patient. Dans son service, sur 28 lits de soins intensifs, seulement quatre sont ouverts. "Sur le nord de Paris, les deux grands services neurovasculaires qui reçoivent des AVC sont en difficulté majeur", explique-t-il, donc "quand le SAMU nous appelle, la plupart du temps on est obligés de leur dire non".

"Je suis arrivée il y a deux ans et demi, et depuis il y a une vingtaine de collègues qui sont partis", explique une infirmière de l'hôpital Bichat, à Paris. Elle évoque une paye insuffisante, mais aussi le manque d'effectifs. Et "nous c'était avant le Covid", déclare-t-elle.

Selon les différents témoignages, les départs sont en effet dus au manque d'attractivité du métier, qui présente de nombreuses difficultés, des horaires parfois difficiles et des remplacements au pied levé, cela alors que le salaire reste bas pour certains postes, malgré les 183 euros nets par mois obtenus lors du Ségur de la Santé. Des postes en intérim ou dans le privé proposent en effet bien souvent de meilleurs salaires.

L'interdiction d'exercer sans avoir été vacciné n'a joué qu'à la marge sur le manque de personnel, selon les chiffres donnés par le gouvernement. Environ 3000 suspensions avaient été enregistrées en septembre, soit 0,1% des salariés des établissements de santé ou médico-sociaux, avait déclaré le ministre de la Santé Olivier Véran.

"Personne ne veut venir, c'est trop lourd, trop difficile"

Mais tous ces départs semblent particulièrement difficiles à remplacer. "Chez les étudiants infirmiers en formation entre 2018 et 2021, un peu plus d’un millier a démissionné avant la fin de leurs études", a ainsi déclaré le ministre de la Santé Olivier Véran dans Libération et sur notre antenne. "Une enquête sera lancée sur la question, je veux qu’on en comprenne les raisons".

"Dans mon service, il y a 60% de lits qui sont fermés parce qu'il n'y a pas de personnel. Personne ne veut venir, c'est trop lourd, trop difficile, c'est plus loin en transports, c'est moins attractif, et il n'y a pas de compensation salariale", explique par exemple Benjamin Rossi, infectiologue au Centre Hospitalier Robert Ballanger (Seine-Saint-Denis).

À l'hôpital nord de Marseille (Bouches-du-Rhône), "tous les postes sont ouverts, les recrutements essayent de se faire mais aucune réponse. Aujourd'hui on est très inquiet", abonde Stéphane Berdah, chef des services de chirurgie digestive et gastroentérologie. 25% des lits sont fermés dans son service.

Et c'est un cercle vicieux qui s'est installé, car plus les personnes partent, et ne sont pas remplacées, plus celles qui restent doivent absorber une charge de travail importante. "Quand un neurologue n'a plus que six infirmières au lieu de 24, à votre avis quelle est la qualité de vie de ces infirmières?", lance sur notre antenne Arnaud Chiche, médecin anesthésiste réanimateur à la polyclinique d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). "Ceux qui restent en place sont toujours mal considérés en terme de statut, n'ont toujours pas de considération comme il faudrait, et en fait ils s'épuisent parce qu'ils sont en sous-effectif".

Une fatigue d'après Covid-19?

Dans son avis, le Conseil scientifique relève les résultats d'une étude concernant l'état de santé des soignants. Et lors de la deuxième vague il y a un an, des symptômes d'anxiété étaient signalés chez 60% des répondants, 36,1% évoquaient des symptômes de dépression, 28,4% de troubles stress post-traumatique et 45,1% d'épuisement professionnel. Des chiffres qui peuvent expliquer certains départs.

"La crise Covid a laissé quelque chose de très douloureusement ressenti, même si les gens ont fait face, dans l'après-coup on sent les professionnels qui sont essoufflés, s'interrogent sur le sens de leur mission, l'organisation générale de l'hôpital, et qui sont peut-être moins prêts à donner un coup de collier au moment où les choses repartent", explique sur notre antenne Bernard Dupont, directeur général du CHRU de Nancy (Meurthe-et-Moselle).

Mais "n'oublions jamais que l'hôpital a abordé cette crise avec 25/30% de postes non pourvus, donc dans une situation où les organisations étaient déjà très tendues, et les personnels très sollicités", déclare sur notre antenne Frédéric Valletoux, président de la FHF (Fédération hospitalière de France) maire Agir de Fontainebleau (Seine-et-Marne). "Ils ont fait face, mais aujourd'hui il ne faut pas s'étonner après deux ans de forte mobilisation que la situation ne soit pas meilleure que ce qu'elle était il y a deux ans".

Ainsi, les taux d'absentéisme sont également à la hausse, selon des chiffres de la conférence des présidents de commission médicale d’établissement de CHU donnés à Libération. La moyenne tournerait actuellement autour de 11% "alors que nous étions autour d’une moyenne nationale de 8% à 9% avant l’épidémie de Covid", précise son président François-René Pruvot.

"Il n'y a pas de réserve cachée de personnel"

"Nous avons lancé une enquête auprès de l'ensemble des établissements de santé pour objectiver la situation et son exploitation est en cours. Les chiffres seront communiqués prochainement", a lancé le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal cette semaine.

Le ministre de la Santé a en effet remis en cause le chiffre de 20% de lits fermés, pointant du doigt le fait que l'étude n'avait été réalisée que sur quelques CHU. "La dernière donnée qui m'a été remontée, c'est 5% de lits de médecine temporairement fermés, on serait donc assez loin de 20% du parc hospitalier général", a-t-il assuré. "Je n’ai pas de médecins cachés dans le placard, ni des infirmières qui attendent dans une salle qu’on appuie sur un bouton pour les déployer dans les hôpitaux. Je ne vais pas mentir aux gens", a-t-il également souligné.

Pour Gabriel Attal, les mesures mises en place, notamment la fin du numerus clausus dans les études de santé, permettra l'arrivée de nouveaux soignants dans les hôpitaux. Dans Libération, Olivier Véran a ainsi évoqué "plus de 17.000 étudiants qui sont aujourd’hui en deuxième année de médecine, ou des infirmières et aides-soignants avec la création de 6000 places supplémentaires dans les écoles. La situation est compliquée, mais je refuse le fatalisme", a-t-il lancé.

"On rendra plus attractifs ces métiers avec des revalorisations inédites qui peuvent aller jusqu'à 400 euros nets par mois pour l'ensemble des personnes qui travaillent à l'hôpital", a également promis le porte-parole du gouvernement, déclarant que "redonner du sens au métier de soignant, c'est un travail au long cours".
Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV