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Crise aux urgences: les mesures d'Agnès Buzyn jugées insuffisantes par les personnels soignants

Acculée par la grève inédite touchant les services d'urgences depuis près de six mois, la ministre de la Santé a détaillé ce lundi un "pacte de refondation" de 754 millions d'euros sur trois ans. Il ne prévoit cependant ni les lits ni les effectifs supplémentaires réclamés par les grévistes, qui font part de leur mécontentement.

Aux grands maux, les grands remèdes. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a présenté ce lundi après-midi un "plan d'actions" avec un "budget dédié" de 754 millions d’euros (débloqué sur trois ans) pour "régler sur le long terme" la crise des urgences qui dure depuis bientôt six mois. Représentants des personnels et dirigeants hospitaliers étaient réunis pour découvrir ce pacte de refondation des urgences, composé de douze mesures. Mais sont-elles suffisantes pour calmer la grogne des urgentistes?

A l’issue des annonces faites par la ministre, la déception se fait sentir dans les réactions des représentants syndicaux. Les personnels soignants espéraient des solutions concrètes avec la mise en place de plus de lits d’aval, des ouvertures de postes, une revalorisation salariale… Ils ont eu pour seule réponse des annonces "floues", regrette Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France.

"Pas de réponse concrète"

"Il n’y a pas de réponse concrète puisque la ministre n’annonce pas de grandes mesures en terme de budget dédié aux différentes demandes qui sont, notamment pour les urgences, la création de 10.000 postes et de 40.000 postes pour les Ehpad", dépeint Mireille Stivala secrétaire générale de la CGT santé.

"Je m’attendais à plus de compréhension sur les drames que vivent les personnels et sur les difficultés du travail. Le vrai problème réside dans l’adéquation entre les besoins qu’on a pour exercer le service public et les moyens qui nous sont donnés pour remplir cette mission. Comme on n’a pas les moyens, il y a un ras-le-bol du personnel", poursuit Patrick Pelloux au micro de BFMTV.

"On ne note aucune avancée dans le cadre de nos revendications. Pour l’instant, il n’y a rien en terme de revalorisation salariale, rien en terme d’augmentation d’effectifs paramédicaux dans les services. Juste quelques timides annonces sur peut-être des réouvertures de lits d’aval", renchérit Orianne Plumet du collectif Inter-Urgences qui dénombrait vendredi 249 services d’urgences en grève. De son côté, le ministère en avait recensé 195 mi-août, soit la moitié des services d'urgences publics français.

Pas suffisant pour désengorger les urgences

Mise en place d’un "service d'accès aux soins" (SAS) en ligne ou par téléphone, ouverture de maisons médicales de garde 24h/24 et sept jour sur sept… Pour désengorger les services d’urgences, Agnès Buzyn a décliné son plan d’action en douze mesures mais celles-ci ne semblent pas convaincre les principaux concernés. "Dans toutes les propositions qu’elle fait, je ne vois rien pour enrayer la désertification médicale galopante en France et c’est un peu désespérant", tance Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France.

"La mise en place du SAS, c’est une demande forte de la part des collègues car ce service a montré son efficacité dans d’autres pays. Je ne suis pas sûr que cette seule solution serve à répondre à l’urgence. A Lariboisière, pour accueillir correctement les patients, il faudrait limiter les passages à 160 personnes par jour. Mais aujourd’hui, aux urgences de Lariboisière, on accueille 260 à 300 patients chaque jour. Donc un numéro de téléphone ne servira pas retirer 150 patients", prédit Maxime Gautier, urgentiste à l’hôpital Lariboisière de Paris, invité sur le plateau de BFMTV.

Idem pour le circuit d'admissions directes des personnes âgées au sein des hôpitaux. La ministre de la Santé propose que "les hôpitaux qui ont un service d'urgence mettent en place ces filières d'admissions directes pour personnes âgées et contractualisent avec les EHPAD pour que la filière soit opérationnelle" afin d’alléger l’accueil en service d’urgences. "C’est une idée que les syndicats ont depuis longtemps, si elle les écoutait un peu plus… Cette filière c’est du bon sens, mais pour faire ça, il faut faire autre chose que mettre 754 millions d’euros sur la table", commente sur notre antenne Renaud Péquignot, chef de service hospitalier

D'où viendra le budget annoncé?

Cette question du budget est bien souvent évoquée et critiquée par les représentants syndicats qui s’inquiètent notamment de sa provenance.

"A priori ce budget va être prélevé dans d’autres services. Par exemple, dans mon établissement de l’AP-HP, les postes aux urgences qui ont été créés sont des postes qui ont été supprimés dans des services de gériatrie; c’est le serpent qui se mord la queue", déplore Christophe Prudhomme, médecin urgentiste.

Selon les grévistes, cette somme, puisée dans les crédits existants, n'entraînera donc pas la hausse de budget consacrée à la santé et pourrait même aggraver la situation.

La grève se poursuit

Ce plan de refondation est certes la preuve d’une "prise de conscience" de la part du gouvernement mais laisse un goût d’inachevé aux professionnels de santé qui s’accordent à dire que les mesures sont trop "floues sur le financement, la valorisation, les postes", abonde l’urgentiste Maxime Gautier. "Il faut du temps pour que tout ça soit mis en place. On comprend qu’il y a du bon sens dans les démarches mais c’est très imprécis sur les applications", conclut-il.

Plusieurs syndicats et associations de médecins hospitaliers ont déjà invité les praticiens "à rejoindre la mobilisation" pour "mettre fin aux restrictions budgétaires pour l'hôpital public". Une assemblée générale des grévistes est prévue mardi, la CGT appelle à manifester ce mercredi.

Ambre Lepoivre